Mis à jour le dimanche 19 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Francis Borezée, vice-président Développement immobilier et touristique Euro Disney.
INTERVIEW. Francis Borezée est vice-président Développement immobilier et touristique Euro Disney. Autrement dit, il pilote le développement de cette ville créée de toutes pièces qu’est Val d’Europe, à Marne-la-Vallée. Puisque, chose unique en France, ce développement est le fait d’un partenariat public-privé associant l’État, les collectivités territoriales et la société Disney. Il nous explique donc ce qu’est cette drôle de ville et de quelle manière un opérateur privé a pris en charge son destin.
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Peut-on commencer par faire un rappel de la situation de Val d’Europe et la mission de Disney sur ce territoire ?
Val d’Europe est le fruit d’une convention signée en 1987 par les partenaires publics que sont l’État, la Région, le département de Seine-et-Marne avec la société Euro Disney. Dès le départ, il a été prévu qu’une ville se bâtisse sur ce secteur 4 de Marne-la-Vallée concomitamment au développement de l’offre touristique. La convention de 87 nous a donné pour mission de développer cette ville, sur une période de 30 ans, jusqu’en 2017, et en 2010, il a été décidé d’aller jusqu’en 2030. Un schéma directeur a été dressé pour définir de quelle manière ce territoire devait se développer, quels lieux doivent accueillir les destinations touristiques et quels lieux doivent se constituer en ville.
À quelle étape en est ce développement ?
Nous en sommes à ce que nous appelons la phase IV. La première consistait à mettre en place la destination touristique (le parc Disney, les hôtels, Disney Village), la deuxième à bâtir un centre urbain autour de la gare RER et la troisième à développer ce centre ainsi que l’offre touristique avec l’ouverture du deuxième parc à thème, Walt Disney Studio. Nous avons aujourd’hui 14,8 millions de visiteurs par an qui visitent nos parcs et un taux d’occupation hôtelière de l’ordre de 80%.
La phase IV a été signée en septembre 2014 pour être notre feuille de route jusqu’en 2023. Elle représente 2,8 Mds€ d’investissement privé et 280 M€ d’investissement public. Elle prévoit une croissance des parcs, notamment celle de Walt Disney Studio qui peut doubler en taille, la construction de nouveaux hôtels, l’extension de Disney Village, le développement urbain avec la construction de nouveaux logements. Nous étudions aussi l’éventualité d’un centre de congrés. Nous sommes déjà présents sur le tourisme d’affaires avec 1 000 événements par an, mais nous voulons faire en sorte de combiner sur ce territoire différents types de population, différents mondes et que ces mondes ne s’ignorent pas.
La mixité sociale…
On y travaille beaucoup. Dès le départ, nous avions 20% de logements sociaux. Nous passons à 25-30% ainsi que 15% de logements intermédiaires dont le prix sera environ à 20% au-dessous du prix du marché. Nous « éparpillons » les logements sociaux de manière à ne pas créer de ghetto et je défie quiconque de les reconnaître, tant nous avons travaillé leur architecture.
Sur le même principe, il est tout aussi important pour nous d’accueillir des entreprises. Nous avons aujourd’hui deux sites d’accueil : 60 000 m2 dans le centre et 90 000 m2 de bureaux et activités dans notre parc d’entreprises. La phase IV est l’occasion de lancer 42 000 m2 de bureaux supplémentaires, répartis dans trois immeubles. Nous discutons aujourd’hui avec des entreprises qui cherchent plusieurs milliers de m2, alors qu’il n’y a pas si longtemps les demandes se situaient sur 150 ou 200 m2.
Mais nous devons chercher l’équilibre entre emploi et habitat. Val d’Europe, ce sont 30 000 habitants et 30 000 emplois. Cela veut dire 15 000 actifs, donc deux emplois par actif !
On essaie d’inventer un nouveau centre de gravité, grâce à nos infrastructures qui sont assez exceptionnelles
D’où viennent vos actifs ?
