Entretien avec Paul Lecroart, urbaniste à l’Institut Paris Région.

INTERVIEW. Le périphérique parisien fête ses 50 ans cette année et fait toujours l’objet d’intenses débats autour de son devenir. En témoigne la consultation citoyenne que vient de lancer la Ville de Paris sur la création d’une voie réservée au covoiturage, aux taxis et aux transports publics. À l’Institut Paris Région, Paul Lecroart étudie depuis plusieurs années la mutation des autoroutes urbaines dans de nombreuses villes du monde. Il est aussi l’un des co-auteurs du livre Le Boulevard périphérique : Quel avenir ? publié en 2021 chez Archicity.
À sa naissance, le périphérique parisien ne fut-il pas une grande réussite dans a fonction de connecteur, de permettre les échanges et de redistribuer l’espace ?
Oui, on peut dire que le périph’ est un vrai succès puisqu’il est saturé avant même d’être définitivement bouclé. Il a permis à beaucoup de gens de pouvoir se rendre à leur travail en voiture. Cependant, l’enjeu était plutôt de contenir l’usage automobile alors que le périphérique l’a encouragé.
Dans le schéma directeur régional de 1965, le projet global était de réaliser quatre rocades : une rocade des gares à l’intérieur de Paris, le périphérique, des tronçons de rocade préfigurant l’A86 et une grande rocade, l’A87. Au total, 500 km d’autoroutes urbaines. Il se trouve qu’à la même époque Londres avait sensiblement le même projet, suscitant un grand nombre de réactions hostiles, que ce soit de la part des communes, des urbanistes ou des citoyens. Si bien que Londres n’a ni périphérique, ni A86 et le cœur de son agglomération est beaucoup moins congestionné que celui de Paris.
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D’un point de vue urbain, quelles sont les externalités négatives du périphérique ?
C’est une autoroute, et par définition une autoroute est toujours hors-sol : elle ne distribue pas des propriétés riveraines. On ne peut pas construire de logements parce que c’est trop bruyant et trop pollué. D’un autre côté, par son effet vitrine elle attire des enseignes commerciales ou des immeubles de bureaux. On a donc le long du périphérique des murs aveugles, des « bureaux-écrans », des bâtiments qui tournent le dos à la voie, et au niveau du sol des espaces délaissés.
Du côté parisien, ce qui reste de la ceinture verte permet une certaine respiration entre les HBM des années 20-30 et le périphérique. Mais du côté banlieue, l’intégration dans la géographie et la trame foncière fonctionne assez mal. Si vous allez à Saint-Mandé, à Bagnolet ou à Saint-Ouen, vous voyez des bâtiments implantés de biais, le parcellaire ancien n’est pas cohérent avec le périphérique, ce qui donne des formes urbaines très difficiles à aménager. Et encore, on peut dire que le dessin des ouvrages du périph’ est assez soigné, on a su reconstituer certaines continuités et son intégration paysagère et urbaine n’est pas si violente que celle de l’A86.
Sa couverture, à certains endroits, n’a pas su y remédier ?
On le couvre là où c’est possible techniquement et financièrement, pas forcément là où on souhaiterait le faire. Du côté des bois de Vincennes et de Boulogne, c’est plutôt réussi, à Neuilly et à Boulogne aussi. Mais à la porte des Lilas, on est encore dans un no man’s land. La couverture permet d’installer des équipements, pas du logement.
Helsinki projette que d’ici 2050 un tiers de sa croissance sera liée à la transformation de ses autoroutes urbaines en boulevards
Transformer le périphérique est inéluctable ?
Les infrastructures autoroutières sont très pénalisantes socialement. Les personnes qui habitent près de ces autoroutes urbaines n’ont souvent pas le choix d’habiter ailleurs. Elles supportent des taux de pollution et de bruit qui dépassent de très loin les normes admises par l’Organisation mondiale de la santé. Il y a donc un enjeu social. Il y a un enjeu environnemental aussi, il y a un enjeu en termes de corridors écologiques et puis il y a un enjeu d’urbanisme. La voirie occupe une place très importante. Le périphérique ou l’A86 ne sont pas juste des linéaires, ce sont des bretelles, des voies d’accès qui sont elles aussi devenues des quasi-autoroutes. Et puis il y a un enjeu économique. Helsinki, par exemple, projette que d’ici 2050 un tiers de sa croissance sera liée à la transformation de ses autoroutes urbaines en boulevards. Bruxelles, Barcelone, Oslo sont en train de s’inscrire dans cette perspective.
