Mis à jour le samedi 11 juillet 2020 by Olivier Delahaye
PORTRAIT. Marie-Célie Guillaume, directrice générale de Defacto, l’Etablissement public en charge de gérer La Défense, partage sa vision féminine du puissant quartier d’affaires ; et souligne son rôle dans le Grand Paris. Avec son style : libre, direct et sans langue de bois.
Dans les rues de Buenos Aires où elle a grandi, Marie-Célie Guillaume adorait vivre dans les arbres. « J’étais un peu garçon manqué et j’aimais prendre de la hauteur », se souvient-elle. Quelques décennies plus tard, la voici au 26e et dernier étage de la tour Manhattan, siège de Defacto, en plein cœur de La Défense. Avec cette vue à couper le souffle qui chaque jour l’émerveille. « Mais qui donne le vertige à certains hommes », sourit-elle.
De la hauteur, cette quadra combative en a prise, au gré d’un parcours généreux en péripéties.
ADN international et res publica
Fille du baron Alain Guillaume, ambassadeur du Royaume de Belgique, Marie-Célie naît en Grande-Bretagne, grandit au Canada et en Argentine avant de passer ses années-lycée à Paris. Elle poursuit des études littéraires – hypokhâgne, khâgne – et intègre Sciences po. Cursus parfait complété par un Master en relations internationales décroché à Boston. « J’étais mal à Paris, je n’aurais jamais cru y rester », admet-elle, regardant la Ville Lumière qui s’offre à l’acuité de son regard bleu gris en cette belle fin d’après-midi. C’était sans compter sur la main secrète du destin : elle rencontre son mari dans l’hexagone et fonde une famille de trois garçons, aujourd’hui âgés de 8 à 19 ans.
Après avoir travaillé dans la communication publique et les réseaux, elle rejoint Patrick Devedjian, devient en 2002 sa conseillère en communication au Ministère des libertés locales puis de l’Industrie, avant de diriger en 2007 son cabinet au sein du puissant Conseil général des Hauts-de-Seine (6 500 agents). Un département que le nouveau Président Nicolas Sarkozy considère comme son fief…
Se livrer dans un livre
Cette femme de tempérament qui se rêvait reporter de guerre, vivra de l’intérieur la brutalité du combat politique. Témoin des luttes intestines et fratricides en Sarkozie, elle résiste aux pressions, reste campée sur ses valeurs d’intégrité ; et se fait nombre d’ennemis, au premier rang desquels les époux Balkany. Quand Nicolas Sarkozy manœuvre en coulisses pour imposer son fils Jean, 23 ans, sans diplôme ni expérience, à la tête de l’EPAD[1], elle est ulcérée. Sur la forme, c’est une bien mauvaise manière faite à son patron, qu’elle défendra sans relâche ; sur le fond, « l’affaire est en contradiction flagrante avec le message fondateur de 2007 sur le travail et le mérite », souligne-t-elle. Face aux menaces, intimidations et agressions diverses, sa combativité, son aplomb et son humour se mêlent à l’effarement. Elle cache sa sensibilité et ronge son frein, encaisse en silence mais n’oublie aucun détail de la violence de la galaxie politique où elle est plongée.
Sorti en juin 2012, entre les deux tours des législatives qui succèdent à l’élection de François Hollande, son livre – Le Monarque, son fils, son fief – fait l’effet d’une bombe. Il déchainera les fourches caudines de l’ex-Président et de ses courtisans. Ecrite avec verve et humour, cette fable croquignolesque, qui se déroule dans la Principauté de « Rockyland » (comprendre les Hauts-de-Seine) est riche en dialogues et personnages, jamais nommés mais clairement identifiables. Et donc identifiés. Assumant avec courage et élégance, elle revient spontanément sur cette période bousculée : « Femme de l’ombre, je ne cherchais pas la lumière. Mais l’emballement médiatique et plusieurs passages dans les médias – au Grand Journal ou chez Laurent Ruquier – m’ont propulsée sur le devant de la scène. J’ai été dépassée par un succès éditorial[2] que je n’avais pas escompté. »
Pourquoi avoir écrit ce livre alors ? « J’avais sans doute comme beaucoup le fantasme d’écrire », dit-elle modestement.