De la ville nouvelle, de l’Est de paris, du pôle de Roissy, et de toute la Seine-et-Marne. Quand on observe la zone de chalandise du centre commercial, on voit qu’on irrigue à l’est comme à l’ouest. On essaie d’inventer un nouveau centre de gravité, grâce à nos infrastructures qui sont assez exceptionnelles (premier hub TGV de France avec 80 trains par jour qui nous relient à Londres, Cologne, Bruxelles, et Roissy en 10 minutes) et qui séduisent les entreprises. Le groupe Ludendo (La grande récré) a installé son siège opérationnel chez nous. Henkel technologies aussi. On a quelques banques…
On met en avant notre qualité de vie aussi, car la richesse fiscale générée par Disney a été réinvestie dans des équipements publics. En la matière, on est presque suréquipé. Rien que sur le plan scolaire nous avons tout, de la maternelle à l’université. Celle-ci compte 1 400 étudiants. Elle fait partie de Paris Est, avec la Cité Descartes et Créteil. Nous lançons la construction d’un nouveau bâtiment qui nous fera passer à 3 000 étudiants. À terme, nous pourrons accueillir 10 000 étudiants.
En 2013, vous disiez vouloir attirer un grand compte. L’avez-vous trouvé ?
Pas encore. On discute avec un grand compte… On sait qu’on aura plutôt du back-office, des entreprises qui sont déjà implantées dans la partie est de Paris, sur le pôle de Roissy ou sur la ligne A du RER. On cherche, on discute, mais il est tout aussi vital pour nous d’organiser un tissu de PME/PMI. On a lancé un programme avec le promoteur Spirit pour accueillir de petites entreprises. On cherche le gros poisson, mais aussi bien la banque régionale ou la toute petite entreprise innovante, comme Kiwup, une startup financée par Xavier Niel qui s’est installée. L’Association des communes de France (ADCF) nous a d’ailleurs désigné comme l’agglomération la plus dynamique en matière de création d’entreprise. Le seul secteur que l’on a refusé jusqu’alors, c’est la logistique. D’une part parce qu’il y en a déjà beaucoup sur la ville nouvelle, d’autre part parce que cela générerait pour nous trop de flux.
Vous connaissez des problèmes de congestion ?
Non, aucun. Pourtant on a 15 millions de visiteurs par an à Disney, 25 millions au centre commercial et bientôt plusieurs millions aussi à Villages Nature.
Quel est l’intérêt pour vous de cette nouvelle offre touristique qu’est Villages Nature ?
Cela va enrichir notre attractivité touristique et augmenter la diversité du territoire pour qu’il ne soit plus uniquement estampillé Disney. Villages Nature apporte aussi un vrai plus sur le plan du développement durable. Ils creusent un puits géothermique pour alimenter leur destination, mais aussi nos parcs et le centre urbain. Le SAN du Val d’Europe a aussi lancé un appel d’offres pour la mise en place de son propre réseau de chaleur. Sur les trois datacenters du territoire, l’un d’entre eux récupère la chaleur pour chauffer la piscine intercommunale et les entreprises autour. Pour tous nos nouveaux immeubles, on est en RT 2012, moins 10%.
C’est quand même une ville ou le piéton est un peu malheureux.
Je ne dirais pas ça. Avec la création des rues et des places vous avez un parcours dans la ville qui est vraiment très agréable. Nous sommes en train de développer un quartier de logements avec divers lieux sociaux : une place de marché, une autre avec du bureau autour, un espace vert, soit toute une trame piétonne. Nous avons travaillé aussi l’architecture dans ce sens, avec des immeubles R+4 qui sont à échelle humaine et des structures de bâtiments avec des soubassements, des devantures de qualité pour les enseignes commerciales…
Ce qui n’est pas encore abouti, c’est notre réseau de pistes cyclables. La phase IV devrait nous y aider.
C’est une identité un peu particulière, à la manière des stations balnéaires
Depuis 1987 votre façon de voir la ville a-t-elle changé ?
L’ADN de Disney est celui d’une vision à long terme. Et c’est pareil en matière de gestion urbaine, nous nous intéressons à ce qui se passe après la construction. Nous avons un parti-pris architectural que nous respectons, qui donne à la ville sa cohérence, peu à peu. Elle n’a pas encore sa taille finale, mais elle a pris de l’épaisseur, on comprend mieux les quartiers, leur ambiance. Sa densité est raisonnable tout en étant forte autour des pôles de transport, c’est donc quand même une ville assez ramassée.
