Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Carol Galivel, auteur de Au secours, les recours !

INTERVIEW. Les recours abusifs sont-ils devenus la plaie du monde de l’immobilier ? Dans son livre « Au secours, les recours ! », Carol Galivel dénonce « un mal français » qui d’un principe vertueux s’est mué en vice caché. Certes, l’auteure est partie prenante puisqu’à la tête d’une agence de relations publiques (Galivel & Associés) dont les clients sont ces promoteurs qui ont maille à partir avec les requérants. Ceci étant, elle pointe du doigt un véritable nœud : comment concilier démocratie – le droit au recours pour tous et chacun – et intérêt commun – bâtir, aménager, et créer des logements pour tous.
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Comment est venue l’idée de ce livre ?
C’est le fruit de plus de 30 ans d’expérience dans l’immobilier. J’ai constaté, chez mes clients, la problématique du recours revenir de plus en plus régulièrement. On en n’entendait pas parler autant il y a 25 ans, c’est monté crescendo jusqu’à ce que cela devienne systématique, jusqu’à ce que je comprenne que cela pouvait, dans certains cas, s’apparenter à un véritable racket organisé, jusqu’à ce que je vois apparaître dans les lignes de bilan de certaines opérations des provisions pour les recours.
Qu’est-ce qui a permis cette dérive vers le recours abusif ?
Rien de particulier, juste une faille dans laquelle se sont engouffrés des avocats sans doute. Il se dit que bon nombre d’entre eux vont jusqu’à aller trouver des habitants situés face à un chantier pour leur expliquer qu’ils ont la possibilité d’attaquer et de gagner de l’argent.
Il y a donc des professionnels du recours ?
Paraît-il. Certains ont été épinglés d’ailleurs. Pas forcément des avocats. Dans le livre, je raconte l’histoire d’un promoteur qui avait engagé un détective pour finalement découvrir que le recours dont son opération faisait l’objet provenait en fait d’un concurrent et de salariés de sa propre entreprise.
Qui sont les requérants, en général ?
Monsieur tout-le-monde, les associations, environnementales ou de quartier. Dès lors que l’on fait miroiter à un particulier qu’il peut gagner de l’argent sans rien dépenser… Car déposer un recours est extrêmement simple et les promoteurs sont souvent prêts à négocier pour qu’il soit levé. Bizarrement, comme le dit Yoann Joubert (président de la société de promotion REALITES, NDLR) dans le livre, quand le chèque arrive ce qui était gênant ne l’est plus : la vue, l’ensoleillement…
Bien sûr, il y a aussi les personnes dont la vie a changé parce qu’on a construit en face de chez eux et qu’ils n’ont pas réussi à se battre. Le recours existe pour ça. Mais encore faut-il qu’il soit vraiment fondé. Avenue Matignon, à Paris, un promoteur a enduré 13 recours pour un même projet. Ils provenaient tous de trois associés d’une même SCI. Chacun, à tour de rôle, lançait une action et chacun allait en justice avec exactement le même dossier.
Le promoteur peut-il continuer tout de même à construire durant la période du recours ?
En théorie il le peut mais il ne le fait pas. Il peut prendre ce risque en estimant que le recours est malveillant et que son opération aboutira. Le problème est que tant que le recours ne sera pas définitivement levé, le notaire ne signera pas d’acte de vente de son programme et les banques seront très frileuses pour le financer.
L’ordonnance Duflot va-t-elle améliorer les choses ?
Fondamentalement, non. Elle a essayé, mais elle n’est pas allée au bout. Il faudrait une véritable volonté politique, elle n’est pas là.
Que faudrait-il mettre en place ?
De véritables sanctions. Dire que si vous attaquez un projet il faut être sur de votre coup, il faut des armes solides, et que ce n’est pas juste parce que le truc qui se construit en face de votre fenêtre vous déplait. En écrivant le livre je ne pensais pas parvenir au constat d’un tel manque de courage politique sur ce problème – j’avais plutôt dans l’idée qu’il existe un nombre anormalement élevé de recours en France -, mais c’est le cas. C’est le règne du « Never in my backyard », « surtout pas chez moi ».
Le sport national c’est de vandaliser ou de déplacer le panneau du permis de construire, par exemple, et de faire constater par huissier que le panneau n’a pas été installé. Les promoteurs étant dans l’obligation légale de le faire, vous avez la preuve que le chantier n’est pas conforme.

