Mis à jour le dimanche 19 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Maxence Petit, co-fondateur de Colivio.
INTERVIEW. Maxence Petit est le cofondateur, avec Antoine Prigent, de Colivio qui développe un habitat partagé pour les seniors. Leur première maison doit ouvrir à Lourdes au mois de septembre avant d’autres en Île-de-France à partir de 2022.
Quelle est votre vision de la problématique de l’habitat pour les seniors ?
Ce que l’on observe, c’est que 6 % des logements en France sont adaptés à la perte d’autonomie. Les maisons ou les pavillons créent des problèmes, mais aussi l’habitat collectif. Un ascenseur en panne et tout à coup, vous êtes coupé de la société. Il existe donc un vrai problème d’adaptation des logements et l’opportunité de proposer des solutions attractives pour faire en sorte que les personnes âgées ne vivent pas comme un traumatisme le fait de quitter leur logement.
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Que propose Colivio ?
Nous avons créé le projet il y a deux ans avec l’idée d’apporter une solution complémentaire au parcours de vie des seniors. Plus précisément : au moment où la perte d’autonomie commence à devenir trop problématique pour envisager un maintien à domicile. La plupart des Français souhaitent vieillir à domicile, le plus tard possible. Parfois un peu trop tard. Ce qui peut générer de l’insécurité dans des logements peu adaptés. Ce qui peut générer aussi de l’isolement social. Sans compter une charge financière importante dès lors qu’il faut faire appel à des auxiliaires de vie. Colivio veut répondre à l’aspiration de rester le plus longtemps possible à domicile tout en permettant un accompagnement 24 heures sur 24.
Le public visé est donc assez défini.
En France, la perte d’autonomie est évaluée selon une grille qui va de GIR 1 à GIR 6. Et vous avez d’un côté les résidences services qui s’adressent à une population encore autonome, les GIR 5 ou 6, et d’un autre côté les EHPAD qui se concentrent sur les populations les plus dépendantes. Il y a quinze ans, les EHPAD pouvaient encore accueillir des personnes GIR 3 ou 4, mais cela est de moins en moins le cas. Pour deux raisons : la première est que, la plupart du temps, les gens attendent le dernier moment pour quitter leur domicile, à un stade où la dépendance est très avancée ; la seconde est démographique : la liste d’attente s’allonge de telle manière pour entrer en EHPAD que les structures répondent avant tout aux situations d’urgence et donc aux personnes GIR 1 ou 2. Notre enjeu est donc de répondre aux besoins des personnes GIR 3 ou 4, des personnes fragilisées, qui ne veulent pas ou ne peuvent pas aller en EHPAD et qui ont tout de même besoin d’un accompagnement.
Concrètement, cela se présente comment ?
Dans les faits, cela veut dire créer des domiciles partagés, des lieux de vie de 400 m2 au sein desquels il existe huit espaces privatifs d’environ 30 m2 et des espaces de vie communs avec une grande cuisine, une salle à manger, un salon et une buanderie. L’accompagnement est mutualisé et permanent, assuré par des auxiliaires de vie, pour la toilette, le coucher, les courses, la livraison des repas, etc. ; l’idée étant d’individualiser au mieux l’accompagnement.
En conséquence, Colivio veut être en capacité à développer un projet de vie sociale partagé. Dès qu’il y a un début de perte d’autonomie, une personne est fragilisée. Et cela peut correspondre avec la perte du conjoint ou de la conjointe. Pourtant, il y a à ce moment-là un véritable besoin de se maintenir dans l’action. L’enjeu, c’est donc de donner des raisons de se maintenir dans l’action. Dans notre projet, cela passe par la participation au sein de la maison, de simples actes de la vie quotidienne : l’élaboration des menus, l’organisation des courses, la préparation des repas… Mais aussi le développement de projets communs : sorties, activités, tout ce qui va permettre aux personnes de rester actives.
Comment se déroulent vos acquisitions immobilières ?
Nous sommes gestionnaires, nous portons le projet de A à Z. Nos acquisitions se font toutes en Véfa (Vente en l’état futur d’achèvement, ou achat sur plan, NDLR). Nous achetons à des promoteurs immobiliers des parties de programmes résidentiels ; l’idée étant de s’inclure dans des programmes de logements classiques pour éviter la ghettoïsation et développer une dynamique intergénérationnelle. Une foncière partenaire achète pour notre compte et nous fait signer un bail de douze ans. Au moment de la livraison, nous devenons locataires et nous sous-louons les quotes-parts des appartements aux habitants en leur fournissant l’accompagnement humain par des auxiliaires de vie.