Pourquoi s’interroge-t-on aujourd’hui sur sa transformation ? Est-ce l’effet d’aubaine des Jeux olympiques ?
En réalité, le débat n’est pas nouveau et il concerne l’ensemble du réseau autoroutier de la métropole. Dès 1996, l’EPAD présente son projet de transformer la voie rapide circulaire autour de la Défense en un boulevard en remplaçant les échangeurs par des traversées à niveau permettant de retourner le quartier sur les villes. Aménagé dans les années 2000 dans sa partie nord, il continue à l’être dans sa partie sud (Rose de Cherbourg).
En 2010, je lance pour ma part le programme d’étude « Avenues métropolitaines » sur l’apport de transformation des voies rapides en avenues en partant d’expériences internationales réussies, comme celles de Séoul, New York, San Francisco, Vancouver, Montréal et d’autres. À la même époque, l’Association des collectivités territoriales de l’Est parisien (ACTEP), lance une étude avec la Ville de Paris et les départements de Seine-et-Marne et du Val-de-Marne sur l’autoroute A4 qui crée une véritable fracture sur ces territoires.
En lui-même le périphérique a fait l’objet de propositions dès la consultation internationale de 2008 sur le Grand Paris initiée par Nicolas Sarkozy. Cela a encore été le cas aussi au début des années 2010 lorsque l’on a imaginé la transformation des voies sur berge. Et puis cela a rebondi quelques années plus tard à l’occasion d’un débat sur son avenir au Conseil de Paris. Deux positions s’affrontaient : d’un côté les écologistes qui souhaitaient en faire un boulevard urbain, de l’autre l’opposition municipale qui voulait poursuivre sa couverture. La maire de Paris Anne Hidalgo a tranché en demandant à ce que la question soit plutôt discutée au niveau métropolitain.
Ce qui a donné lieu à la consultation internationale « Les routes du futur du Grand Paris ».
Organisée par le Forum métropolitain, oui. La consultation possédait quatre dimensions : une meilleure mobilité, une meilleure insertion urbaine, une meilleure performance environnementale des infrastructures routières et une réflexion sur la gouvernance et le financement du projet.
Dans la préparation de cette consultation avec l’APUR et la DRIEAT, nous avions insisté sur le fait que la transformation du périphérique était indissociable des enjeux systémiques de la mobilité en Île-de-France. Qu’il fallait aussi prendre en compte l’A86, toutes les radiales et aller jusqu’à la Francilienne, car les infrastructures routières génèrent des formes d’urbanisation spécifiques : grands ensembles, centres commerciaux, zones logistiques. Tout ça fait système et il faut repenser l’urbanisme, l’écologie, l’économie, et les mobilités en même temps.
L’État raisonne encore comme il y a 40 ans, dans l’idée que le maintien, voire l’augmentation, des capacités d’écoulement du trafic, va diminuer la congestion, alors que c’est exactement le contraire
Le Grand Paris Express est-il vraiment en mesure de diminuer la circulation sur les axes autoroutiers ?
Oui, une part des flux routiers peut être reportée sur le nouveau métro. Sa capacité est bien plus importante que le réseau routier. Une file de circulation autoroutière fait passer environ 1 800 véhicules par heure. Le RER A, c’est 50 000 passagers à l’heure. Vous voyez les ordres de grandeur. Le réseau autoroutier prend beaucoup de place, mais transporte peu de personnes. Les transports publics représentent un très grand intérêt, d’autant plus concernant les déplacements banlieue-banlieue qui sont ceux qui augmentent le plus.
L’aménagement qu’il va induire autour de ses gares peut-il aussi agir sur les flux routiers ?
