Mis à jour le dimanche 19 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Valentine de Ganay, agricultrice.

INTERVIEW. Valentine de Ganay a entraîné ses neuf cousins, comme elle propriétaires de 500 hectares à quelques kilomètres de la capitale, dans un virage à 180°, qui questionne le modèle agricole du Grand Paris et son autonomie alimentaire.
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Qu’est-ce que Courances ?
C’est un ensemble de champs, d’un seul tenant, coupé seulement par l’autoroute du Sud, situé à l’extrémité ouest de la Forêt de Fontainebleau, entre le château et le village de Courances et celui de Fleury-en-Bière. Mon père était ingénieur agricole et gérait cette propriété familiale. Il était en adéquation avec son temps : la révolution verte, un maximum de chimie, des rendements exponentiels… Il n’était pas complètement dupe, il disait toujours « Il n’y a pas beaucoup d’intérêt à obtenir des rendements dingues si les charges augmentent en même temps ! » Le bénéfice devient alors dérisoire, tout cela est un peu absurde, il en avait lui-même conscience. Et puis, dans cette famille qui est la mienne, il y a une grande tradition de chasse qui a permis de protéger ce territoire. Le Parc Naturel Régional du Gâtinais Français, où se trouve Courances, ne l’était pas alors que le PNR n’existait pas encore, mais on y voyait déjà de petites parcelles et des haies, notamment pour préserver le paysage et abriter le gibier. Donc, chez nous, le remembrement (fait de réunir différentes parcelles en une seule afin d’effectuer une redistribution rationnelle pour l’agriculture, NDLR) a cogné un peu moins fort qu’ailleurs dans les années 1970… Cela a été une chance, même si, à la fin, nous nous sommes retrouvés un peu otages quand même.
Quel est votre projet pour Courances ?
Entre cousins, nous faisions le trajet en vélo qui sépare les deux châteaux : nous avions l’habitude de regarder, et de voir. Petit à petit, je me suis rendue compte que cela n’allait plus, que la plaine allait mal. J’ai convaincu mes cousins qu’il fallait changer de paradigme, d’ambition et de projet. Le modèle qui a sans doute présenté un intérêt à une époque n’est plus valide. C’est ainsi que depuis 2013, je suis en prise directe avec un peu plus de 500 hectares. C’est assez extraordinaire d’avoir une propriété d’un seul tenant à 50 kilomètres de Paris. A l’évidence, l’enjeu n’est plus de boursicoter sur les prix du maïs à Chicago, mais de voir comment on peut produire de la qualité pour un marché local. Bien sûr, ce sont des phrases très politiquement correctes : cela ne sera sans doute pas un marché local, entièrement, tout de suite. Je dépends quand même des coopératives qui font ce qu’elles veulent avec mon blé… C’est une vision à moyen terme, tout ne va pas être immédiat.
Quelles sont les grandes étapes pour qu’un jour, Courances nourrisse Paris avec une production bio de qualité ?
J’ai passé 70 hectares de la plaine en agroforesterie. Je crois que c’est le plus grand chantier d’agroforesterie au nord de la Loire. J’ai planté 2 000 arbres dans une finalité essentiellement agronomique, pour reconstituer les sols, apporter du compost de manière naturelle et régulière tous les automnes, compenser les stress hydriques que nous subissons de plus en plus… C’est un chantier important qui a été mené, avec un volet de restauration de haies. De manière générale, pour arriver à une agriculture bio rentable, j’ai pris un détour : l’agriculture de conservation. Cela n’a rien à voir avec l’agriculture raisonnée. Pour ceux qui pratiquent l’agriculture de conservation, le danger, beaucoup plus que les phosphates, c’est le travail du sol. J’ai décidé de m’approprier ces deux idéologies radicales et opposées. On ne laboure plus, on n’éventre plus le sol de Courances, et à terme, on n’utilisera plus de chimie. Parmi beaucoup d’autres, j’ai aussi le projet de réserver 60 hectares pour faire ce que l’on appelle des légumes de plein champs, une grande surface de légumes bio. Je me suis lancée dans ce projet-là parce qu’un de mes premiers complices dans cette idée folle de « nourrir Paris » a été Henri de Pazzis, le fondateur de ProNatura, et qu’il me fallait un débouché de production. Avec ProNatura, cela prend forme. Au début, j’étais seule : j’ai maintenant des soutiens. Preuve que, comme le dit l’un de mes nouveaux complices, le critique gastronomique Sébastien Demorand, « Il s’agit en fait d’une révolution agro-culturelle ». Il faut consolider tout cela maintenant et essayer de contrôler la filière de la fourche à la fourchette, même si cela ne sera pas possible sur tout.
