Celle qui décrypte et dessine les territoires

©Bruno Lévy pour IAUîdF

Mis à jour le samedi 11 juillet 2020 by Olivier Delahaye

PORTRAIT. Pour la première fois de son histoire, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAUîdF) est dirigé par une femme. Humaniste et exigeante, Valérie Mancret-Taylor, partage sa vision lucide mais enthousiaste du Grand Paris et de l’Île-de-France.

 « Enfant, je dessinais tout le temps ; je rêvais de m’occuper d’espace ». Pas celui des cosmonautes, l’espace concret des territoires, des champs et des villes. « La façon dont l’être humain se représente me fascine ; cela raconte beaucoup de choses sur les sociétés », lance-t-elle en introduction. Valérie Mancret-Taylor a vu ses aspirations dépasser la réalité. En 25 ans, cette passionnée a conçu et supervisé des centaines de cartes et de dessins. Pour des clients privés lorsqu’elle travaille en cabinet indépendant et surtout pour les acteurs publics qu’elle accompagne étroitement depuis 15 ans.

« Le bâtiment est comme un être humain »

Valérie grandit dans l’ouest parisien avant d’intégrer l’École d’architecture de Versailles. « Au-delà de l’édifice, ce qui m’intéressait déjà, c’était la dimension sociale de l’architecture, la façon dont l’homme vit », souligne celle qui va décider de compléter son cursus à Chicago. « Je voulais dépasser l’approche française souvent centrée sur la construction, l’enveloppe, l’édifice. Je savais déjà que je voulais agir sur l’existant, travailler à une architecture moins compartimentée, plus quotidienne, plus « banale » finalement. Parce que simplement j’aime les gens », souffle-t-elle avant d’ajouter : « Le bâtiment c’est comme un être humain : ça respire, ça doit laisser circuler les personnes et les intervenants pour le réaliser : électriciens, peintres, couvreurs, maçons…tout doit être coordonné ! »

Outre-Atlantique, elle apprend donc à construire et gérer un chantier du début jusque la fin. Elle y apprécie l’approche plurielle, ouverte sur les métiers connexes à l’architecture : promotion immobilière, paysages, conservation des bâtiments, équipements intérieurs…. « J’ai aussi perfectionné mon anglais et rencontré celui qui est devenu mon mari. Peut-être le seul Américain de l’époque qui voulait devenir architecte en Europe », sourit-elle.

De retour en France, elle travaille sur des réhabilitations en milieu occupé. Sa mission : intégrer, dans des petits logements HLM construits dans les années 30, une salle de bains. « Cela impliquait la transformation d’un existant contraint mais aussi l’augmentation de la valeur locative. J’ai appris alors la négociation citoyenne (nous n’étions pas toujours les bienvenus) et le conseil auprès des habitants (pour leur permettre d’accéder notamment à des aides au logement). »

Cette aptitude au dialogue lui sera précieuse tout au long de son parcours.

Repères

1989 : architecte DPLG, École d’Architecture de Versailles
1990 : School of architecture university of Illinois (Chicago)
1990 : architecte associée, cabinet DPM architectes
1998 : master en aménagement et urbanisme de l’Institut d’études politiques de Paris
1999 : architecte urbaniste de l’État
1999 : déléguée départementale de l’ANAH pour Paris, à la Préfecture de Paris
2003 : responsable du groupe « urbanisme & projets spatiaux » à la division urbanisme et schéma directeur, au sein de la Direction départementale de l’équipement
2005 : chef de mission SDRIF puis Directrice de la planification, de l’aménagement et de la stratégie métropolitaine à la Région Ile de France.
Depuis avril 2014 : directrice générale de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAU)

« Nous sommes là pour décrypter et proposer »

En 2001, l’exécutif parisien change et développe l’ambition d’augmenter le parc de logements sociaux et surtout de réhabiliter un parc privé dégradé. Vastes défis urbains que Valérie Mancret-Taylor, alors déléguée de l’ANAH pour Paris (Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat) prend à bras le corps, en lien avec l’État et la Ville de Paris. « C’est alors que j’ai commencé à faire ce qui me plaisait véritablement : l’aménagement du territoire. »

Passion amplement nourrie quand elle rejoint d’abord la DRIEA en 2003 puis prend la tête de la mission SDRIF[1] à la Région Île-de-France. « De 2005 à 2014, ce furent 9 années très intenses. Façonnée par différentes étapes de décentralisation, cette vaste collectivité territoriale est en pleine effervescence. Les équipes y travaillent avec ardeur, parfois jour et nuit, semaine et week-end. Les politiques publiques s’inventent, il y a toujours à réfléchir, concevoir, développer… Le tout en lien permanent avec des élus dont il s’agit d’éclairer et d’accompagner les décisions. »

