Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec David Mangin (2e partie).

INTERVIEW. Deuxième partie de notre entretien avec l’architecte et urbaniste David Mangin, pour la publication de son livre « Paris/Babel. Une mégapole européenne ». Où l’on parle des malentendus issus de la consultation de 2008, de cosmopolitisme, de tourisme et de compétition territoriale.
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Votre livre examine des solutions. Vous avez fait partie des architectes qui ont soumis leur vision du Grand Paris lors de la consultation de 2008. Êtes-vous écouté par les décideurs ? Une fracture existe-t-elle aussi entre le monde de la recherche et le monde politique ?
La consultation de 2008 a souffert de deux ou trois pêchés veniels. Au moment où elle était réalisée, était repris le plan RATP d’une grande rocade souterraine de métro, et quand l’exposition s’est tenue au Palais de Chaillot un an plus tard, ce qui était mis en avant n’était pas les propositions des architectes mais le plan du projet de métro de Christian Blanc. Un malentendu est né. On nous avait demandé d’apporter des idées et c’est ce que l’on a fait, y compris au sujet de la rocade de métro. Simplement, certains avaient émis l’idée qu’il coûterait peut-être moins cher de la construire en aérien au-dessus de l’A86, d’autres pensaient qu’il était plus juste de dépenser de l’argent dans un un rabattement sur le réseau existant… Nous savions qu’il fallait faire une rocade, mais pourquoi un truc aussi aussi grand ? Un dialogue de sourd s’est instauré. Tout a été résumé au métro et les architectes n’ont finalement été appelé que pour réaliser les gares du Grand Paris Express. Entre ce qui est fait réellement et toutes les idées prononcées par les uns et les autres, on peut certainement dire qu’il y a un malentendu.
Cela ne s’arrange guère, parce qu’à nouveau tout le monde n’est pas convaincu par le périmètre de la métropole tel qu’il est train de se dessiner, par ce compromis de dernière minute consistant à refabriquer le département de la Seine sans imaginer quelles conséquences cela aura. Pendant que l’on discute, pendant les dix ans où l’on va bâtir quelques sections de métro circulaire, l’étalement urbain va se poursuivre. Un étalement dont il faudrait s’occuper pour qu’il ne se fasse pas dans de trop mauvaises conditions.
Des institutions se sont créées pourtant, comme l’AIGP ou Paris Métropole. On n’est plus trop sûr de ce qu’elles font.
Oui, je ne suis pas très optimiste pour l’avenir de l’AIGP et Paris Métropole est à la croisée des chemins. Mais, au fond, je ne m’occupe pas trop des sujets de gouvernance. Je tente de rendre accessible à un public plus large des thématiques dont personne ne parle, le cosmopolitisme, l’économie des territoires, de résumer ces grands sujets et de lancer des pistes de défrichage grace à des travaux de recherche.
Par exemple, on a beaucoup mis sous le tapis la question de la présence des étrangers dans le Grand Paris. Ça nous a coûté cher lors de la compétition pour l’organisation des Jeux Olympiques face à Londres qui a joué à fond la carte de la présence d’une jeunesse du monde entier dans sa ville. Bien sûr, c’est une question politique car cela rejoint la question de l’immigration, mais Paris pourrait jouer la carte du cosmopolitisme dans sa version universaliste. Même s’il a du mal à gérer cette jeunesse, notamment dans l’accueil fait en matière d’emploi, c’est un thème sur lequel il faudrait rebondir. Paris n’a pas une géographie formidable, il n’a pas de relief, pas de littoral, un fleuve bien mis en valeur dans le centre mais pas ailleurs, bref il doit veiller à assumer les atouts qu’il a et comprendre ceux qu’il n’aura jamais.
Le tourisme est l’un de ces atouts. Mais vous le traitez autrement, comme un principe de mixité ?
On a toujours une vision très centralisée du tourisme : les Champs-Élysées, le Louvre… En réalité le touriste bouge à l’échelle du Grand Paris, il va à Eurodisney, à Versailles, à Chambord. Beaucoup de Français viennent à Paris pour cette raison. Ils habitent alors des hôtels franchisés le long du périphérique et ont une toute autre vision de la capitale. Cela crée un brassage intéressant.
Quel est le plus grand défi auquel est confronté le Grand Paris ?
C’est une question de journaliste… Je dirais : qu’il sache se construire sur deux échelles. Être à la fois une mégapole solidaire grâce au développement de la technologie et définir ces bassins de vie qui seront le support pour articuler des gouvernances efficaces à des politiques urbaines tout aussi efficaces. Ces fameuses villes de 500 000 habitants me paraissent être la bonne taille pour agréger des populations qui sauront mieux les soutenir.
Il faudrait aussi trouver le moyen de sortir de cette fossilisation des immobilités résidentielles, de ce face-à-face entre la vie de club des ensembles de maisons individuelles et celle des ghettos. Ce sont finalement deux formes de villes qui se regardent en chiens de faïence. Le défi est très visible sur la question des grands ensembles. Il est plus sournois sur certains nouveaux visages de la ville qui se construisent et qui formeront peut-être les grands ensembles de demain.
Dans votre métier, êtes-vous le témoin d’une compétition territoriale entre les villes ?
J’observe à la fois qu’un certain nombre de projets intercommunaux ont bien fonctionné. Les maires sont parvenus à créer des lobbies sur des sujets thématiques, notamment sur les transports. Ils ont bien compris ça et se regroupent pour exister face à la RATP ou la SNCF.
Et à la fois, ces mêmes maires se font une compétition assez détestable sur l’urbanisme commercial. Ils ne parviennent pas à se débrouiller d’un chantage à l’emploi qui leur est fait matin midi et soir et ne parviennent pas non plus à imaginer que le commerce puisse s’organiser autrement. Ils savent pourtant bien que c’est un problème… Dans le livre, j’évoque deux projets sur ce thème, des projets bloqués : l’un à Montigny-les-cormeilles, l’autre à Rosny 2 où le but est de transformer de gigantesques parkings en une centralité urbaine entourée de trois grands ensembles. La logique de concurrence de la grande distribution se répercute sur les maires et se mue en une concurrence territoriale très importante. Urbainement, les hypermarchés, cela structure énormément. Et cela destructure aussi. Doublement même. Cela tue le commerce de centre-ville, évidemment, mais cela tue aussi les commerces des grands ensembles. Ils ont presque tous fermé, si bien qu’on n’y trouve plus que du logement. Dans les années 1960, la grande distribution n’était pas si puissante, et vous pouviez donc, grâce aux commerces, avoir une vie de quartier dans les cités. Depuis plusieurs années, elle a complètement rebattu les cartes.