Mis à jour le dimanche 19 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Florian Rodriguez, co-auteur du livre Le Petit Paris.

INTERVIEW. Florian Rodriguez est un jeune urbaniste, co-fondateur de l’agence bordelaise Deux Degrés, et auteur, avec son confrère Mathieu Zimmer, d’un anti-manifeste tout sauf conventionnel, Le Petit Paris, illustré par le graphiste Martin Lavielle. Si leur parti-pris de rétrécir Paris n’est pas à prendre vraiment au sérieux, il leur a permis de pousser à l’absurde la logique du Grand Paris et de passer aux rayons X leur milieu professionnel. Plein d’humour et jubilatoire, Le Petit Paris vient d’être récompensé par le Prix du livre d’architecture 2015, dans le cadre du festival Impressions d’Architecture.
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Pourquoi parler d’un Petit Paris en 2009, alors que le Grand Paris est sur toutes les lèvres ?
Nous avons terminé nos études en 2009, quand est parue la consultation lancée par Nicolas Sarkozy. Évidemment, en tant que tous jeunes professionnels, nous nous sommes jetés dessus. Nous l’avons lu en détail, et la fascination est très vite passée. Mais c’était quand même un moment important dans l’histoire de notre corps de métier : cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu de profession de foi. Nous ne sommes plus à l’époque de la Charte d’Athènes… Cette consultation, qui réunissait les grands noms de la profession a un peu joué ce rôle. À travers leurs points de vue sur Paris, ils ont exprimé leurs grandes idées, leurs grands principes et concepts dans une compilation.
Notre Petit Paris est donc évidemment une provocation, même si, en tant que sujet, il s’est imposé assez naturellement comme révélateur de l’urbanisme, tel qu’il existe, qu’il est mis en avant et synthétisé aujourd’hui. Il nous a permis d’évoquer nos thèmes de réflexion, plutôt dans la seconde partie du livre.
Une provocation, mais aussi une critique : vous dites que le postulat de départ du Grand Paris était biaisé…
Il est fondé sur une approche de la ville très statistique. « Il faut tant d’habitants pour avoir une croissance économique », « qui dit logique de croissance économique dit croissance démographique »… Nous avons eu l’impression qu’il y avait quelques raccourcis. Ils oublient de prendre en compte l’envie de tout un chacun de vivre comme il l’entend et surtout où il l’entend. C’est pour cela que nous insistons sur le cas des jeunes travailleurs condamnés à Paris. Faire un Grand Paris, d’accord, mais ce ne serait pas mal de se demander pourquoi et, plus fondamental encore, pour qui.
Cette logique du Grand Paris suppose une croissance encore supplémentaire. La croissance démographique en aménagement, c’est par définition des problèmes et une urgence supplémentaires. Au-delà de la provocation, surtout de l’introduction qui verse un peu dans l’anti-parisianisme primaire, nous avons voulu interroger le projet derrière le Grand Paris, qui suppose un parti d’aménagement et une grande machinerie. On peut très bien faire un projet pour gérer le Paris existant. Paris est grand : on en prend acte. Paris a des problèmes : on va essayer de les résoudre, mais sans qu’il y ait cette idée de croissance derrière.
Tout travail d’aménagement suppose un projet politique fort. L’ambiguïté du Grand Paris, c’est qu’on ne l’a jamais ressenti de manière claire. A partir du moment où l’idée est jetée à la volée, pourquoi ne ferait-on pas le Petit Paris ? C’est une boutade, mais, au point où on était, puisqu’il n’y avait pas de justifications, autant balancer la première idée qui nous venait…

Cette idée qu’il faut dés-urbaniser Paris, est-ce seulement une boutade ?
Dans une certaine mesure, oui. Mais du point de vue occidental, et européen en particulier, la France est une exception. C’est un des rares pays où la population croît fortement depuis plusieurs années. Ailleurs en Europe, elle stagne ou croît faiblement. Cela permet des choses. Je me souviens avoir travaillé sur une ville comme Rome, où on a commencé à mettre en place des politiques intéressantes à partir du moment où la population a stagné, parce qu’on a eu la place et le temps pour améliorer les transports, les logements… Toutes les priorités du Grand Paris.
Avec ce livre, on a donc voulu mettre sur la table le fait qu’améliorer la vie des gens, ce n’est peut-être pas forcément faire croître la ville. En plus, il faut être conscient que cette croissance démographique n’est pas éternelle. Elle est censée s’infléchir aux alentours de 2030. Donc, cette logique très française d’une amélioration de la ville synonyme de croissance démographique risque de faire les frais d’un choc culturel. D’autres modèles existent.
Pour dire tout cela, vous avez usé d’une forme originale, qui mêle récits caricaturaux, humour noir, graphiques décalés, termes absurdes… C’était un moyen d’interroger la communication habituelle des urbanistes ?
Complètement. On s’est souvent contenté de pousser à l’absurde certains termes utilisés dans les revues d’urbanisme, qui du coup, sont repris dans les communications municipales. Ce vocabulaire cherche souvent à être consensuel et poétique, mais tombe mal à propos. Il faudrait être concret. C’est aussi pour cela que nous avons intégré à notre Petit Paris des coupures sous forme de récit de vie. Derrière le discours, il y a des gens : imaginons comment ils vivront ! Nous avons choisi pour cela un personnage qui au départ adhère complètement au discours qu’on lui sert, pour mettre en lumière les obstacles qu’il va tout de même rencontrer face à celui-ci.
Donc, votre Petit Paris est plus une satire de ceux que vous appelez les « Grands Urbanistes » que du Grand Paris en lui-même ? Quel est leur problème ?
Totalement. En fait, à mon humble avis, ils sont en train de finir de s’engluer dans la communication. La vieille illusion, ou volonté, de l’urbanisme, c’est d’être à la fois une science et un art. On sent que cela devient une contradiction que certains n’arrivent plus à réconcilier. Est-ce qu’ils créent des concepts et mettent de la communication derrière, ou est-ce qu’ils font de la communication et tentent tant bien que mal de mettre du concept derrière, je ne sais pas. Sans doute un peu des deux, mais ce mélange des genres devient ridicule.
Comment ont-ils reçu votre livre ?
Effectivement, les lecteurs du Petit Paris sont en majorité des urbanistes. Il est aujourd’hui épuisé. Globalement, les retours ont été plutôt positifs. On nous a dit que ça donnait un peu de fraîcheur à un monde où on se prend très au sérieux. Nous sommes une profession qui a parfois plus de pouvoir qu’elle n’en a conscience : il fallait remettre les choses à plat. Nous avons été assez surpris parce qu’en allant dans la provocation, nous pensions être attendus au tournant. La critique qu’on a pu toutefois nous faire, c’est de ne proposer aucune solution pour le Grand Paris. Nous vivons assez bien avec cela, parce que notre objectif n’était en aucun cas de critiquer l’existant au profit d’une nouvelle solution.
Le Petit Paris est disponible en version numérique (6€) sur le site de http://www.deuxdegres.net/