Mis à jour le dimanche 19 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien croisé avec Claudine Parayre, de la COSTIF, et Bernard Loup, du Collectif pour le Triangle de Gonesse.

INTERVIEW. En Grande Couronne, au sud et au nord, deux grandes opérations d’urbanisme du Grand Paris, Europa City et le cluster Paris-Saclay, font l’objet de vives oppositions. Motif d’inquiétude des associations : l’empiétement des terres agricoles. Interview croisée avec Claudine Parayre, de la COSTIF, et Bernard Loup, du Collectif pour le Triangle de Gonesse, pour comprendre leurs combats parallèles.
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Qu’est-ce que la COSTIF et le Collectif pour le Triangle de Gonesse ?
Bernard Loup : Le Collectif pour le Triangle de Gonesse est un regroupement d’associations, dont Environnement 93, Mouvement National de Lutte pour l’environnement 93, Les Amis de la Terre Val d’Oise, Val d’Oise Environnement et des associations locales. Certaines d’entre elles défendent le commerce local, d’autres l’environnement et la lutte contre le gaspillage des terres agricoles. Ce regroupement s’est constitué en mars 2011 suite à l’annonce, fin 2010, du projet Europa City, lors d’un débat public sur le Grand Paris qui s’est tenu à Gonesse. Au cours de cette réunion, le groupe Immochan a annoncé son projet Europa City, sous réserve d’avoir sur le Triangle de Gonesse la gare du Grand Paris, qui était alors en discussion. J’aimerais d’ailleurs signaler que c’est la seule gare du Grand Paris en plein champs : les autres sont plutôt en zones urbaines…
Claudine Parayre : Je représente la Coordination pour la Solidarité des Territoires d’Île-de-France, et contre le Grand Paris. Nous l’avons constitué il y a 3 ans à Palaiseau avec l’idée de faire le lien entre tous les projets qui entraient dans le cadre du Grand Paris. Maintenant, on a de nouveaux projets qui arrivent. Les vrais objectifs de la loi Grand Paris sont très méconnus. Elle donne libre court à tout un tas de projets plus démesurés les uns que les autres comme les actuels mirifiques projets d’urbanisation du parc de La Courneuve. Et le Cluster Paris-Saclay, donc.
Quel avenir de vos territoires défendez-vous ?
B.L. : Le Triangle de Gonesse est un espace agricole de 700 hectares environ, situé entre Roissy et Le Bourget. C’est l’espace agricole le plus proche de Paris. Jusqu’à présent, il n’a pas été urbanisé à cause de ce qu’on appelle le Plan d’Exposition au Bruit des deux aéroports. C’est compliqué, on peut y faire de l’activité, mais pas du logement. Or, la ville, ce sont des habitants… Une partie était urbanisable en 1994 et a déjà fait l’objet de spéculation foncière. Axa a acheté plus d’une centaine d’hectares au-dessus du prix agricole, mais ils sont toujours cultivés. Et aujourd’hui, dans le Triangle de Gonesse, même s’il y a un peu de maraîchage et un pépiniériste, on a essentiellement de grandes cultures céréalières. Gonesse est réputé comme étant le grenier à blé de l’Ile de France.
C.P. : Le Plateau de Saclay est un magnifique plateau où il se passe plein de choses depuis des années mais qui est aussi l’objet de convoitises de la part des promoteurs immobiliers et des Opérations d’Intérêt National. En 2005 déjà, Christian Blanc avait proposé d’en faire une sur le Plateau de Saclay. Urbaniser les terres agricoles est une obsession ministérielle ! Il y a longtemps qu’on a commencé à faire venir des écoles et des organismes de recherche sur le Plateau, qui, en 20 ans, a perdu 1 000 hectares. 2 700 sont encore exploités. Ce sont des exploitations céréalières mais pas que. Il y a aussi de la cueillette, une AMAP, un agriculteur bio, des maraîchers…