Ce qui va changer, il me semble, c’est le dialogue avec les habitants, leur implication, notamment sur toutes les questions liées au développement durable, ce qui va nous conduire à porter plus d’attention à ces problématiques tout en conservant notre cohérence urbaine.
Ces habitants savent-ils jusqu’à quel point vous êtes impliqués ?
À l’origine, la proximité de Disney pouvaient en gêner certains, d’autres pouvaient imaginer qu’on allait bâtir une ville à l’américaine, mais tout cela est dépassé. Dans les enquêtes, il ressort clairement qu’ils savent qui est le développeur de leur ville. Je lisais ce matin un article (cet entretien s’est tenu quelques jours après les attentats du 13 novembre, NDLR) où était écrit que le plus important dorénavant allait être de délivrer les promesses que l’on fait. Ici, les habitants pouvaient se poser la question. Nous avons signé une convention qui nous engageait à créer à la fois une grande destination touristique et une ville, et nous l’avons fait. Nous sommes toujours en train de le faire. Et nous réfléchissons à plus tard, après 2020, après 2030, à ce que cette ville va devenir. Et nous menons des enquêtes de manière plus régulière, pour comprendre les critiques, pour apprendre.
Comment forger une identité à une ville aussi jeune ?
C’est une identité un peu particulière, à la manière des stations balnéaires, avec des destinations touristiques fortes et une ville à côté. Il y a une sorte de dichotomie. Mais il y a aussi une dynamique économique qui en fait le pôle de Marne-la-Vallée le plus en développement, une porte d’entrée au Grand Paris.
Avez-vous le sentiment d’avoir été éjecté de la Métropole du Grand Paris ?
Pas du tout. Nous pensons faire partie du Grand Paris, par essence. On travaille beaucoup avec le préfet, Jean-François Carenco, et on pense qu’un Grand Paris va émerger à l’échelle de l’Île-de-France. Il existe des pôles tout autour. Prenez Meaux, prenez Chartres ou Orléans, des villes de 50 ou 60 000 habitants qui gravitent autour ou en périphérie de l’Île-de-France. Il va sans aucun doute se constituer une armature urbaine entre le Grand Paris et ces villes, et nous faisons partie de cette armature. Autrement dit, ce qui nous intéresse n’est pas seulement notre relation à Paris, mais tout autant à Meaux ou à Reims. Nous inventons notre propre centralité.
Quelles sont vos interactions avec les autres pôles de Marne-la-Vallée ?
Nous regardons du côté de la Cité Descartes. C’est l’autre grande polarité de la ville nouvelle qui sera desservie par le Grand Paris Express, ce qui est une bonne nouvelle pour nous car cela amènera plus de clients au centre commercial de Val d’Europe. L’interaction se fait au travers de l’université aussi. Nous observons d’ailleurs avec inérêt toutes les recherches de Descartes en matière d’ingénierie urbaine.
Vous ont-ils proposé d’en expérimenter certaines sur votre territoire ?
On a parlé avec eux, mais pour le moment nous devons nous concentrer sur nos priorités. Mais c’est un contact qu’on souhaite favoriser.
Sur quoi devez-vous être vigilant quant à l’évolution de Val d’Europe ?
Il s’agit de bien comprendre comment la population va évoluer, quelles seront ses attentes à l’avenir. Raison pour laquelle nos enquêtes vont être importantes. Les cinq communes d’origine comptaient 7 000 habitants en tout. Leur population est de 30 000 personnes aujourd’hui, en 2030 ce sera 60 ou 70 000. Les habitants avaient autrefois l’habitude de garer leur voiture n’importe où parce qu’ils pouvaient le faire, la vie était villageoise. Ils doivent dorénavant être attentifs à leur stationnement, ils sont passés à un mode de vie urbain. Ils se sont appropriés la ville. Nous avons un moment collaboré à la tisser, mais elle nous échappe déjà.
Du point de vue urbanistique, il va être nécessaire de poursuivre le dialogue avec les élus locaux pour conserver la cohérence urbaine, les principes fondateurs de cette ville. Il va falloir être vigilant sur le plan social, sur l’offre résidentielle, et attirer des entreprises pour éviter un territoire mono-industriel. Sur 30 000 emplois, la moitié sont des emplois Disney. Demain, notre entreprise perdra de son influence sur l’ensemble du tissu urbain, et c’est une bonne chose.
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