Mis à jour le jeudi 6 août 2020 by Olivier Delahaye
OPINION. Le peuple du Grand Paris serait-il en train de naître? Depuis le lancement du projet métropolitain par l’entremise d’une consultation d’experts il y a cinq ans, les citoyens de cette région-capitale ont eu à plusieurs reprises l’occasion de se manifester dans l’enceinte assez policée de débats publics. Malgré tout – et ce sont les experts qui le disent et s’en désolent – le Grand Paris n’a pas fait naître de ferveur populaire. Pour beaucoup d’habitants, c’est même à n’y rien comprendre. Métro, métropole, métropolisation…
Mais serait-ce un frémissement? Le week-end dernier, autour de trois points cardinaux du Grand Paris, s’étaient donné rendez-vous des opposants à la métropole. Gonesse, Saclay et Ivry-Confluences. Trois lieux de méga projets urbains, très symboliques. Sur le Triangle de Gonesse, c’est un centre commercial qui est contesté. La marchandisation. Pour cela, les membres de la «Coordination pour la Solidarité des Territoires d’Ile de France et contre le Grand Paris » (COSTIF) s’étaient donné rendez-vous devant la direction régionale d’Auchan, à La Défense. Le quartier d’affaires est un autre symbole. Le lendemain, samedi, ils se rassemblaient à Saclay. La recherche, le savoir. Enfin dimanche, ils se présentaient à la mairie d’Ivry-sur-Seine, pour s’opposer au projet Ivry-Confluences, nouveau quartier qui va transformer le visage de cet ancien bastion industriel par la création de nombreux bâtiments tertiaires. Le tertiaire, le promoteur. Bref, l’argent et les élites sont bel et bien ce que visaient les manifestants. La lutte des classes est loin d’être finie.
Concurrences
Ils n’étaient pas nombreux, à peine 200. Mais si on connaissait des manifestations contre un projet précis (le prolongement de la francilienne, for example), si on connaissait les recours par centaines d’associations de résidents, on n’avait encore jamais entendu parler d’une coordination s’en prenant à plusieurs projets qui, additionnés, en forment un seul : l’urbanisation de l’Ile-de-France. De cette urbanisation, le COSTIF ne veut pas. Il est surtout allergique à la mise en concurrence des territoires que ne manquent pas de créer les grands projets. À Gonesse, hormis la question des terres agricoles, le centre commercial Europa City va venir concurrencer Aéroville qui vient d’ouvrir à 5 km de là. À Saclay, d’autres terres agricoles sont menacées, mais on sait aussi que l’université d’Orléans redoute de se voir aspirée par le plateau et que le maire de Cachan, Jean-Yves Le Bouillonnec, ne voit pas d’un si bon œil le déménagement de sa fac de pharmacie. Ivry-sur-Seine veut attirer les entreprises avec une offre tertiaire alors que le nombre de bureaux vides grossit. « Le Grand Paris, ce n’est pas seulement un métro automatique, expliquait un manifestant à Ivry, c’est la mise en concurrence de territoires comme Ivry, Gonesse ou Saclay aux échelles locale, nationale et internationale ».
Omelette au lard
Si le Grand Paris se construit effectivement dans le cadre d’une compétition internationale avec les autres grandes métropoles du monde, on peut craindre que les territoires qui le composent ne se livrent eux aussi une lutte acharnée. David Mangin en parle ici, à propos des surfaces commerciales. Dans une étude de 2007, la DRIEA Île-de-France notait : « La complémentarité nécessaire entre les pôles (d’emploi, NDLR) pour qu’ils ne soient pas directement en concurrence, doit probablement s’articuler avec une régulation globale des volumes de bureaux offerts, car le positionnement dominant d’un pôle n’empêche pas d’accueillir aussi des activités différenciées. » À l’heure où l’on parle de métropole intégrée, une vision plus holistique de celle-ci semble en effet de mise. Et cette prise de conscience-là n’a sans doute pas tant que ça échappé aux citoyens, fussent-ils 200. Le Grand Paris devrait dorénavant leur appartenir. Ce petit week-end déambulatoire du COSTIF pourrait préfigurer des citoyens plus impliqués que concernés. En tout cas, c’est à espérer. Rappelons rapidement la différence entre « concerné » et « impliqué », avec la recette de l’omelette au lard. Dans l’omelette au lard, nous trouvons principalement des œufs et du lard. Les œufs viennent de la poule, le lard provient du cochon. Nous dirons que dans l’omelette au lard, la poule est concernée, le cochon est impliqué.