Concrètement, que vont respectivement changer Europa City et le Cluster Paris-Saclay sur les territoires que vous venez de décrire ?
C.P. : Avec le Cluster Paris-Saclay, nous allons encore perdre près de 400 hectares de terres agricoles. Ils sont sacrifiés. Un jeune agriculteur bio ne peut plus s’installer, d’autres sont expropriés et il y a des grues partout sur le Plateau parce qu’on va y transporter des grandes écoles, des organismes de recherche et des entreprises. C’est aberrant car ce cluster est pensé sur le modèle de la Silicon Valley américaine, qui fait la taille de la région Ile de France. Il n’y a donc absolument pas de raison de faire ça sur 6 km2. C’est complètement farfelu d’autant que tous les scientifiques disent que c’est un modèle dépassé. Demain, il y aura non seulement des constructions avec des routes, un projet de métro qui n’est absolument pas rentable, et 40 000 logements. A terme, on sait que c’est une ville-nouvelle qui va émerger.
B.L. : A Gonesse, on va gaspiller des terres agricoles pour des friches commerciales alors qu’aujourd’hui, on a déjà deux centres commerciaux qui se font la guerre, à Roissy et à Aulnay. Europa City menace aussi de créer des dégâts sur les commerces et y compris sur ceux du centre-ville, qui souffrent le plus de cette guerre de grandes surfaces. Et puis, la viabilité du projet est basée sur l’espoir de doubler le trafic à Roissy. Et la Conférence sur le climat ? Le transport aérien est une belle invention mais il faut l’utiliser raisonnablement.
Quelles sont les solution alternatives, selon vous ? Qu’espérez-vous à terme ?
B.L. : Ce projet n’a rien à faire sur ce territoire agricole. Ce qui ne veut pas dire que nous pensons qu’il ne pourrait pas évoluer par la suite. Si on conservait un espace agricole, nous concevons qu’il puisse devenir d’Intérêt Régional, vu la qualité des sols, et évoluer vers des productions de proximité ou destinées à la restauration collective. Le sol, extrêmement riche, pourrait être adapté au maraîchage. Puisqu’Europa City n’a aucune utilité pour les habitants, gardons cet espace pour l’intérêt qu’il a, pour l’agriculture, mais aussi pour le cadre de vie. Il contribue par exemple à atténuer les pics de chaleur en été et à disperser de la pollution des routes terrestres et aériennes.
C.P. : C’est vrai que la richesse des terres agricoles est méprisée. On ne se rend pas compte de la richesse économique, sociale et environnementale qu’elles représentent. Elles luttent aussi contre l’effet de serre… Les sols retiennent le carbone, c’est le premier protecteur naturel… Pourquoi ? Parce qu’on ne sait pas les valoriser économiquement. Si on travaillait autrement, avec une autre vision des choses sur les impacts environnementaux et économiques, je pense qu’on prendrait le problème dans un autre sens. Quant aux solutions alternatives pour Saclay, la première, c’est de tout arrêter ! Ensuite, nous avons des propositions très concrètes, notamment sur le logement, les transports. Par exemple, un téléphérique pour monter sur le Plateau. Car nous n’avons pas besoin d’un métro mais d’améliorer nos RER B et C et de faire du maillage Nord-Sud.
Alors, Saclay et Gonesse, même combat ?
B.L. : Nous sommes un certain nombre à travailler avec la COSTIF, à se retrouver avec les associations du plateau de Saclay. Oui, nous avons le même combat : préserver les terres agricoles d’Île-de-France et faire évoluer l’agriculture, vers plus de respect de l’environnement, et vers une production tournée vers le territoire local et non plus vers l’exportation. Il y a un bassin de consommation qui est important pour l’exploitation agricole.
C.P. : Il y a quand même une petite différence entre les deux projets. La création du Pôle Scientifique et Technologique du Plateau de Saclay est inscrit dans la loi, ce qui n’est pas le cas pour Gonesse. Sauf que, d’ailleurs, la loi Grand Paris a certes mis en place un réseau de transport public mais a surtout écrit dans la loi au démarrage que l’objectif était de mettre en place des pôles de compétitivité. Le transport est au service des liaisons entre ces pôles et les aéroports. C’était bien là l’objet de la loi Grand Paris : il s’agit de mettre en place un autre développement économique de la région Île-de-France pour la placer dans ce qu’on appelle la compétitivité internationale… Qui va provoquer encore plus de concentration, de déséquilibre avec les autres régions, entre les zones d’habitats et d’emplois, et encore plus de fractures. Les ressemblances entre Gonesse et Saclay ne sont pas un hasard !

Quelles sont vos actions ?
B.L. : Nous sommes actuellement dans une phase importante. Nous l’avons commencée le 27 juin dernier par un rassemblement à Aulnay. Ensuite, nous poursuivrons nos actions en vue des élections régionales : le Triangle de Gonesse sera immanquablement l’un de ses sujets puisqu’il est bel et bien régional. Nous surveillons aussi la création, si cela démarre en 2016, de la Métropole du Grand Paris. Et puis, début 2016, il devrait y avoir un tournant avec la tenue du débat public sur Europa City, repoussé jusqu’à présent alors qu’il a été décidé par la Commission Nationale des Débats Publics en octobre 2013. Or, nous nous apercevons de plus en plus que nous ne sommes pas seuls contre ce projet. Le 27 juin justement, des élus, comme les maires d’Aulnay ou du Bourget se sont exprimés contre Europa City. En 2014, le Conseil général de Seine-Saint-Denis aussi, tout comme plusieurs communes, Tremblay, Sevran. La soi-disant unanimité autour de ce projet est loin d’être réelle. Nous espérons que le débat public sera déclencheur. Sinon, de toutes façons, nous continuerons.
C.P. : Comme je le disais, à Saclay, nous sommes vraiment dans la loi Grand Paris, avec une Opération d’Intérêt National. Nous n’avons plus la maîtrise, les élus non plus, même sur leur territoire. La population n’a pas été consultée. Nous n’avons jamais eu d’étude d’impact global, d’études alternatives globales : tout cela a été un coup de force parce qu’il y a des intérêts en jeu sur ce territoire. Cela ne nous empêche pas de continuer. Nous organisons des événements, mais nous faisons aussi un travail de fond, de sensibilisation et de construction de propositions alternatives. Nous comptons bien nous servir de tous les moyens d’expression de la vie publique pour les faire entendre.
Quel est l’enjeu de votre combat pour le Grand Paris ? Pour l’agriculture en Île-de-France ?
B.L. : L’amélioration de l’autonomie alimentaire est l’un des quatre enjeux clairement identifié dans le Schéma Régional adopté en 2013. En cas de grève importante de transport, certaines denrées alimentaires manqueront en Île-de-France au bout de 48h. On ne parviendra pas à l’autonomie alimentaire à 100%, mais nous ne sommes qu’à moins de 10%… Et le Triangle de Gonesse, qui est compliqué à urbaniser, peut contribuer à l’améliorer.
C.P. : Nous allons connaître des crises énergétiques et climatiques majeures, il faut requestionner le modèle de l’hyper concentration, de la démesure et du toujours plus, qui ne représente plus l’avenir.
Bonjour,
Merci pour votre long article.
Pour info, il y a une petite faute d’orthographe dans le nom de Claudine Parayre. C’est « Parayre » et non « Pareyre ».
Pas besoin de publier ce commentaire, il suffit de faire la correction dans le texte de l’article.
Bien cordialement.
merci je fais la correction
Bonne soirée