Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Daniel Guiraud, maire des Lilas (partie 2).

INTERVIEW. Seconde partie de notre entretien avec le président de Paris Métropole, qui passera la main le 19 décembre prochain. Il y est justement question du syndicat mixte, de ses valeurs et de son avenir, de projet métropolitain et du Grand Paris citoyen.
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Avez-vous le sentiment de faire de la politique autrement avec Paris Métropole ?
Non, on ne va pas avoir cette prétention… On est plus pragmatique. Et ce n’est pas non plus la recherche du consensus pour le consensus, mais de comprendre qu’il y a des sujets sur lesquels on n’avancera pas si on ne se met pas d’accord. Parce qu’on a tous des capacités de blocage. Or, il faut au contraire débloquer le système, et donc se mettre d’accord. Dans le cas contraire, qu’est-ce qu’on fait ?
Il existe un noyau dur au syndicat ?
Il y a un socle d’élus qui a pris l’habitude de travailler ensemble depuis 2006 et le lancement de la conférence métropolitaine, par sauts qualitatifs. Au départ, on était une petite poignée d’élus de proche couronne à discuter avec Bertrand Delanoë, dès 2001. Et à chaque étape, on s’est agglomérait. On est maintenant 200 et sur ces 200, il y a quand même un bon tiers de clients réguliers.
La reconnaissance qu’a obtenue Paris Métropole ne lui fait-elle pas craindre un danger d’instrumentalisation ?
Bien sûr, mais on ne va pas se laisser faire non plus. D’ailleurs, l’instrumentalisation peut venir de gauche comme de droite. Il se trouve qu’en ce moment c’est plutôt à droite. Bon. Le champ de Paris Métropole, ce n’est pas de refaire le match des municipales de Paris… Ceci étant, la présidence de Paris Métropole dure un an. Vous n’avez pas le temps de vous résidentialiser et d’en faire un enjeu de pouvoir.

Justement, votre mandat à la tête du syndicat se termine le 19 décembre. Quel bilan en dressez-vous ?
On a su entrer de plain-pied dans la Mission de préfiguration, puis la mettre en place. Ce qui implique un autre aspect : quel avenir pour Paris Métropole ? Va-t-on se dissoudre dans la préfiguration ? On a tranché cette question : on continue. Avec deux lignes de force. D’abord le projet métropolitain. Paris Métropole va assumer ce projet, au-delà même de la création de la Métropole. Nous avons les compétences, les ressources et les capacités pour réaliser ce travail de définition de l’intérêt métropolitain, en articulation avec d’autres comme l’Atelier international du Grand Paris (AIGP), l’APUR ou l’IAU.
Deuxième chose : la relation entre la Métropole et la grande couronne. Je n’hésite pas à reprendre la formule de Nicolas Sarkozy, parce que je pense qu’il avait raison : l’agora des élus. Qui peut faire ça sinon Paris Métropole ? Il nous faut un forum permanent qui permette de poser les problèmes entre la Métropole et la grande couronne.
Vous avez présidé l’année de tous les dangers.
Oui, ça aurait pu exploser à plusieurs reprises. Globalement on a réussi à préserver le bateau. Paris Métropole donne cette impression : ça plie, mais ça se redresse. Ceci dit, rien n’est acquis.
Qui pour vous succéder ?
Il sera de droite puisqu’on a instauré une présidence tournante entre les deux bords. Des candidats se sont déclarés, il faut qu’ils se mettent d’accord entre eux.
Revenons au projet métropolitain. Quelles sont les pistes ?
Nous avons commencé à mettre en place un groupe de travail. Le projet métropolitain ne sera pas la somme des projets territoriaux. Néanmoins, le travail qui a déjà été fait sur les CDT est très utile. Je l’ai expérimenté sur le canal de l’Ourcq, cela nous a contraint à un travail approfondi.

Le polycentrisme serait la base du projet ?
Il est assis sur le polycentrisme, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas un fil conducteur métropolitain. Chacun ne doit pas faire ce qui l’arrange dans son coin. Il faut qu’il y ait une vraie cohérence métropolitaine et donc un pouvoir et une délibération métropolitains.
Et pas des territoires spécialisés?
Il y a une part de communication là-dedans… et une part de réalité aussi. Plaine Commune est « Territoire de la culture et de la création », mais la culture et la création ne se limitent pas à Plaine Commune. A Est Ensemble, on s’est promu « Fabrique du Grand Paris », comme s’il n’y avait que là qu’on fabriquait le Grand Paris. Cela sert surtout à identifier des projets en devenir.
Mais il faut un projet métropolitain simple et compréhensible par tous.
Il faut ce qu’on appelle le « top down » et le « bottom up ». On ne va pas imaginer définir une architecture d’ensemble, comme une charte graphique de la Métropole, et tout faire partir d’en haut pour le décliner localement. C’est une dialectique entre l’ascendant et ce que l’on produit en commun. Cela implique qu’il faudra qu’on soit en permanence en réseau, c’est un fonctionnement très moderne.
Je crois beaucoup à ce que font les Allemands avec les IBA, une démarche de projet sur une durée déterminée avec un objectif précis et la mise en place d’une synergie. C’est très intéressant ce qui en a résulté par exemple à Hambourg. Même si ce n’est pas optimum. Ce n’est jamais optimum. On nous parle sans cesse du Grand Londres, le Grand Londres a plein de problèmes. Et le Grand Paris ne sera pas non plus la panacée.
Les IBA sont aussi la preuve d’une communication intense entre la communauté scientifique et les élus locaux. Dans le Grand Paris, on a surtout l’impression d’une rupture entre les deux.
C’est quelque chose qui m’est apparu quand j’ai été élu à la tête de Paris Métropole, dans nos relations avec l’AIGP. Je comprends qu’ils soient frustrés. On leur a demandé de travailler sur des sujets sans que cela leur rapporte un « fifrelin », ils pouvaient s’attendre à ce qu’il y ait des résultats tangibles. Mais rien. Ce serait bien de remettre au goût du jour ce que Marx appelait la praxis, la théorie en articulation avec la pratique, et ne pas faire pédaler à vide des architectes. Je serais favorable à une nouvelle Consultation des architectes, comme en 2008, mais orientée vers l’opérationnel.

