Mis à jour le mardi 19 mars 2024 by Olivier Delahaye
Entretien avec Ludovic Privat, Senior Mobility Expert chez Autonomy.
INTERVIEW. Autonomy, le salon des micromobilités dont Grand Paris Métropole est partenaire, revient les 22 et 23 mars. Pour Ludovic Privat, l’un de ses experts, les mobilités vivent un moment de profonde transformation qui se lit dans tous ses secteurs et impacte la ville.
Quelles sont les grandes thématiques qui vont être développées à Autonomy cette année ?
Autonomy reste un salon historiquement orienté micromobilités (vélos, vélo-cargos, trottinettes, systèmes de partage…), intégrant de plus en plus le scooter électrique, qui s’est beaucoup développé avec le passage au stationnement payant pour les deux roues thermiques ; ce qui a été un vrai point de bascule.
L’autre grande thématique concerne l’électrification des véhicules. On en parle depuis longtemps, mais cela devient une réalité et nous notons la présence de plus en plus d’entreprises spécialisées dans la recharge.
Troisième sujet en forte croissance : celui des flottes, avec notamment les acteurs de télématique dont les solutions peuvent permettre de mieux gérer ces flottes. Savoir quels véhicules peuvent passer du thermique à l’électrique, quel est le niveau de la charge de la flotte, combien de bornes sont disponibles, etc.
Enfin, nous avons toujours des entreprises spécialisées dans le domaine de l’autonomisation. Chez Autonomy, on a fait le choix de se centrer sur les véhicules de type minibus, mais nous accueillons aussi une société estonienne comme Elmo qui a lancé une voiture commandée à distance, dans une logique de location de véhicule livré au client sans qu’il y ait besoin de conducteur.
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Sur la question de la recharge, n’y a-t-il pas profusion d’acteurs ?
On est rentré dans une course à la part de marché. Que ce soit chez les opérateurs, les constructeurs de bornes ou encore les systèmes informatiques, il y a effectivement de nombreux acteurs. Il y a les grands énergéticiens qui doivent se convertir, les entreprises venant de la production d’électricité alternative, et puis des acteurs totalement nouveaux qui lèvent des dizaines de millions d’euros ; la logique étant d’obtenir les meilleures implantations, là où il y a le plus de trafic.
En ce qui concerne l’innovation, on note deux grandes tendances. La première, c’est le « vehicle to greed », autrement dit comment les batteries des voitures peuvent fournir de l’électricité au réseau en période de pic. La seconde concerne les technologies de connexion entre le véhicule électrique et la borne pour ne pas avoir à utiliser de carte de paiement ; ce qui pourrait déboucher ensuite sur de la recharge par induction au sol.
La mobilité électrique et la mobilité intelligente semblent se développer concomitamment. Sont-elles devenues l’alpha et l’oméga de la mobilité décarbonée ?
Les deux s’associent, oui, avec des différences notables. La mobilité électrique, c’est surtout un changement de technologie. La mobilité intelligente se caractérise par un changement des comportements, essentiellement en zone urbaine et périurbaine. Il s’agit d’apporter des outils permettant à l’usager de faire des choix pertinents en ce qui concerne sa mobilité pour éviter qu’il ait recours à l’autosolisme, ce que l’on appelle couramment le MaaS (Mobility as a Service). Ces changements de comportement n’ont pas forcément la même temporalité que les changements technologiques, même si l’autopartage se développe, la pratique du vélo aussi. En termes de technologie, la tendance est aussi à l’allègement des véhicules, ce qui est un vrai besoin pour décarboner les mobilités.
Voyez les pistes cyclables. La plupart ont été réalisées pour des vélos « normaux » et voilà que l’on arrive au vélo-cargo
La révolution des usages implique un changement de paradigme : la demande précède l’offre. Ce qui pose la question de l’adaptation des infrastructures.
Sans compter que là encore la temporalité n’est pas la même. Voyez les pistes cyclables. La plupart ont été réalisées pour des vélos « normaux » et voilà que l’on arrive au vélo-cargo… Le décideur public doit avoir un temps d’avance. Cela s’est accéléré durant la pandémie parce qu’il y avait une forte demande, mais faire des pistes cyclables réclame généralement du temps, une réflexion, une vision à long terme, car cela coûte cher. Au final, on se retrouve avec différentes temporalités : celle des entreprises et de leurs technologies, celle des usagers qui adoptent ou non ces technos et celle des infrastructures qui changent selon les usages.
La mobilité intelligente et les technologies qui l’accompagnent ne sont pas vraiment nouvelles. Malgré tout, la ville n’est pas plus fluide. Au contraire, elle semble plus chaotique.
