Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Christophe Gay, co-directeur du Forum Vies Mobiles (2e partie)

INTERVIEW. Suite de notre entretien avec le co-directeur du Forum Vies Mobiles, Christophe Gay. Où l’on découvre les potentialités du périurbain, en matière de mobilité, de pratiques solidaires et de capacité d’adaptation.
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Quelles sont les qualités qui font des périurbains des territoires de projets ?
Ils ont de formidables capacités de résilience et d’adaptation. Peut-être pas tous, mais la plupart sont bien plus résistants que la ville-centre face au changement climatique, face aux enjeux de rupture logistique, d’approvisionnement, face au défi alimentaire, face au défi de l’eau. Lorsqu’on possède une maison dans le périurbain, on peut l’adapter à de nombreux usages, on peut la faire évoluer en fonction des âges de la vie, on peut faire de son jardin un potager. Les espaces agricoles ne sont pas loin, il y a des terrains pour installer des panneaux solaires… Les ressources et les potentialités sont bien plus grandes qu’en zone urbaine. Et non seulement, il y a beaucoup de choses à faire, mais c’est déjà un lieu où les habitants initient des pratiques solidaires dans le domaine des mobilités.
Parce qu’ils sont plus enclins à se regrouper ?
Ils bénéficient d’une proximité plus grande. Les études montrent qu’il faut un certain degré d’interconnaissance pour se lancer dans des pratiques de mobilité solidaire. L’autopartage, par exemple, est quand même quelque chose de contraignant, il faut vraiment collaborer pour que cela fonctionne. Certaines associations ont aussi mis en place l’autostop de proximité. Le problème majeur du stop, c’est le déficit de connaissance et la méfiance qui s’installent vis-à-vis de l’autostoppeur. Au sein de ces réseaux, le conducteur est identifié par un macaron et des lieux sont identifiés pour l’arrêt. On a donc là un système de mutualisation des véhicules qui prend une autre forme.
Le périurbain serait donc le laboratoire pour penser une alternative à la voiture seule ?
En tout cas, il y a un tas de choses à expérimenter sur certains de ces territoires dont l’organisateur unique a été jusqu’alors la voiture qui peut peser jusqu’à 20% du budget des ménages les plus modestes.
Des expériences faites en région nantaise ont montré qu’en analysant le réseau viaire, on pouvait baisser la vitesse à certains endroits. Baisser la vitesse permet de changer le gabarit des voies, de donner de l’espace pour des aménagements piétonnniers ou cyclables.
On le sait peu, mais jusque dans les années 1980, le vélo représentait entre 10 et 15% des déplacements en périurbain. Avec des aménagements adéquats, des recherches menées récemment estiment qu’en Picardie ou dans le Grand Londres, entre 20 et 50% des déplacements pourraient se faire à vélo.
Dans une étude sur les Pays de la Loire, Rodolphe Dodier (Université Aix Marseille) a créé une typologie des modes de vie et de déplacement (voir illustration ci-dessous). Il en résulte trois types de « mobiles » : ceux qui sont centrés sur le village périurbain, ceux qui se déplacent jusqu’en périphérie de la ville et les hypermobiles qui vont beaucoup plus loin. Bien sûr, la réalité est plus complexe, mais l’idée générale est là. Cela implique qu’il existe un bon nombre de déplacements qui se déploient dans une proximité relative.

Au fond, pour proposer des alternatives à la voiture seule il faut articuler entre eux les modes de transports collectifs traditionnels avec les modes de co-voiturage, d’ auto-partage, de taxis collectifs , de transport à la demande, le vélo et même les déplacements à pied !
On peut marcher dans le périurbain ?
Bien sûr. Pour emmener ses enfants à l’école (les pédibus sont un bon exemple) ou pour faire des courses de proximité. Mais on peut même aller encore plus loin. Le chercheur Xavier Desjardins (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) s’est intéressé aux centres commerciaux. Le centre commercial, historiquement, cela a été pensé par et pour la voiture. Or, une réalité saute aux yeux : 40% des gens qui rentrent dans un centre commercial en ressortent les mains vides. Car c’est aussi un endroit de promenade, de flânerie. On se dit forcément qu’une bonne partie des déplacements à destination de ces centres pourraient se faire autrement qu’en voiture : à vélo ou même à pied. Il y a des solutions pour ça. La première stratégie consiste à densifier ces espaces, en faire des sortes de villes où se concentreraient aussi des logements et des lieux d’emploi. Une autre serait de casser les barrières qui les enserrent dans des réseaux viaires pour les rendre accessibles aux piétons et aux cyclistes.
Le concept Y va dans ce sens ?
C’est un peu autre chose. Il s’agit d’un petit projet de recherche que l’on a monté autour des centres commerciaux en déshérence. Comment réutiliser ces espaces dans une logique périurbaine ? Ne pourrait-on pas en faire à la fois des lieux d’organisation de covoiturage et des lieux d’organisation de travail en y développant des télécentres ? La combinaison de ces deux idées créeraient une vraie logique de proximité.
Pourquoi vouloir le renommer en « rurbain » ?
C’est pédagogique. En disant périurbain, on ne donne de raison d’être à ces espaces qu’en relation avec le pôle central : le périurbain, ce serait donc autour de l’urbain. Or, s’il s’agit d’un phénomène d’étalement à partir de l’agglomération urbaine, c’est aussi un phénomène de diffusion à partir du rural. Les professions des habitants du rural se transforment, ils adoptent des modes de vie plus urbains.
Au fond, même, ce qui caractérise beaucoup de ces espaces est qu’ils deviennent de plus en plus autonomes et polycentriques. Ils se réorganisent aussi bien avec d’autres espaces périurbains qu’avec la métropole. En termes de fonctionnalité, d’emploi, d’activités commerciales ou culturelles, ils ont développé une vie propre qui n’est plus forcément reliée à la ville-centre.
Existe-t-il des spécificités au rurbain francilien ?
Deux recherches ont été conduites sur Marne-la-Vallée. On y découvre d’abord que si les cadres continuent à être polarisés sur l’espace parisien et La Défense, les employés, les ouvriers, et les femmes déploient leurs activités et leurs modes de vie dans des espaces de proximité. Deuxième phénomène constaté : les gens qui vivent au-delà, dans la campagne, viennent y travailler, au sein d’activités économiques qui sont principalement des activités de services. Et ces gens sont fortement dependants de la voiture.

Que vous ont apporté les artistes conviés au Forum Vies Mobiles ?
Si on regarde les images du livre, c’est assez flagrant. On a rassemblé des photographies du périurbain qui ne correspondent pas toujours à ses représentations classiques.
On voit bien que c’est beaucoup plus divers, que ce n’est pas nécessairement sinistre, on peut même en avoir des visions sublimées. En multipliant les angles, les points de vue, on donne à voir autre chose, et en réunissant tout ces points de vue, on obtient la compréhension immédiate que l’on ne parle pas d’une chose unique. Des modes de vie diversifés se développent au sein du périurbain.
À lire : « Réhabiliter le périurbain – Comment vivre et bouger durablement dans ces territoires? », sous la direction scientifique de Lionel Rougé. Editions Loco/Forum Vies Mobiles

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