Le Grand Paris Express va certainement à terme transformer la structure de l’emploi au sein de l’agglomération parisienne. Aujourd’hui, on a une concentration assez forte au centre et dans l’ouest, ainsi que sur certains pôles plus diffus comme les aéroports, Marne-la-Vallée ou Vélizy. On peut imaginer qu’un certain nombre d’emplois se relocalise autour des nouvelles gares, notamment le long de la ligne 15 sud qui possède un potentiel très important à court terme. La géographie des pôles d’emploi et d’habitat va changer. Or, les comportements de mobilité sont très liés à l’offre et à l’environnement. Si vous habitez Paris où il est compliqué d’avoir une voiture, vous prenez naturellement le métro. Si vous habitez Évry ou Bondy, la voiture reste attractive. À partir du moment où l’on crée une offre de transport en commun efficace, combinée à une certaine intensification urbaine, les comportements deviennent plus « urbains » ; et l’on se passe plus facilement de la voiture.
Est-ce que le SDRIF qui est en révision ne devrait pas s’occuper de cette transformation du réseau autoroutier ?
Sûrement, mais c’est très difficile d’aligner les planètes. Le système de gouvernance est très éclaté en Île-de-France, à la fois en matière d’urbanisme, mais encore plus sur la mobilité où chacun voit midi à sa porte. Par exemple, chacune des 400 communes de l’agglomération est responsable de la régulation du stationnement qui est un facteur clé dans le choix mode de transport. À Lyon, Strasbourg ou Nantes, ces questions se posent différemment parce que ces métropoles ont une gouvernance plus intégrée, avec des autorités métropolitaines qui sont en charge de la planification urbaine, des politiques de logement, de mobilité, de voirie ou de stationnement, mais aussi des transports publics. Dans beaucoup de métropoles occidentales, l’autorité en charge des transports est aussi en charge de la route, des taxis, des bateaux, des vélos, etc. Ils ont en main toutes les clés et ils sont souvent aussi responsables des principales voiries.
En Île-de-France, le réseau magistral est aux mains de l’État. Et l’État raisonne encore comme il y a 40 ans, dans l’idée que le maintien, voire l’augmentation des capacités d’écoulement du trafic, va diminuer la congestion, alors que c’est exactement le contraire. Le remplacement d’une voie de circulation banalisée par une voie réservée aux bus et/ou au covoiturage augmente la capacité de transport des personnes : elle ne la diminue pas.
Le sujet est aussi épineux du point de vue de la logistique.
Le principe ce n’est pas restreindre pour que cela aille plus mal, mais de transformer pour que cela aille mieux. À un moment donné, il faut faire des choix et sélectionner les usages les plus pertinents. Il faut trouver des systèmes qui soient équitables socialement et efficaces économiquement, et sélectionner les usages du point de vue de l’intérêt collectif. Cela a été très bien montré il y a une dizaine d’années lors du Grenelle des mobilités de Bordeaux. Tous les acteurs de la mobilité réunis sont tombés d’accord sur le principe que leur priorité était l’économie ; ils ont dès lors engagé des politiques visant à réduire les déplacements inutiles des particuliers. En France, on a environ 60 % des déplacements de moins de 3 km qui se font en voiture. En 2006, la ville de Malmö a organisé une grande campagne sur ce thème en demandant à ses habitants d’avouer le déplacement le plus « stupide » qu’ils avaient fait en voiture. En récompense, la ville leur offrait un vélo. Cela a tellement bien marché qu’ils sont passés de 10 % de déplacements à vélo à 20 % en quelques années. Tout à coup les gens ont pris conscience du ridicule de certains de leurs déplacements.
Le Boulevard périphérique : Quel Avenir ? – Édition Archicity, 2021 – 35 €
Encore un parisien totalement déconnecté des contingences journalières des travailleurs qui vivent en banlieue, doivent se rendre à leur bureau à l’autre bout de Paris tout en gérant leur gosses à l’ecole puis au sport. Il est impossible de prendre les transports dans ce cas à moins de mettre 2h aller puis 2h retour et encore sans grève ou autre retard ! La voiture et le 2 roues sont les 2 seuls moyens de déplacement viable en idf si on ne veut pas perdre sa vie en temps de transport, quand il y en a !!! Le réseau de transport interbanlieue ou pour traverser l’idf est une pure chimère de bobo écolos totalement à l’ouest.
Et la M25 autours de Londres à 2 fois 4 voies ! C´est pas un périphérique ?