Mis à jour le mercredi 13 juillet 2022 by Olivier Delahaye
Des fermes où l’on cultive le biométhane sous des cloches jusqu’aux moteurs des bus, une filière énergétique est en train de naître. Et cela se passe surtout en Seine-et-Marne.
De la ferme d’Arcy, on peut apercevoir au loin les cheminées de la raffinerie Total de Grandpuits, dernière raffinerie d’Île-de-France. Un paysage énergétique appelé à disparaître puisque le groupe pétrolier a annoncé la reconversion de son site vers la production de biocarburants. D’autres paysages énergétiques émergent : les champs d’éoliennes, les parcs solaires et aussi les cloches de méthanisation. C’est ce que l’on voit à la ferme d’Arcy : de grands dômes verts destinés à la production de biométhane.
De la belle ouvrage
À Chaumes-en-Brie, en Seine-et-Marne (disons au sud de Meaux et au nord-est de Melun), la ferme des frères Quaark, Mauritz et Jean-Pierre, est connue pour être pionnière en la matière. Ils ont démarré leur projet en 2008. Cinq ans et cinq millions d’euros d’investissement plus tard, ils lançaient leur méthaniseur, depuis visité par nombre de journalistes et d’officiels. Autant dire qu’ils ont acquis une véritable pédagogie pour expliquer le cycle vertueux du procédé. Résumons. Sur leurs 280 hectares de surface agricole utile (SAU) mis en polyculture (orge, colza, maïs, etc.) et leurs 100 hectares de prairies où paissent 500 vaches limousines, ils récupèrent les effluents de bovins, les biodéchets (principalement des poussières de céréales) et des cultures intermédiaires à vocation énergétiques (CIVE). Soit environ 12 500 tonnes de déchets agricoles par an. Ils intègrent le tout dans le méthaniseur, un milieu anaérobie chauffé à 40 °C et, au bout de trois mois, récupèrent du gaz qui, envoyé sur le réseau de GRDF, n’a plus qu’à être compressé pour servir de carburant. Du champ au réservoir pourrait-on dire. Et aussi : 3 % du gaz qu’ils produisent leur sert à chauffer le méthaniseur. Cycle court donc. Et encore : outre du gaz, s’extrait du méthaniseur un résidu appelé digestat que les frères Quaak utilisent comme substitut aux engrais chimiques. Avec un méthaniseur dimensionné à la superficie de leur exploitation, ils peuvent se passer de potasse, de phosphore et ont diminué de moitié leurs intrants azotés. De la belle ouvrage.
Le digestat se digère mal
La méthanisation agricole, c’est l’alpha et l’oméga de la production de biométhane. Une filière dans laquelle s’engouffrent les agriculteurs de France et de Navarre. Un filon même, entretenu par différents mécanismes de soutien, des financements régionaux et les aides du Fonds chaleur. Sur près de 700 méthaniseurs que compte le pays, les trois quarts sont agricoles, les autres concernant essentiellement les boues d’épuration et les déchets ménagers. En pointe, la Bretagne, la Nouvelle-Aquitaine et le Grand Est. En Île-de-France, sur les 30 unités de méthanisation en fonctionnement (60 sont en projets), 17 sont agricoles. Principalement en Seine-et-Marne.
Si le secteur agricole est autant impliqué, c’est parce que la méthanisation fut d’abord un projet agronomique consistant à développer le digestat comme matière organique naturelle pour remplacer les engrais. Aujourd’hui, alors que l’aspect énergétique a pris le dessus, c’est justement sur la question du digestat que ça coince. Que contient-il ? Selon certaines études, peut-être des résidus d’antibiotiques, des agents pathogènes, voire des bactéries antibiorésistantes qui peuvent contaminer les sols et les nappes phréatiques. Stocké à l’air libre, le digestat, du fait de sa volatilité, serait même susceptible de libérer du protoxyde d’azote, connu comme gaz hilarant, mais, moins drôle, comme puissant gaz à effet de serre aussi.
La croisée des chemins
En 2018, treize communes de Seine-et-Marne s’étaient ainsi associées contre l’épandage de digestat sur leurs terres. Ailleurs, des projets doivent faire face à des oppositions de type « Nimby » d’habitants qui soupçonnent les méthaniseurs de répandre des odeurs pestilentielles. Fin septembre, Claudia Rouaux, députée socialiste d’Ille-et-Vilaine, interpellait le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie sur certaines dérives de la filière, notamment l’accaparement de terres au profit des fameuses cultures intermédiaires à vocation énergétique avec, pour effet, une spéculation foncière.
Bref, la méthanisation agricole semble être à la croisée des chemins. Ses enjeux sont clarifiés : s’attaquer à la problématique du digestat et de son stockage ; faire en sorte que la filière ne soit pas en compétition avec la filière alimentaire ; agir sur la fiabilité des sites pour ne pas générer de problèmes d’odeur ; dimensionner les projets de manière à éviter les flux de camions et de tracteurs qui posent eux aussi des problèmes d’acceptabilité.
Transition énergétique, mais en bus
Il serait d’autant plus dommage que la méthanisation se déshabille de ses vertus que des milliers de bus franciliens s’apprêtent à rouler au biométhane. Île-de-France Mobilités (IDFM) veut 100 % de bus « propres » pour 2029. D’ici 5 ans, l’autorité organisatrice des transports franciliens souhaite même atteindre cet objectif pour la zone dense de la région. Elle passe donc des commandes à tour de bras pour renouveler la flotte de ses opérateurs (RATP, Transdev ou Keolis) avec un investissement estimé aujourd’hui à 500 millions d’euros. Délaissant définitivement les bus hybrides qui « polluent beaucoup trop » selon Valérie Pécresse, sa présidente, IDFM se convertit à l’électricité d’un côté, au biométhane de l’autre. Surtout au biométhane.
Ce gaz naturel pour véhicule (GNV) dit « renouvelable » concernera 70 % de sa flotte. Une opportunité quasi historique pour les agriculteurs. Mais aussi pour GRDF qui contribue à adapter les centres opérationnels des bus (COB) d’IDFM. Là où ils font le plein. Le fameux COB de Lieusaint, en Seine-et-Marne, connu depuis 2011 pour ses bâtiments colorés et sa certification HQE vient d’achever sa conversion après 18 mois de travaux. D’ici le premier semestre 2022, ce sont 26 centres qui doivent être ainsi convertis pouvant accueillir 1 750 bus et cars. La transformation d’une place de bus pour la prise de recharge au biométhane coûtant en moyenne 56 000 euros, c’est ainsi un investissement de 100 millions d’euros que réclame cette conversion. La naissance d’une véritable filière économique.