Ces auxiliaires font partie d’associations, d’organismes de l’ESS ?
Nous les recrutons. Colivio est une société à mission, un statut qui, depuis la loi PACTE, donne la possibilité à une entreprise de faire valoir sa recherche de profitabilité tout en s’engageant sur un certain nombre de critères mesurés de façon régulière et audités par des organismes extérieurs. Ceci, de façon à assurer le fait qu’au-delà de l’objet commercial de l’entreprise on parvient aux objectifs fixés qui, pour nous, sont : le maintien de conditions de vie décente, le bien-être et la dignité des personnes âgées, mais aussi, et c’est important, le bien-être des accompagnants. Leur métier suppose une certaine pénibilité. On essaye donc de mettre en place des process qui ont vocation à valoriser ces métiers.
L’une des raisons qui expliquent le turn-over dans les EHPAD, c’est leur organisation extrêmement verticale au sein de laquelle les auxiliaires de vie sont de simples exécutants.
L’une des problématiques des établissements pour personnes âgées semble être effectivement un turn-over important des accompagnants.
Il y a des problématiques salariales liées à cela, mais surtout un manque de valorisation, un manque d’autonomie pour les accompagnants. Le modèle des EHPAD fait que vous avez des auxiliaires de vie qui, dans une même journée, ne vont jamais voir deux fois la même personne. La logique d’organisation est taylorienne : certaines personnes s’occupent des repas, d’autres de faire les chambres, etc. En conséquence, il n’existe pas de possibilité pour créer du lien. C’est un gros problème pour les personnes âgées, mais aussi pour les accompagnants qui, au départ, font ce métier pour développer des relations humaines. Ce sont là des choses qui sont clé.
Cela veut dire, pour nous : mettre en place un système d’autogestion dans chaque maison. Dans chaque maison, les auxiliaires de vie sont responsables de ce qui s’y passe. Ils ou elles s’organisent pour l’accompagnement, en accord bien sûr avec les personnes et les familles. C’est extrêmement important d’un point de vue managérial.
L’une des raisons qui expliquent le turn-over dans les EHPAD, c’est leur organisation extrêmement verticale au sein de laquelle les auxiliaires de vie sont de simples exécutants. Nous voulons, pour notre part, leur laisser une capacité d’initiative et de prise de décision. C’est aussi du bon sens : ce sont les auxiliaires qui sont le plus au fait de ce qu’il faut proposer pour assurer le bien-être et la dignité des personnes.
Vous allez ouvrir des maisons à Enghien puis Saint-Cloud. Qu’est-ce qui guide ces implantations ?
Nous en avons d’autres en projet en Île-de-France. D’ici la fin de l’année, la perspective est d’annoncer au moins huit projets au sein du Grand Paris. Ce qui nous guide, ce sont d’abord les opportunités qui nous permettent de nous implanter en cœur de ville. Pas forcément devant la mairie, mais dans un environnement qui soit le plus inclusif possible. Nous discutons avec les promoteurs pour identifier des programmes dans lesquels nous allons pouvoir installer deux habitats partagés, c’est-à-dire 800 m2, en général sur deux niveaux d’immeuble. Et ce n’est pas si simple à trouver. D’autant qu’on essaie le plus possible d’avoir accès à des espaces extérieurs, des terrasses, des jardins privatifs ou partagés.
Oui, parce que l’habitat ce n’est pas que du logement, c’est un environnement, des services, des possibilités de mobilité.
Et nous refusons tout projet qui n’est pas proche des commodités. Nous prenons en compte les projets de ZAC, mais nous sommes très prudents avec, car on sait que pour qu’une véritable vie de quartier se développe il faut plusieurs années. Or, nous sommes très attentifs à nous implanter dans des environnements « facilitants ». Parce que l’enjeu est aussi d’éviter de trop grandes ruptures dans les parcours de vie. Nous allons où les gens vivent, où ils ont une vie sociale, où ils ont leur médecin traitant, où ils ont tissé une relation avec leur pharmacien…
Que veut dire, pour vous, bien vieillir en ville demain ?
Bien vieillir, cela veut dire continuer à être inclus dans la société, profiter de la vie. C’est une vision un peu hédoniste. Je compare souvent la vie à un long voyage et les derniers jours sont ceux où je suis le plus pressé de profiter. Je trouve qu’aujourd’hui nos sociétés ont tendance à mettre de côté les personnes les plus âgées alors que c’est potentiellement le moment ou on devrait leur offrir un maximum d’opportunités.