Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec David Mangin, architecte et urbaniste, auteur de Paris/Babel – Une mégapole européenne.
INTERVIEW. L’architecte et urbaniste David Mangin publie aux Éditions de La Villette « Paris/Babel. Une mégapole européenne », livre-somme sur le Grand Paris, ses fonctionnements urbains (réseaux, formes économiques, résidentialisation…), ses problématiques (communautarisme, enclavement, mobilité forcée…) et ses solutions (décentrement, décommercialisation, légendes urbaines…). À la fois constat et document de synthèse, l’ouvrage est un formidable outil pédagogique qui met en lumière tous les aspects de la métropole parisienne. Sa mise en scène travaillée en textes, références bibliographiques et schémas ou cartes le rend aussi agréable à lire que passionnant à consulter. À tel point qu’à l’avenir, à qui voudra comprendre le Grand Paris on lui dira sûrement : « As-tu lu le Mangin ? »
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D’ou vient ce livre ?
Depuis la publication de “La ville franchisée” en 2004, j’ai beaucoup travaillé sur le Grand Paris, soit par l’intermédiaire de mon enseignement à l’école d’architecture de Marne-la-Vallée soit dans le cadre de l’Atelier International du Grand Paris. J’ai voulu rassembler ce travail en lui donnant une forme vivante et pédagogique afin de rendre accessibles à un large public des données qui sont souvent un peu brutes, les débats et les scénarios qu’ils n’ont pas suivi parce que l’on s’est focalisé sur le réseau de transport du Grand Paris Express. Pour un public plus averti, je fournis une sorte de boîte à outils illustrée par des projets.
Son titre est “Paris/Babel. Une mégapole européenne”. Pourquoi européenne?
C’est un débat que l’on a souvent : la comparaison. On ne peut pas comparer tout avec tout, que ce soit en terme d’échelle ou de développement urbain. Prendre une ville de 12 millions d’habitants comme Paris et la comparer à une autre ville française d’un million d’habitants n’est pas pertinent, tout comme il n’est pas pertinent de la comparer avec une ville africaine ou sud américaine. J’insiste d’abord sur la question d’échelle : Paris est une mégapole, pas une métropole, au sens de son fonctionnement quotidien. Et il faut la comparer avec des villes au développement similaire. Quelles sont ces villes ? Elles sont européennes. Londres ou Moscou qui font à peu près la même taille, sont relativement radioconcentriques et ont des niveaux d’équipements de transports, en commun ou autoroutiers, à la fois proches et différents.
Ce qui frappe dans votre livre c’est d’abord la complexité de la ville. Peut–on encore la penser de façon globale ou faut-il la disséquer par projet ou par territoire ?
La ville de New York a publié un livre sur ses réseaux, en montrant de façon très pratique à quel point ils étaient interdépendants. Les Parisiens pensent parfois que tout ce qui concerne Paris est traité dans Paris intra-muros. En regardant simplement les réseaux techniques et de quelle manière ils sont gérés et connectés, on se rend compte à quel point la mégapole est solidaire du point de vue de ses ressources. On parle de construire un récit pour le Grand Paris, mais le premier des récits ce serait ça : expliquer aux gens de quelle manière tout cela fonctionne, pas seulement le grand métro, mais leur faire comprendre à quel point, où qu’ils se trouvent, ils sont interdépendants des autres parties de la ville. Cela veut-il dire qu’il faut toujours tout raisonner ensemble? Non. La thèse du livre est plutôt de dire que dans une mégapole à 12 millions d’habitants, les gens vivent en fait sur des périmètres beaucoup plus réduits, d’autant qu’en certains endroits ils commencent à avoir accès à des fonctions urbaines auxquelles ils n’avaient pas accès auparavant, comme le TGV par exemple. Lors de la première consultation de 2008, avec le groupe Descartes, nous avions d’ailleurs travaillé sur l’idée de 20 villes moyennes de 500 000 habitants plutot que sur une énorme ville qui souffre dans son quotidien de l’éloignement entre domicile et travail.
La construction du Grand Paris révèle un fait que l’on retrouve dans votre livre et aussi dans l’Atlas de l’Apur qui vient de sortir, c’est la question des fractures territoriales.
Je me suis surtout servi des thèses du géographe Christophe Guilluy sur les fractures sociales pour présenter de façon schématique de quelle manière on en est arrivé à une situation bloquée. À l’époque des regroupements familiaux, la population des grands ensembles a migré plus loin en périphérie jusqu’à ce que les prix du marché de l’immobilier rendent de plus en plus difficile la mobilité résidentielle et que s’installent ici des ghettos et là des “clubs”.
Vous évoquez d’ailleurs une mégapole en toute (im)mobilité.
Ce que je souligne c’est la difficulté à se bouger dans un confort minimum, c’est la question des RER et d’un système qui arrive à saturation et donc à l’immobilité. L’immobilité résidentielle résulte de ce grand chassé-croisé auquel on a assisté à la fin des années 1990 entre grands ensembles et banlieues pavillonnaires, le coût de l’immobilier renchéri dans le centre et tout compte fait une très grande difficulté pour les franciliens à déménager dans leur propre région. Une jeune couple ne parvient plus à faire ce qu’il pouvait encore faire il y a vingt ans, à savoir acheter un premier appartement, puis un second un peu plus grand, etc. Parfois même, on refuse un emploi parce que l’on sait que l’on ne pourra pas déménager pour en être proche. Les choix de mobilité peuvent même paraître forcés et difficiles à assumer à cause d’un réseau de transport surchargé et radioconcentrique. La nécessité de réaliser une rocade comme le Grand Paris Express est d’ailleurs un diagnostic partagé par tout le monde.
(à suivre)
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