On imagine la complexité – l’instabilité aussi – des contextes humains, économiques, environnementaux et politiques. Mais cette « sportive », qui nage 2 km par semaine, est endurante. Depuis un an, cette maman de deux jeunes filles a quitté la collectivité régionale pour rejoindre l’IAU et ses quelques 200 talents. « J’aime manager les équipes, stimuler les intelligences collectives, libérer les énergies. Mes collaborateurs savent que je suis très exigeante tout en essayant de rester objective, intuitive, créative et ouverte à la critique. Nous sommes là pour décrypter et proposer. »

« Un travail par petites touches »

Le Grand Paris est un sujet complexe où les citoyens ont du mal à se repérer. « Nous voudrions pourtant qu’ils comprennent le mieux possible ce qui se passe. Car nous vivons une période incroyable de transformation. Depuis la réalisation des RER et des villes nouvelles des années 60, rien d’aussi important n’avait été imaginé à l’échelle française et européenne. Ce chantier va créer des logements, des emplois et générer une transition énergétique inédite. Le tout avec un système institutionnel qui se configure progressivement… »

Pour l’architecte, le Grand Paris est une Ville monde en passe de devenir une marque. « On compare souvent les capitales française et britannique, estimant que Paris est en retard, notamment sur l’intermodalité, les mobilités alternatives ou les liaisons douces…. la réalité est beaucoup plus nuancée et en pleine évolution, il ne faut pas s’auto-flageller. » Vaste territoire composé de 32 arrondissements (boroughs), le Grand Londres est en négociation permanente avec les boroughs et le gouvernement, dans un modèle capitaliste assumé où finances et statut de capitale boursière sont prépondérantes.

« L’économie francilienne est plus diversifiée, moins dépendante de la finance ; pour autant une large place est accordée à l’économie tertiaire et quaternaire, sans oublier une activité agricole dynamique et celle qui est attachée à un certain art de vivre (économie créative et touristique par exemple), ni les efforts déployés en termes d’accessibilité et de construction de logements dont le rythme est deux fois plus important qu’à Londres. Tout cela est très complémentaire. », analyse Valérie Mancret-Taylor avant de conclure : « La transformation du territoire va être prépondérante. Nous ne sommes plus uniquement dans une logique d’extension mais dans une combinaison d’extension et de remobilisation de l’existant, en intervenant en milieux occupés. C’est un travail par petites touches – 1 570 projets sont en cours dans la Région –, c’est moins spectaculaire mais ça se réalise progressivement et de gros enjeux environnementaux, économiques et sociaux sont à l’œuvre. Tous ces chantiers seront difficiles à réaliser car nos systèmes sont entropiques et complexes. Mais c’est cela précisément qui est intéressant : toute contrainte oblige à la créativité ! ».

Que fait l’IAUîdF?

Créé en 1960 par l’État et reconnue Fondation d’utilité publique, l’IAU procède à toutes études, enquêtes et recherches ayant pour objet l’aménagement et l’urbanisme dans la Région Île-De-France ou tout autre territoire français ou étrangers qui le lui demanderaient.

  • Sa mission centrale : réaliser les études et travaux nécessaires à la prise de décision des élus du Conseil Régional d’Île-De-France. De l’échelon local à l’échelon des grandes métropoles, il intervient notamment dans de nombreux domaines :
  • L’aménagement du territoire, urbain et rural ;
  • L’environnement, l’écologie et le paysage ;
  • Le développement durable (indicateurs) ;
  • La mobilité et les transports ;
  • L’économie et les finances locales ;
  • L’habitat et le logement ;
  • L’emploi et la formation ;
  • L’action foncière ;
  • Les équipements et services à la population ;
  • La sécurité et la prévention ;
  • La cohésion sociale ;
  • La santé ;
  • Le sport ;
  • Les nouvelles technologies et l’information géographique ;
  • L’action internationale.
  • Le programme d’études répond aussi aux demandes formulées par ses autres administrateurs et partenaires, au premier rang desquels l’État.
  • L’IAU IDF apporte également son soutien aux politiques d’aménagement et de développement des communes, des intercommunalités et des départements.
  • Il réalise pour les organismes qui lui en font la demande des études portant sur les thèmes précités, tant en Île-de-France qu’à l’étranger.

[1] Le schéma directeur de la région d’Île-de-France (SDRIF) est un document d’urbanisme et d’aménagement du territoire qui définit une politique à l’échelle de la région Île-de-France. Il vise à contrôler la croissance urbaine et démographique ainsi que l’utilisation de l’espace, tout en garantissant le rayonnement international de la région.

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