A moins que ce ne soit une thérapie. « Mon combat ressemblait à celui de David contre Goliath. J’étais écœurée par le système et certaines pratiques. Au lieu de m’effondrer et d’avoir peur, je m’en suis nourrie. Finalement nous avons gagné. Mais à la fin j’étais KO, épuisée, je ne supportais plus les élus, je vomissais la politique au sens propre et figuré. J’ai donc écrit et ça m’a soigné. » A bien la regarder, on se dit qu’il a en a fallu beaucoup pour épuiser cette guerrière amazone, descendante de Maréchal d’Empire. Le livre, qui oblige Patrick Devedjian à la licencier à contrecœur fin juin 2012, lui aura permis dit-elle de « passer à autre chose ». « J’ai créé une entreprise et travaillé dans un tout autre domaine, prenant du champ avec la politique. »
Repères
1993 : agence conseil en communication Regards International
1998 : cofondatrice et directrice associée de Key people, cabinet spécialisé dans la création et l’animation de clubs de dirigeants
2002 : conseillère en communication de Patrick Devedjian au ministère des Libertés locales puis de l’Industrie.
2007 : directrice de cabinet du Conseil général des Hauts-de-Seine où elle suit notamment les grands projets franciliens et la question de La Défense
Juin 2012 : Le Monarque, son fils, son fief, fable politique
2012 : création de LBP, conseil en développement local pour les entreprises et les collectivités
Janvier 2014 : nommée directrice générale de Defacto, établissement public de gestion, d’animation et de promotion de La Défense.
Mars 2015 : élue Conseillère départementale de Mantes-la-Jolie avec Pierre Bédier, Vice-Présidente en charge de l’économie, la formation professionnelle et l’enseignement supérieur
Le goût du terrain et de la vie
En février 2014, elle revient dans les Hauts-de-Seine et prend la tête de Defacto (contraction de Défense et action – 130 collaborateurs et 45 M€ de budget), nommée à l’unanimité par les administrateurs, élus locaux de droite et de gauche confondus. « J’ai toujours besoin de travailler pour la cause publique, quelque chose qui me dépasse », sourit-elle.
En un peu plus d’un an, elle y a déjà imprimé sa marque. Franche, décentralisée, créative, elle délègue volontiers, privilégie la réactivité et la légèreté aux lourds process administratifs. « Je ne me positionne pas comme une sachante. Je fais confiance en mes collaborateurs et pars du principe que nous sommes plus intelligents à plusieurs. J’écoute tout et après seulement je décide. Une fois la décision prise, j’aime en revanche que tout le monde suive ! » Analyser n’est pas tergiverser. « En arrivant à Defacto, j’ai passé beaucoup de temps à observer. J’ai besoin de comprendre, de toucher, d’écouter », confirme-t-elle. Elle passe ainsi sa deuxième nuit à La Défense avec les équipes de sécurité. « Ils n’en croyaient pas leurs yeux de me voir crapahuter et grimper avec eux sur des échelles. Juste pour comprendre comment ça se passe à la Défense la nuit », dit-elle, laissant deviner sans peine l’enfant téméraire qu’elle devait être.