Le Grand Paris des citoyens, c’est pour quand ?
On aurait pu commencer par là, effectivement. On a une sorte de rampe de lancement avec le Forum de Libération fin novembre (il y a eu lieu samedi 29 novembre, NDLR), organisé en partenariat avec Paris Métropole. Ensuite, il y a les élections cantonales et les élections régionales avec la réserve que cela suppose, ce qui nous laisse une fenêtre de tir au printemps. J’ai proposé qu’on organise à ce moment-là des débats décentralisés, entre 15 et 25, avec les habitants, les associations, les partenaires économiques et institutionnels, etc, et d’en faire une restitution. L’enjeu est fort en termes de compréhension et de lisibilité. Si vous interrogez cent personnes aux Lilas ou ailleurs sur ce qu’est le Grand Paris, vous obtiendrez des réponses, mais elles seront déconcertantes.
Pour les unes, ce sera une bénédiction, pour d’autres une malédiction.
Si vous posez la question aux Lilas, globalement on est pour. C’est sans doute lié à l’idée que l’on est plus tourné vers Paris que vers les profondeurs de la Seine-Saint-Denis. Mais si vous vous rendez à Sevran ou à Clichy-sous-bois, ce n’est plus pareil. Or, ça commence par là : l’appropriation citoyenne du Grand Paris.
À travers un projet politique ?
Comment fait-on relation avec les habitants ? C’est selon les élus. Ici, je fais les halls d’immeubles trois fois par semaine et des réunions de quartier tous les six mois. Pas sûr que ça marche ailleurs. Il n’y a rien de mécanique, pas de grille unique, il faut inventer. Il faut à la fois ouvrir une relation aux habitants sans les em… non plus tous les jours. Mais sur les sujets d’importance, on doit pouvoir créer un échange, récolter des points de vue, que la critique puisse s’exprimer autrement que par le prisme des élus.
Ce n’est pas un peu démagogique ?
Quelque chose m’a vraiment surpris quand ont eu lieu les débats publics sur le Grand Paris Express, et je l’ai aussi vécu sur le prolongement de la ligne 11. Les réunions portaient sur des sujets parfois arides, très techniques, et les salles étaient pleines. Il y avait forcément des interventions pas très intéressantes de la part du public, mais il y en avait plein qui l’étaient, et parfois des idées auxquelles on n’avait pas pensé, des choses de la vie quotidienne, pour lesquelles, même le meilleur des fonctionnaires ou le meilleur des architectes, s’il n’est pas du quartier, il n’y aura pas pensé. Ce n’est pas démagogique de dire qu’il faut articuler cela.
Avez-vous le sentiment de vivre un moment historique en étant acteur de la naissance de cette métropole ?
Pour l’instant, non. On a le nez dans le guidon. J’ai le sentiment que quelque chose est en train de se passer, qui peut donner quelque chose de grand, mais le soufflé peut aussi bien retomber. Si on entre dans un système traditionnel droite-gauche, majorité-opposition, je fais-je défais, il va retomber. Mais si l’on est capable de dépasser ces clivages, de poursuivre le travail dans l’esprit de Paris Métropole, contre vents et marées, on peut parvenir à construire quelque chose.
D’où vient votre engagement métropolitain ?
Cela vient de la Porte des Lilas. En 2001, je suis candidat à la Mairie des Lilas et Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris. Porte des Lilas, à l’époque, c’est une zone en déshérence avec de la mafia locale. J’en parle à Delanoë, je lui dis « Si tu es élu, si je suis élu, essayons de travailler en intelligence, essayons de régler le problème. » On est élu tous les deux et on se dit : « Bon, on fait quoi ? » Parce que la relation bilatérale, en réalité ça ne suffit pas. Et Delanoë fait cette démarche d’ouverture vers ses voisins. Il nomme un adjoint, un type qui s’appelle Pierre Mansat, et Mansat fait ça très bien. Tout ce qu’on lui dit, il le réinjecte dans le débat parisien. De fil en aiguille, cela donne la conférence métropolitaine en 2006. J’y vais et je dis : « Ici, on n’est pas le syndicat des voisins de Paris, on a des choses à faire ensemble ». C’est vrai, ce n’est pas juste une relation avec Paris, mais nous tous. C’était parti. Et une fois que c’était parti, j’ai trouvé que ça valait la peine d’y passer un peu de temps.
