Mis à jour le mercredi 29 mai 2024 by Olivier Delahaye
Prévu pour 2021, le nouveau site de l’Artillerie de l’Institut d’études politiques de Paris ouvrira en 2022. Il est le maillon essentiel du campus que veut façonner Sciences Po pour faire face à ses enjeux.
VIDEO. Dans le 7e arrondissement de Paris, l’Institut d’études politiques (IEP) compte pas moins de dix-sept bâtiments qu’il loue ou possède, le tout sur un périmètre très restreint et plus ou moins autour de son site historique du 27, rue Saint-Guillaume. Cet éclatement sur des distances faibles fait certes de Sciences Po un campus urbain tissé par les déplacements de ses étudiants, mais il concourt tout autant à « liquéfier » spatialement l’école. Regrouper plusieurs de ces sites est devenu un véritable enjeu. À la fois pour accueillir dans de meilleures conditions 13 000 étudiants (contre 3 000 à l’aube des années 1990), pour rivaliser avec la London School of Economics ou New York University, par exemple, ou encore pour se muer en un lieu d’enseignement moderne, c’est-à-dire ouvert sur la ville et même adresse de passage de la citoyenneté. Et donc…
Poursuivez votre lecture
… tout commence en 2010 quand…
… l’État met sur le marché plus de 100 000 m2 de bureaux, casernes et résidences occupées par différents corps d’armée. Cinq ans plus tard en effet, près de 10 000 personnes liées au ministère de la Défense intégreront son nouveau site de Balard, dans le 15e arrondissement. Parmi les bâtiments concernés par le grand déménagement : l’hôtel de l’Artillerie, occupé par le Contrôle général des Armées. Cet ancien couvent dominicain, classé aux Monuments historiques, est situé place Saint-Thomas-d’Aquin, à quelques encablures de la rue Saint-Guillaume.
En juin 2016, l’IEP achète les 14 000 mètres carrés de l’ensemble immobilier pour 87 millions d’euros et lance un concours d’architecture pour le transformer. Le 11 janvier 2018, le projet du lauréat est dévoilé. Un consortium d’architectes a été désigné sous l’égide du promoteur Sogelym-Dixence : Wilmotte & Associés, l’agence Moreau Kusunoki et le cabinet international Sasaki. Les premiers coups de truelle sont donnés un an et demi plus tard et la première rentrée des étudiants est prévue pour 2021. Une pandémie plus tard, Campus 2021 est devenu Campus 2022.
Pourquoi Campus ?
Parce que Sciences Po Paris va rationaliser son espace d’enseignement sur un périmètre moins diffus, mieux identifié, constitués de deux pôles de part et d’autre du boulevard Saint-Germain.
Au sud, l’ensemble historique autour du 27, rue Saint-Guillaume (56 rue des Saints-Pères, 30 rue Saint-Guillaume et 9 rue de la Chaise) accueillera :
- le Collège universitaire,
- l’executive education,
- les amphithéâtres historiques,
- la bibliothèque historique,
- les services administratifs.
Au nord, autour du site de l’Artillerie (1, place Saint-Thomas-d’Aquin /13, rue de l’Université, 28, rue des Saints-Pères) va se constituer un lieu d’interdisciplinarité et d’échanges. On y trouvera :
- – un guichet unique pour les étudiants,
- – les écoles de niveau master,
- – les centres de recherche,
- – une nouvelle bibliothèque de 1 000 m2,
- – un incubateur dédié à l’entrepreneuriat (300 m2),
- – une maison des Sciences Po pour les alumni,
- – une grande cafétéria.
Trois cours
Si elle conserve l’essentiel des bâtiments datant du XVIIe siècle, la rénovation du site de l’Artillerie prévoit une restructuration des espaces et des voies ainsi que la construction d’un nouveau pavillon pour accueillir la cafétéria, l’incubateur et la maison des Sciences-Po. Trois cours distribuent les lieux : la cour Sébastopol qui concentrera les activités de recherche ; la cour Treuille de Beaulieu qui accueillera un jardin partagé ; et la cour Gribeauval, la plus importante, véritable cour de récréation pour étudiants où doivent se nouer les échanges grâce à un « jardin des savoirs », un amphithéâtre à ciel ouvert et le fameux pavillon. La cour Gribeauval servira aussi de connexion entre la longue allée qui provient de l’entrée de la place Saint-Thomas-d’Aquin et les bâtiments du 13, rue de l’Université.
Vin naturel ou existentialisme ?
Pour « articuler la France des Lumières avec celle des nouvelles technologies », les concepteurs du projet ont lorgné du côté de Reims où le dernier-né des campus de Sciences Po en province, installé dans un ancien collège jésuite du XVIIe siècle, a fait l’objet d’une rénovation d’ampleur alliant aussi bâti historique et innovations techniques. Mais ils ont se sont surtout intéressés aux campus anglo-saxons. Comment le MIT au Massachusetts parvient à susciter l’envie de chercher en alliant transparence et intimité, comment la New York University sait se mettre au service de ses étudiants afin de faciliter leur enseignement ou encore comment la London School of Economics a su s’ancrer dans la ville.
Pour la Ville de Paris qui, en 2016, a participé à faciliter l’achat de l’hôtel de l’Artillerie par l’IEP, l’enjeu est aussi celui-là : recréer de la perméabilité entre la vie culturelle, la vie de l’esprit, et les trottoirs de la capitale. « Certes, le Saint-Germain-des-Prés existentialiste est derrière nous et il n’est pas utile de céder à la nostalgie », témoigne Jean-Louis Missika sur le blog du projet. Tout en expliquant : « L’évolution de Saint-Germain-des-Prés est préoccupante. Le commerce de la mode devient hégémonique, le phénomène AirBnb et celui des résidences secondaires amènent des usagers qui ne sont là que de passage. » Alors que les étudiants sont happés vers des sites périphériques, vers Saclay, vers le Campus Condorcet, alors que le Grand Paris se concrétise à travers ses centres de recherche, faut-il fatalement que le Quartier latin, l’un des berceaux européens de la vie des idées, soit abandonné aux concept stores, aux boutiques de vin naturel et aux épiceries fines ? Après tout ?