Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Bertrand Lemoine, auteur du livre Les 101 mots du Grand Paris.

INTERVIEW. Bertrand Lemoine a été directeur général de l’Atelier International du Grand Paris pendant près de 4 ans. De ces années foisonnantes au cœur du projet du Grand Paris, il a tiré la matière pour écrire, non pas un témoignage, mais un petit livre riche et singulier, « Les 101 mots du Grand Paris », paru ce mois-ci chez Archibooks. Entre l’encyclopédie, l’abécédaire et la réflexion prospective, il met des mots sur la réalité complexe du Grand Paris.
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D’où vient l’idée de ce livre ?
Après avoir quitté la direction générale de l’Atelier International du Grand Paris, j’avais envie d ‘écrire, non pas autour de l’histoire de l’Atelier, mais sur le Grand Paris lui-même car c’est un sujet que j’ai beaucoup fréquenté pendant 3 ans et demi. La collection « Les 101 mots » existait avec plusieurs titres et sa forme était assez appropriée. Le Grand Paris est un vaste concept, très complexe. 101 mots permettent d’y entrer par 101 portes grâce à un abécédaire un peu ramassé. Il permet d’embrasser en un coup d’oeil panoramique la réalité du Grand Paris.
Vous avez donc été partie prenante de l’histoire récente du Grand Paris, qu’est-ce que cela apporte au livre ?
Cela m’a permis d’être aux premières loges, de rencontrer tous ces acteurs que je cite et d’observer au plus près la réalité du terrain. L’Atelier du Grand Paris avait pour mission d’être une espèce de catalyseur. Cela me donnait une position d’observateur, engagé, mais surtout privilégié. J’ai donc découvert moi-même cette réalité complexe dans tous ses aspects, très différents et interconnectés. Je les ai aussi éprouvés au quotidien, concrètement, mais aussi en lisant, en observant, en conférençant…
J’ai ensuite beaucoup retravaillé cette somme d’expériences pour chercher une information qui n’est pas facilement disponible, qu’il faut recouper, reconstruire à travers toutes les données qui existent sur cette grande métropole. L’ambition du livre est de donner de manière un peu synthétique une masse de notions, de faits, de chiffres, qui soit éclairante, qui donne mieux à comprendre. Avec une volonté pédagogique de ma part : au-delà du témoignage personnel, expliquer.
Pourquoi, et pour qui, ce livre était-il nécessaire ?
Il y a eu un certain nombre de livres sur le Grand Paris, signés par des chercheurs, des universitaires, des acteurs, des témoins… Christian Blanc en avait fait un, à l’époque. Mais peut-être pas sous une forme à la fois concise et accessible. Car ce n’est pas un travail universitaire… Pourquoi accessible ? Profondément, je pense que le Grand Paris est une réalité, mais aussi un grand projet qui implique des millions de personnes.
Il ne se fera que quand il y aura une dynamique collective, qui nous permettra d’avoir le sentiment de vivre dans la même entité urbaine, dans la même métropole. De vivre ensemble ou du moins à côté, et en tous cas de partager une espèce de destin commun.
Pour cela, et ce n’est pas ce livre qui va épuiser le sujet, il y a un travail à faire à la fois didactique, fédérateur, de débats et d’appropriation par les habitants de ce Grand Paris. Pour moi, le but, c’est qu’à un moment donné, on se sente d’une part bien et d’autre part habitants d’une même entité. Que chacun puisse se dire « j’habite dans le Grand Paris », ou au moins à Paris. Paris demande à prendre une acceptation plus large que celle d’aujourd’hui.
« Les 101 mots du Grand Paris », ce sont des définitions. Est-ce une tentative de permettre à tous, acteurs ou citoyens, de parler le même langage ?
Du moins de commencer à partager un certain nombre de mots, d’expressions, de termes, qui permettent de parler de la même chose. Parce que c’est vrai que le Grand Paris, tout le monde en a entendu parler, mais personne ne sait exactement ce que c’est. Il y a certes quelque chose qui est installé, dont on a conscience aujourd’hui de manière commune, ce qui n’était pas le cas il y a 5 ans. C’est pour moi la première étape du Grand Paris. Nous ne sommes pas seulement dans une ville avec sa banlieue comme elle est apparue au 20ème siècle… Mais cette conscience a besoin de se nourrir de références et de concepts communs pour que l’on mette des mots et des réalités sur ces projets partagés, même si certains peuvent faire débat. Nous ne sommes pas dans des projets unanimistes mais bien dans une dynamique collective, qui est importante. Ce nouveau phénomène urbain, cette métropole, est toute neuve, très récente. Nous n’avons peut-être pas eu le temps de nous approprier cette nouvelle réalité. Elle est à faire, elle est à écrire, c’est un sujet nouveau.

Pour en parler, 101 mots, c’est beaucoup et en même temps très peu… Les mots qui ont trait au transport, à la mobilité, sont tout de même une vingtaine… Est-ce vraiment un hasard ?