Mais vous êtes de parti-pris, vous assurez la communication des promoteurs.
Oui, je suis de parti-pris. Et bien sûr, je n’ai pas évoqué dans mon livre les personnes qui souffrent à cause d’un programme immobilier. Cela existe et le recours est là pour y pallier. Simplement, quand je vois que se monte une bagarre juridique pour une palissade, je me dis qu’il y a quelques excès. On n’est plus vraiment dans une démarche logique de conformité, on est dans l’affectif ou dans la recherche de profit.
L’abondance de recours ne pointe-t-elle pas en creux un manque de démocratie, de participation citoyenne aux projets urbains ?
Non, plus aujourd’hui. Quand un promoteur monte un projet, il le fait forcément avec la ville, ses élus. Sur les grands projets, il se met en place une concertation, des enquêtes et des débats publics, parfois des expositions où l’on explique le pourquoi du comment. Les riverains y sont conviés, ils peuvent se renseigner, connaître les nuisances que l’opération va engendrer. Sur les petits projets, il existe des enquêtes de voisinage.
Une erreur de pédagogie a pu être commise, mais c’était il y a vingt ans. Aujourd’hui, les promoteurs passent leur temps à communiquer. Bizarrement, plus ils communiquent plus il y a de recours.
Vous savez les règles d’urbanisme sont telles aujourd’hui que lorsqu’un permis de construire est affiché, il y a de sérieuses chances pour qu’il soit conforme. Mais les possibilités de recours sont tellement vastes que n’importe quel permis de construire est pourtant attaquable.
Quels sont les impacts financiers pour les promoteurs ?
Un chantier arrêté, c’est un chantier qui va prendre X années de retard, le préjudice est énorme. Et surtout insoupçonné. Prenons le cas d’un centre commercial. Vous montez votre opération et vous vous projetez sur la façon de consommer des Français, vous prévoyez vos boutiques, le type de consommateur potentiellement intéressé, etc. Et puis arrivent les recours et votre centre commercial met plus de 15 ans à se construire – comme ce fut le cas pour celui des Passages à Boulogne-Billancourt -, alors vous êtes obsolète, le système de consommation sur lequel vous vous êtes basé est totalement à revoir. Pour du logement, si vous avez trois ou quatre années de retard, vous pouvez espérer que le marché ne se sera pas totalement retourné d’ici là. Mais si cela dure dix ans, ce sera peut-être l’architecture qui sera dépassée ou les technologies, la domotique, et là vous devrez revoir votre projet. Dès qu’un permis de construire est délivré, il faut s’assurer que le projet sera encore valable dans dix ans. Il ne l’est pas ? Alors vous devrez peut-être le retravailler, remettre un architecte dessus, refaire une campagne marketing, etc.
Cela impacte le coût final ?
Évidemment. Un programme immobilier qui met dix ans à se faire ne sort pas au même coût qu’un autre qui se fera dans le timing prévu.
Mais les promoteurs s’assurent contre ce risque.
Non. Un assureur avait lancé l’idée d’assurer contre le risque de recours. Ça ne s’est pas fait. La seule chose qu’ils peuvent faire est de le provisionner. Si vous additionnez cela aux frais de justice, aux indemnités payées pour avoir la paix, vous augmentez nécessairement le prix de l’immobilier. Et si vous gagnez en justice contre une association pour recours abusif, vous savez qu’elle n’aura qu’à être dissoute pour éviter les dommages et intérêts. Elle pourra même renaître de ses cendres en changeant de nom et recommencer. Juridiquement il n’y a aucun moyen d’arrêter cela.

« Au secours, les recours », de Carol Galivel, Prado-Louvre Editeur, 2014, 15€