À l’heure du Grand Paris en chantier, quel regard portez-vous sur son enjeu agricole ?
Un certain nombre de villes en Angleterre comme Birmingham, mais aussi en Allemagne, sont en autonomie alimentaire, à moins de 50 km. C’est possible. Je pense que le Grand Paris tombe à un moment historique, pendant lequel certains agriculteurs se questionnent et veulent réinventer leur métier. La majorité des agriculteurs ne le sont plus d’ailleurs… Ils sont éventuellement des financiers, s’ils sont très bons et très gros, des mécaniciens sur leurs tracteurs, des chimistes, mais ont perdu le lien avec les éléments, avec la terre. Le territoire du Grand Paris, l’Ile-de-France, remplit les conditions pour parvenir à l’autonomie alimentaire. De Pazzis m’a dit : « Avec cette surface, et à cette distance de Paris, vous avez un devoir d’exemplarité ». Il faudrait que les agriculteurs qui fassent le choix de ce virage soient beaucoup plus encouragés qu’ils ne le sont par les pouvoirs publics. Même si, en même temps, je ne suis pas forcément choquée par le fait que les subventions de la Politique Agricole Commune baissent. Ce n’est pas normal que cela fonctionne seulement à coup de subventions, ou presque ! Il faudrait que cela fonctionne tout court et que les gens aient envie d’acheter ce que vous produisez au bon prix… Je pense que cela peut changer.
je vous trouve extraordinaire , courageuse et compétente, j’ai le privilège de me promener tous les week end en modeste voisine, dans votre avenue de platanes avec mon chien et j’appréciais la beauté, maintenant en plus je partagerai vos efforts et votre courage ! Issue d’une famille qui n’a malheureusement pas su conserver et perpétuer son patrimoine, je vous admire d’autant plus. Et bravo pour vos légumes du samedi !
vous n’êtes pâs seul mais révolutionner l’agriculture ne se fera pas sans changer les circuits de distributions qui nous obligent à l’intolérable avec des prix de plus en plus bas. Un nouveau projet nait actuellement à paris avec le magasin participatif la « louve » qui cherchent des producteurs locaux pour pouvoir faire des prix locaux à faible empreinte écologique. Mais je salue une telle initiative de la part d’un grand propriétaire qui n’est pas forcément aussi aisée qu’il y parait, merci pour votre courage, sauver notre planète nous sauvera la vie ne l’oublions pas. Encore merci.
Pier
Bonjour Valentine de Ganay
Votre projet est enthousiasment !Et en tant que plasticien je me propose
de créer un événement culturel avec certain de mes confrères qui se sentent concernés par ce genre d engagement !
Nous pourrions nous rencontrer a Paris ou dans le 77 , Qu en pensez vous ?!
Cordialement
Camille Garbell TEL : 0663997156
je suis fier de ce que vous faites pour le château Valentine vous êtes en train d’innover votre papa peut reposer en paix, j’aimerai visiter un jour ce château et retrouver les trois petits chênes en souvenir de votre père qui restera pour moi un des plus importants, Monsieur le marquis de Ganay. bien cordialement.