Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Patrick Le Lidec, chercheur au CNRS.
INTERVIEW. Chercheur au CNRS et au Centre d’Études Européennes de Sciences Po, Patrick Le Lidec dirigera à partir du mois d’avril le nouvel Executive Master de Sciences Po, « Gouvernance métropolitaine ». Il en explique ici les tenants, avec une diversion évidente sur le Grand Paris.
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Qu’est-ce qui a conduit Sciences Po à mettre en place ce nouveau master ?
L’idée est née au carrefour de trois évidences. La première, c’est que l’enjeu métropolitain est devenu fondamental. Les métropoles apparaissent aujourd’hui comme des territoires qui polarisent l’économie, qui résistent mieux que d’autres à la crise et qui financent le reste de l’économie, via la redistribution. La deuxième, c’est que la réussite des métropoles ne relève pas seulement de la volonté du secteur public ou des choix des entreprises privées mais de la conjugaison des deux, de la mise en synergie de tous ces acteurs, publics ou privés.
Or, pour ce qui les concerne, le marché de la formation est très fractionné. Les dirigeants territoriaux, les acteurs de l’immobilier ou encore les gestionnaires des infrastructures de transport, pour n’en citer que trois, sont traditionnellement formés dans des lieux très différents. Or tous ces acteurs-là doivent travailler ensemble, dialoguer, alors qu’ils se parlent peu.
Notre idée est donc de les rassembler, de les faire dialoguer pour former des ensembliers. La troisième idée, c’est que Sciences Po possède déjà de nombreuses ressources internes sur ces sujets-là, notamment avec l’existence de trois masters dédiés à l’urbain ainsi que le cycle d’urbanisme, et qu’en faisant également appel à des ressources externes, elle peut offrir une formation de haut niveau sur ces sujets et contribuer à former des ensembliers urbains.
Pour une approche plus transversale des problématiques urbaines ?
Oui, il est indispensable de mixer les approches disciplinaires – l’économie, le droit, la sociologie, la géographie, les finances, la démographie, la science politique – pour appréhender les transformations qui s’opèrent et fabriquer des réponses intelligentes. Il est tout aussi nécessaire de faire dialoguer académiques et praticiens, qu’ils appartiennent au monde du public ou du privé. L’objectif est de décloisonner ces univers, de former des acteurs qui soient en mesure de déchiffrer les transformations territoriales et de co-construire des projets qui supposent la mobilisation du public et du privé.
La métropolisation redéfinit-elle les pouvoirs locaux ?
Oui. Dans un monde globalisé, l’économie se polarise fortement sur les métropoles qui sont les territoires les plus dynamiques. Mais les métropoles concentrent aussi les difficultés de tous ordres et celles-ci peuvent être des obstacles à la croissance.
L’Île-de-France, c’est 22% de la population française et 30% du PIB national. Si ce territoire ne réussit pas, c’est l’ensemble du pays qui peut en pâtir. Un des enjeux est d’en améliorer la gouvernance et les pouvoirs publics l’ont bien compris puisque deux lois été adopées en l’espace de 4 ans pour traiter ce sujet. La dernière loi en date dite d’affirmation des métropoles, adoptée le 27 janvier 2014, vise à en renforcer l’intégration institutionnelle. Ce n’est toutefois qu’une première étape, il y en aura d’autres comme dans les autres pays de l’OCDE.
Gouverner une métropole comme le Grand Paris, cela s’apprend à l’école ?
À l’école et sur le terrain. La formation doit servir à appréhender la complexité des processus métropolitains, et à gérer de multiples interdépendances.
Et elles sont nombreuses.
Très nombreuses. Il est, par exemple, difficile de penser les politiques cohérentes de logement ou de transport si on ne tient pas compte de l’interdépendance entre les deux. L’attractivité d’investissements en logement pour des investisseurs privés est par exemple intimement liée à la réalisation d’investissements publics dans les transports collectifs. Mais en même temps, le coût de ces investissements ne cesse de s’élever et des questions de soutenabilité budgétaire se posent. C’est pourquoi nous avons souhaité intégrer dans la maquette une formation sur les finances publiques, intégrant des éléments de prospective.
Si nous l’avions créée plus tôt, ceux qui l’auraient suivi auraient compris combien la chute drastique des dotations de l’État aux collectivités était prévisible. En France, la consolidation budgétaire a été différée du fait des présidentielles de 2012 et est donc intervenue avec trois ans de retard, avec le risque qu’elle n’en soit que plus brutale. Le master entend aussi proposer des éléments de comparaison pour savoir comment font ou ont fait fait les autres pays. Comment financent-il la ville ? Comment les collectivités ont-elles géré la baisse drastique des dotations ? Quels ont été les effets induits ?
Regarder ailleurs, c’est regarder où ?