Il y a un effet « milieu du gué », je pense. Une transformation en cours de la voirie, une transformation des usages qui n’est pas aboutie et tout cela amplifié par les travaux nécessaires pour réaliser ces transformations. Et il ne s’agit pas que de pistes cyclables, mais aussi de nouvelles lignes de métro, de nouvelles lignes de tramway, des infrastructures lourdes qui engendrent des changements significatifs. La problématique, c’est que vous avez aussi une multitude d’acteurs qui sont partie prenante dans la mobilité et un millefeuille administratif assez complexe…
La clé du succès est dans l’interconnexion entre les différents modes de transport et sur cette question des progrès ont été faits. Tout au moins d’un point de vue technologique. C’est plus compliqué concernant le business model ou le partage de la valeur. On le voit avec ce que l’on appelle le ticket climat, c’est-à-dire une seule application pour se déplacer sur une grande zone. Cela a été fait en Allemagne et en Autriche, c’est plus difficile à mettre en place en en France, car nos transports publics sont dans une logique fermée. Mais ce genre de système est désormais possible.
Une nouvelle mobilité est en passe d’arriver, elle concerne l’aérien. Sera-t-elle d’abord un moyen supplémentaire pour la logistique urbaine ?
On parle de livraison par drones. C’est en train d’arriver aux États-Unis, en Australie. On est plutôt sur de la livraison périurbaine, dans des zones peu denses. La « suburb » américaine s’y prête bien. Les grands acteurs américains du commerce et du e-commerce se positionnent dessus. En zone urbaine, c’est beaucoup plus compliqué, les restrictions de sécurité sont bien plus contraignantes. Ce qui avance bien, en revanche, c’est la logistique automatisée terrestre, la livraison du dernier kilomètre par robot. Il y a eu des essais à Saclay avec Boba Network, Carrefour et le navetteur français Milla. Il s’agit de développer des véhicules de très petite taille qui peuvent rouler sur les trottoirs et des véhicules plus importants pour organiser la rupture de charge.
À Singapour, Grab s’est doté d’un service de 300 personnes pour gérer son propre outil cartographique sur une grande partie de l’Asie du Sud-est
La cyclologistique est aussi en train d’exploser. On a maintenant des vélo-cargos de 3 m3, de l’ordre de la petite fourgonnette, c’est donc assez significatif. De plus en plus d’acteurs se positionnent là-dessus. Ils n’ont pas vraiment le choix avec l’épée de Damoclès « ZFE » qui plane au-dessus de leur tête. La question pour eux, c’est : soit je passe toute ma flotte thermique à l’électrique, soit je me mets au vélo. Un acteur majeur comme Le Petit Forestier est en train de s’y mettre. Il s’est allié avec la start-up K-Ryole pour développer une remorque vélo frigorifique.
La logistique urbaine, c’est aussi la question de l’entreposage.
Oui, la cyclologistique provoque une vraie rupture de charge. Il faut pouvoir passer d’un camion à un vélo, d’où le besoin de miro-entrepôts en centre-ville où cette rupture peut avoir lieu. Les villes réfléchissent beaucoup à comment réutiliser du foncier pour cela. Vous avez aussi la question des lockers qui monte pas mal. Et puis de nouveaux acteurs sont en train d’arriver côté télématique. Ils se sont rendu compte que Google Map ne pouvait pas être utilisé par les transporteurs, car manquant de granularité, notamment avec l’application des ZFE. Ils inventent une nouvelle cartographie. À Singapour, Grab, qui est une grosse entreprise de livraison de repas, s’est doté d’un service de 300 personnes afin de créer et de posséder son propre outil cartographique sur une grande partie de l’Asie du Sud-est.
L’organisation des Jeux olympiques et paralympiques peut-elle servir d’accélérateur pour les mobilités et la logistique ?
Il y a un effet « deadline », incontestablement. La taille de ce genre d’événement a un impact sur les infrastructures, les flux, avec un besoin d’une gestion plus fine de la mobilité. Vous voyez déjà des sociétés comme Colas qui travaillent sur des systèmes de gestion intégrée des travaux pour que leur logistique, qui est très lourde, puisse s’incorporer au flux existant.
Les JOP vont servir de démonstrateur, sur le transport aérien urbain, mais aussi avec un certain nombre d’expérimentations. À Saint-Quentin-en-Yvelines, ils testent un service de navettes autonomes pour relier les sites olympiques. Il y a comme cela de nombreux tests sur des nouveaux véhicules, de nouveaux outils, qui pourraient être pérennisés.