Mis à jour le dimanche 13 mars 2022 by Olivier Delahaye
Le 27 octobre 2016, en partenariat avec Grand Paris Métropole, EDF organisait la troisième session de son cycle intitulé « Grand Paris Histoires et Futurs ». Nous vous proposons d’en retrouver ici les principaux échanges. Troisième temps : l’aérotropolis, ville de flux.
L’iPhone est un produit « Made in monde ». Ses semi-conducteurs viennent d’Allemagne et de Taïwan, ses mémoires de Corée et du Japon, ses métaux rares d’Afrique ou d’Asie, son acier de Russie, son processeur des États-Unis, le tout est fabriqué en Chine. À lui seul, le smartphone le plus vendu au monde symbolise la fragmentation du système productif mondial qui tire sa force de l’organisation des échanges. À pied d’œuvre dans cette organisation : le commerce maritime, ses cargos, ses conteneurs, et le transport express aérien. Ce dernier est, somme toute, assez récent puisqu’il se développe depuis les années 1970. Mais il est terriblement efficace. Selon Julien Ducoup, managing director au sein de Fedex express : « Le transport express permet de couvrir en fret 95 % du PIB mondial entre 24 et 72 heures, selon le sens du vol et le décalage horaire. » Une société telle que Fedex prend aussi en charge les formalités douanières et sécurise la livraison par la traçabilité du colis : « Les colis sont scannés au travers de codes barres une vingtaine de fois au long de leur parcours. »
Les aéroports dessinent le développement urbain
Le potentiel ouvert par le transport express a modifié l’organisation des entreprises internationales. Pour gagner en productivité, elles ont pu, grâce à lui, réduire considérablement leurs stocks intermédiaires : « Il est devenu inutile pour une entreprise de posséder des stocks dans tous les pays où elle est implantée. Il lui suffit d’un stock principal situé près d’une grande infrastructure logistique pour avoir accès à tous ses marchés en moins de 24 heures », explique Julien Ducoup. Pour couvrir la région Europe-Moyen Orient-Afrique, Fedex a donc ouvert en 1999 un hub à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle. Un hub, soit un point de connexion polarisé qui se ramifie en réseaux comme autant de lignes aériennes.
Les aéroports dessineront le développement urbain et l’implantation des entreprises au XXIe siècle comme l’ont fait les autoroutes au XXe, les chemins de fer au XIXe et les ports au XVIIIe.
John Kasarda
Ce faisant, Fedex, 2e compagnie aérienne mondiale au nombre d’avions (660), a contribué à transformer Roissy en ce que l’on appelle une aérotropolis. L’entité existe au travers de l’association Aérotropolis Europe qui regroupe 17 acteurs parmi lesquels Air France, Carex, Fedex, Aéroville, Roissy Développement, la communauté d’agglomération Terres de France… Mais c’est surtout le concept qui a pris réalité. Il a été défini au début des années 2000 par l’universitaire américain John Kasarda. Soit : une vaste région urbaine cosmopolite et ouverte sur le monde qui se développe autour d’un grand aéroport. Selon lui, en effet, « les aéroports dessineront le développement urbain et l’implantation des entreprises au XXIe siècle comme l’ont fait les autoroutes au XXe, les chemins de fer au XIXe et les ports au XVIIIe. » Une aérotropolis fonctionne, comme l’explique Julien Ducoup dans un système concentrique : « L’aéroport en forme le cœur. Autour se développent des secteurs industriels, des services hôteliers, des services culturels et scientifiques, et enfin des écoles et des universités. »
Memphis, nouveaux modèles
John Kasarda estime à 84 le nombre d’aérotropolis dans le monde, opérationnelles ou en développement. L’exemple majeur en est Memphis, Tennessee. 670 000 habitants, 11 millions de passagers par an, 2e aéroport cargo mondial, 3e nœud ferroviaire et 4e port fluvial des États-Unis, 20 % des emplois de la logistique de tout le territoire américain. L’impact économique de son aéroport est estimé à 22 milliards de dollars. Fedex y a son siège historique depuis 1971. Sa présence, devenue même constitutive de l’aéroport, y a fait surgir de nouveaux modèles économiques. Ou plutôt c’est la fluidité des échanges, leur rapidité et leur facilitation qui les ont permis. Julien Ducoup cite en exemple l’installation d’une entreprise de réparation d’ordinateurs portables : « Quatre mille ordinateurs portables y sont réparés chaque nuit : vous êtes en déplacement professionnel à Memphis, votre ordinateur tombe en panne, vous l’envoyez à ce centre de réparation, il vous sera renvoyé le lendemain matin à votre prochaine destination. » Autre exemple : « Une entreprise a mis au service des chirurgiens une valise orthopédique. Le matériel médical y est préparé puis expédié au chirurgien. Lorsque celui-ci a terminé son intervention, il renvoie la valise à Memphis qui reconditionne le matériel. »
La ville-aéroport dans le polycentrisme
Placés loin des villes en raison de la taille de leurs infrastructures et des nuisances qu’ils génèrent, les aéroports, lieux fonctionnels, se sont érigés en nouveaux territoires. L’histoire de cette transformation est racontée ici par le géographe Jean-Baptiste Fretigny. Tout un système de flux et d’échanges, y compris les congestions engendrées par ces flux, mais aussi les caractéristiques propres à leurs échanges, les a progressivement tirés vers une forme de centralité. Centralité qui, sous nos yeux, est en train de se déployer en une nouvelle forme urbaine et qui entend bien entrer dans le jeu réticulaire de la mégapole. Une ville à côté de la ville, encore différente, mais concentrant toutes ses fonctions, toutes ses aménités. L’aérotropolis est donc en marche. Sur Roissy, des décideurs économiques ont pris les choses en main et ont lancé il y a quelques semaines une série de propositions. Reste à faire en sorte que cette « ville » que l’architecte François Leclercq présentait dans une conférence comme « une ville hors normes, une ville partiellement sans habitants, partiellement sans électeurs » ait tout de même quelque chose de la Cité.