Côté feuille de route, Marie-Célie Guillaume déroule les objectifs : « Primo, assurer, dans un environnement institutionnel déjà surchargé, notre cœur de métier et notre expertise aux yeux de nos partenaires. Deuxio rappeler la place de La Défense dans le Grand Paris, malgré notre éviction de l’actuelle gouvernance. »

Grand Paris : enjeux mondiaux versus gesticulations locales
Marie-Célie Guillaume déplore « certains regards idéologiques et caricaturaux encore portés sur ce quartier d’affaires supposé vendu aux méchants riches du CAC 40. Il serait regrettable que le Grand Paris, créé en une nuit, en catimini et de façon ubuesque, demeure focalisé sur les logements ou le transport », juge-t-elle calmement. « Focalisés sur les stratégies localo-locales des élus, les débats éludent l’économie et la compétitivité internationale. Or le premier enjeu, c’est la concurrence des métropoles européennes ! Le Grand Paris devait être une opportunité de simplification et de compétitivité. C’est devenu une strate supplémentaire. Tout cela manque singulièrement de vision et de réflexion », regrette t-elle.
« La Défense n’est pas en compétition avec Saclay ou La Plaine-Saint-Denis. Elle est en concurrence avec Londres ou Francfort. » Pour les challenger, elle compte sur une image, une visibilité et une notoriété, que les récentes études montrent en progression constante, tant sur l’environnement que les services offerts (entretien, animation, sécurité, loisirs…) dans le quartier d’affaires. Et bien sûr, la culture. « La Défense est ancrée dans un territoire au dynamisme culturel exceptionnel : regardez la Fondation Louis Vuitton au Bois de Boulogne, bientôt l’Arena92 derrière la Grande Arche, et demain nous aurons une Cité musicale fantastique sur l’Ile Seguin. » Et d’annoncer son 3e objectif : renforcer l’efficacité énergétique et spatiale du plus grand mais aussi du plus vieux quartier d’affaires d’Europe. Lancées au début des années 60, certaines infrastructures ont plus de 50 ans.
« Je voudrais que ce quartier monumental et unique en son genre offre aussi une véritable qualité de vie, restaurer les espaces publics, rénover et valoriser l’environnement, consolider certaines structures, insuffler du végétal… Pour cela, 400 à 500 M€ sont nécessaires alors que notre budget d’investissement se limite à 27 M€. Il faudra trouver les fonds car rénover ce quartier d’affaires à l’espace très contraint est urgent ! Avant qu’il ne se délite, victime d’une conception sur dalle qui a totalement omis de penser les volumes sous-dalle. Il y a notamment des travaux à engager rapidement pour réparer certaines fragilités structurelles ou des soucis d’étanchéité. Le Grand Paris y perdrait en attractivité si cela n’était pas fait. » Pleine d’enthousiasme et d’espoirs, Marie-Célie Guillaume poursuit : « Je constate une prise de conscience et certains messages commencent heureusement à passer. Notre job est de faire en sorte d’améliorer la vie quotidienne de La Défense. Cela passe souvent par de petits détails : les activités récréatives et culturelles que nous proposons durant l’été et la revalorisation de l’exceptionnelle collection d’art à ciel ouvert en font partie. »
Retour en politique
Si elle s’est éloignée des sphères politiques des Hauts-de-Seine, Marie-Célie Guillaume vient d’intégrer les Yvelines, son département familial. Elue Conseillère départementale UDI en mars 2015, en tandem avec l’UMP Pierre Bédier sur le canton de Mantes-la-Jolie, elle est désormais vice-présidente du Conseil départemental en charge de l’économie, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle. Elle reconnait un « besoin d’être très occupée. J’ai beaucoup reçu de la vie, alors je considère qu’il faut rendre », conclut-elle sans démagogie.
[1] Etablissement public pour l’aménagement de la Défense.
[2] N°2 des ventes de livres durant l’été 2012, il a été édité à 80 000 exemplaires.
Qui est de Defacto ?
Créé en 2007, l’Établissement public de gestion et d’animation du quartier d’affaires de La Défense, a pour missions la gestion, la promotion et l’animation de l’espace public.
Defacto est en charge de la gestion des ouvrages et des espaces publics du site, ainsi que de la sécurité et de la sûreté des biens et des personnes.