On ne peut faire de réponse globale dans la mesure où un problème peut avoir trouvé une solution intéressante dans un pays, sans que ce pays n’offre de solution à tous nos problèmes, ou qu’une solution ne soit pas transposable. Mais notre approche est résolument comparative. Elle consiste aussi – autant que faire se peut – à aller sur le terrain. Cette année nous avons choisi Milan comme destination. Ce choix s’est imposé pour des raisons liées à un héritage commun – le modèle napoléonien – et au paralélisme des réformes adoptées en Italie et en France. L’Italie a été pionnière en adoptant en 2012 une loi qui relance la mise en place de gouvernements métropolitains et qui supprime les provinces – l’équivalent de nos départements – dans les neuf principales agglomérations italiennes. La métropole à statut particulier créée à Lyon s’en inspire. Une des particularités de Milan est d’avoir opté pour une élection au suffrage universel direct du maire de la métropole. On a donc là un système très intégré, qui est certainement un modèle d’avenir.
Autrement dit, le modèle lyonnais de gouvernance métropolitaine va se généraliser ?
C’est probable mais pas certain. La métropole lyonnaise s’est construite sur un terreau spécifique. Elle a bénéficié d’une histoire particulière, d’une expérience longue de coopération réussie, liée au fait qu’on y a créé une communauté urbaine en 1966. Elle a pu être créée en raison de la capacité de deux grands leaders politiques à s’entendre pour avancer.
Même si ces conditions n’existent pas nécessairement ailleurs, le modèle de la métropole à statut particulier adopté à Lyon a de fortes chances de faire des émules et de s’étendre ailleurs. La logique de compétition dans laquelle sont prises les métropoles risque de pousser d’autres territoires à adopter le même statut pour ne pas être distancées. Cela peut susciter une dynamique d’ensemble et pousser en faveur d’une extension.
Ce sera aussi vrai pour le Grand Paris ?
Il est encore trop tôt pour le dire, mais cela fait évidemment partie des hypothèses pour le Grand Paris : à droite comme à gauche, un nombre croissant d’acteurs plaident pour une suppression des conseils généraux de la petite couronne d’ici 2020. Mais ce sera une décision plus difficile à prendre ici qu’ailleurs. En effet, la polarisation sociale, fiscale et politique est très forte dans le Grand Paris. C’est ce qui explique que le statut métropolitain qui avait été attribué par la loi du 27 janvier 2014 au Grand Paris a été jugé trop intégrateur par une majorité d’élus franciliens. Ces derniers sont tentés de déshabiller la métropole au profit des communes et des territoires. On butte sur l’enjeu de la redistribution des ressources qui est pourtant un enjeu central.
En effet, certains territoires disposent de réserves foncières mais n’ont pas de recettes fiscales pour les aménager. D’autres territoires n’ont pas de réserves foncières mais ont des recettes fiscales mais voudraient les conserver. Sans redistribution, il sera encore plus difficile de résoudre la crise du logement dans le Grand Paris et de traiter le problème de la ségrégation. Si le Grand Paris ne parvient pas à transformer sa gouvernance, il est probable que sa croissance sera moins dynamique qu’ailleurs. L’intégration très forte de la métropole lyonnaise sera sans doute une réussite, et je fais l’hypothèse que Nantes, Rennes, Bordeaux et d’autres voudront adopter le même statut, ce qui leur permettra de traiter des problèmes qui demeurent non résolus lorsqu’ils sont aux mains d’une multitude d’acteurs.
À quoi est dû le retard du Grand Paris ?
En 1964, le pouvoir central a commis une erreur historique en supprimant le département de la Seine, qui assurait une péréquation des richesses, pour le remplacer par quatre départements – Paris et les trois départements de la petite couronne – très hétérogènes socialement et politiquement.
Cela a produit une partition entre deux départements riches et deux départements pauvres. Les premiers ont longtemps été des fiefs pour la droite néo-gaulliste tandis que les seconds étaient dominés par le parti communiste. Les cartes ont été partiellement redistribuées depuis une dizaine d’années mais pas assez pour faire métropole…
Depuis le milieu des années 2000, l’idée de revenir sur cette erreur historique pour reconstituer une organisation intégrée progresse mais elle butte logiquement sur cinquante ans de divergences politiques et fiscales.
Les rapports de force ont donc changé de nature et ne situent plus dans une opposition droite-gauche ?
Les clivages ne semblent pas tant opposer droite et gauche que territoires riches et pauvres. Les débats internes au syndicat Paris Métropole l’illustrent aujourd’hui assez bien. En prenant l’initiative de la création de Paris Métropole, la ville de Paris a permis le franchissement d’un pas important, en créant un lieu de dialogue. Mais l’essor du syndicat mixte Paris métropole à la fin des années 2000 a eu une dimension un peu défensive. Lorsque que l’État a manifesté son intention de reconstruire une métropole, certains des élus locaux, qui étaient restés délibérément en lisière, ont décidé de rejoindre Paris Métropole. Il s’agissait surtout d’éviter que l’État ne prenne la main sur le dossier du Grand Paris. Cette dimension défensive est apparue au moment de la préparation de la loi MAPTAM. Le gouvernement a demandé au syndicat de formuler un projet. Or Paris Métropole a eu du mal à s’entendre sur un projet partagé, notamment en raison de désaccords sur les enjeux fiscaux. Le gouvernement a décidé d’en tenir compte en procédant à une réécriture du statut de la métropole du Grand Paris, qui est encore en cours à ce jour.