Non, ce n’est pas un hasard. Le Grand Paris n’a pas 50 000 enjeux majeurs… Il y a un enjeu identitaire, qui peut se décliner en forme de gouvernance. La gouvernance, au fond, c’est la traduction d’une organisation d’un territoire et du fait d’y vivre ensemble. C’est en sujet en cours de débat, de discussion, de projet de loi, qui va d’ailleurs évoluer. Ensuite, il y a la question du logement mais qui est surtout celle de son coût. Après, il y a évidemment des questions de qualité de vie, de préservation de la nature… Autre point, bien sûr, l’attractivité économique du Grand Paris, qui est de fait une métropole très puissante : l’Île-de-France représente 30% du PIB de la France. Cet enjeu recouvre également l’enseignement supérieur, la recherche, l’installation des entreprises…
Et puis, il y a la question de la mobilité, qui est cruciale car nous sommes dans une grande métropole. Sa taille pose la question de la mobilité individuelle, collective, sur tous les modes de transport. On voit d’ailleurs qu’une grande partie des investissements et de la dynamique du Grand Paris s’articule autour de ces questions de mobilité. Elles sont prégnantes et ne touchent pas qu’à l’organisation technocratique de l’espace. Elles touchent au quotidien. Tout le monde se déplace. La mobilité facilitée est un enjeu métropolitain très important.
Avec certains mots, vous ouvrez des pistes de réflexion, avec d’autres un questionnement. Qu’est-ce qui vous pose aujourd’hui question dans le Grand Paris ?
Il y a effectivement cette tentative de ma part : ouvrir quelques perspectives sur des points dont on pourrait imaginer différemment l’organisation, ou la renforcer. Mais certaines questions restent ouvertes, comme celle du logement, qui n’est pas évidente. Elle est complexe, avec des enjeux fonciers, sur le mode de financement, sur le logement social, la mobilité résidentielle… Ce sont des enjeux importants et sensibles : bien malin qui pourra trouver la bonne réponse ! Il n’y a pas « la » bonne réponse d’ailleurs… Il y a des choses sur lesquelles je n’ai pas de certitudes ou de solutions marquées, même si des pistes de réflexions peuvent se dessiner. De manière générale, le Grand Paris est une question ouverte et une œuvre collective.
Certains pourraient regretter qu’il n’y ait pas un préfet comme Haussmann qui prenne tout cela en main, appuyé par un souverain éclairé. Mais nous ne sommes plus sous le Second Empire, et, à mon avis, on ne peut pas tout à fait agir de cette manière dans notre société démocratique. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne puisse pas y avoir de décisions politiques… Mais nous sommes aujourd’hui dans une société de partage, de débat et de consensus.
Souvent, on voit bien que les solutions à l’emporte-pièce ne sont que des illusions, des faux-semblants. Le Grand Paris c’est d’abord une réalité, puis la prise de conscience de cette réalité et ensuite cette question : comment peut-on faire pour agir sur cette réalité, la transformer, l’adapter, en fonction d’objectifs qui soient à la fois le mieux-être pour chacun, la qualité de vie, le rayonnement international, le pouvoir d’attraction pour les investisseurs ? Il y a donc dans ce livre la volonté de rendre compte, comme une description encyclopédique, mais en même temps, de provoquer une réflexion partagée par tous.
D’autant que l’idée que le Grand Paris est en mouvement est très présente entre les pages du livre…
Absolument. Le Grand Paris est une dynamique sur le long terme, qui bouge, ce qui ne veut pas dire qu’il ne puisse pas y avoir d’effets sur le court terme. On me demande parfois : « Le Grand Paris, ça se finit quand ? Et quand est-ce que ça a commencé ? » alors que c’est un processus continu. Avec, bien sûr, des moments de concrétisation ou d’accélération, comme dans l’histoire de Paris au 19ème. Aujourd’hui, l’important est de comprendre qu’on est dans une dynamique de mouvement, et qu’il est plus ou moins lent, plus ou moins intense, y compris de manière différenciée sur les territoires. On a parfois une vision un peu trop globalisante : certains endroits du Grand Paris n’auront pas bougé dans 20 ans alors que d’autres, oui. On le voit déjà aujourd’hui.
Est-ce en raison de son échelle ? Vous utilisez à propos du Grand Paris le terme « continent »…
Le Grand Paris n’est plus seulement une ville. J’utilise cette métaphore pour expliquer que dans un continent, il y a des territoires, des pays même, des géographies différentes, une très grande variété. Cette multiplicité et cette échelle sont difficiles à appréhender. Personne n’a vu tout le territoire du Grand Paris : on n’en connait qu’une partie. Il reste à découvrir et à explorer. Nous sommes dans une échelle de l’ordre de la géographie, et pas simplement de la ville.
« Les 101 mots du Grand Paris » par Bertrand Lemoine, Éditions Archibooks, 2015, 160 pages, 13,90 €