Le Grand Paris Express et ses effets territoriaux

Visuel de la gare de Bondy sur la ligne 15 Est. Crédit : BIG - Silvio d'Ascia - Société du Grand Paris

Mis à jour le lundi 31 janvier 2022 by Olivier Delahaye

Durant plus d’un an, un groupement mené par la coopérative Acadie a travaillé sur une anticipation des impacts du futur métro dans le temps et dans l’espace. Résultats…

«  Désaturer le RER et les transport existants. Réduire la congestion et la pollution urbaine. Lutter contre l’étalement urbain. Favoriser le développement économique de l’Île-de-France », peut-on lire sur le site de la Société du Grand Paris (SGP). Le Grand Paris Express (GPE), ce super métro automatique réalisé sur un nouveau réseau et 68 gares, serait donc l’infrastructure de transport aux mille vertus. Celle qui fera mieux que les autoroutes des années 1960. Mais quels effets territoriaux peut-on en attendre à plus ou moins long terme ? Le groupement Acadie-TVK-GGAU s’est vu confier à l’automne 2015 par la SGP une étude sur ces effets dont elle a rendu ses principales conclusions au mois de février lors d’un séminaire.

La mobilité résidentielle boostée

Premier enseignement de cette étude : les mobilités vont augmenter. Ce serait presque une lapalissade. On pourrait paraphraser Michel Audiard pour qui « le bidule crée le bidule » : le transport crée du transport, plus il y a d’offres de transport plus il y a de déplacements. Certes, mais le groupement conduit par Acadie va un peu plus loin en cherchant quelles vont être ces mobilités et quand vont-elles se mettre en place. Elle décrit trois phases. Grand Un : la mobilité des ménages. La seule annonce de la création du Grand Paris Express aurait déjà créé un choc sur l’offre de logements, par effet d’anticipation. Plus réactifs que les entreprises, les ménages sont prêts à attendre le métro et à vivre sans durant quelques années pourvu que la nouvelle offre de transport valorise leur bien.

C’est donc la mobilité résidentielle qui va entamer le mouvement. Selon Daniel Behar, directeur de la coopérative Acadie, « cette dimension des mobilités est en train de se concrétiser. » Ce que tend à confirmer un habitant de Bondy qui témoigne dans l’étude : « J’habite Bondy et des promoteurs viennent régulièrement me demander si je souhaite leur vendre mon terrain. » Bondy qui n’est guère la ville la plus attractive du Grand Paris mais qui bénéficiera bel et bien d’une nouvelle gare sur la ligne 15. Ce que confirme aussi Clotilde Saint-Hilaire, directrice des investissements et de l’innovation à Grand Paris Habitat (groupe SNI) : « Cela fait déjà plusieurs années que l’on intègre le Grand Paris Express dans nos projets de logements sociaux et intermédiaires. La cible du logement intermédiaire ce sont les infirmières, les employés de bureau, les pompiers… Et les quartiers de gare seront propices pour ce logement intermédiaire. »

Aller plus vite ou habiter plus loin ?

À partir de la mise en service des lignes du Grand Paris Express, la mobilité résidentielle devrait se tasser. Mais, deuxième temps du scénario, l’amélioration de l’accessibilité devrait alors entraîner une forte hausse des mobilités quotidiennes : les trajets domicile-travail. Hausse provoquée notamment par un élargissement généralisé des bassins de recrutement. Le Grand Paris Express modifiant de façon très conséquente les temps de trajet, un habitant de Clichy-sous-Bois pourra rejoindre Marne-la-Vallée en 15 minutes contre 1 heure aujourd’hui. La logique pourrait même devenir la suivante : si je suis prêt à faire 1 heure de transport aujourd’hui pour aller à mon travail, pourquoi ne pas toujours faire 1 heure en habitant un peu plus loin ? C’est un peu ce que dit Jean-Raphaël Nicolini, directeur des grands projets urbains chez Kaufman & Broad : « La possibilité de mettre des lignes en réseau sans passer par Paris pourrait pousser des populations à chercher ailleurs plus de confort et de qualité de vie. Les villes moyennes, hors Île-de-France, pourraient en bénéficier. » Kaufman & Broad a d’ailleurs créé en son sein une nouvelle division sur le secteur géographique de ce que l’on nomme la quatrième couronne francilienne : Reims, Tours, Château-Thierry…

La tertiarisation par le métro

Troisième temps des mobilités : celui des entreprises. Pour qui il est plus urgent d’attendre. Les experts du cabinet de conseil Knight Frank nous le disaient déjà : même si l’horizon 2022, date de la mise en service de la ligne 15 sud, paraît finalement proche, le foncier afférent n’est pas encore maîtrisé et les bâtiments susceptibles de s’y construire ne le seront sans doute pas avant la date butoir. Si la production de logements dans les quartiers de gare du GPE devrait donc commencer bien avant celle de bureaux, il ne fait pourtant pas de doute qu’un grand mouvement devrait se dessine. Chaque quartier de gare pourrait accueillir de nouvelles surfaces de bureaux et chaque grand pôle pourrait devenir un pôle tertiaire. Cela ne se passera sans doute pas tout à fait ainsi. Jean-Raphaël Nicolini prévient : « Il est absurde de dire que toutes les gares deviendront des pôles tertiaires, car les investisseurs veulent être sécurisés. »

Et la sécurité en la matière est toujours représentée par La Défense, le quartier central des affaires (QCA) à Paris, Marne-la-Vallée et, sans doute demain, le quartier Pleyel à Saint-Denis. Cette vaste entreprise de tertiarisation par le métro pourrait aussi être contrariée par certains territoires eux-mêmes. Plaine Commune qui accueillera sept gares du Grand Paris Express n’entend pas prendre le risque de devenir peut-être un jour une friche tertiaire après avoir été une friche industrielle. Le territoire possède déjà avec la Plaine-Saint-Denis un quartier d’affaires où ne travaillent que 3 % de ses habitants. Il souhaite dorénavant une programmation mixte avec des locaux d’activité, notamment, où est déjà employée aujourd’hui 25 % de sa population.

Des équipements saturés ?

Ce choc des mobilités que va entraîner le Grand Paris Express aura bien entendu des conséquences. Si l’étude d’Acadie ne saurait encore les décrire toutes, ses auteurs prévoient « tendanciellement un réajustement sociologique et résidentiel entre l’Est et l’Ouest francilien, donc une baisse de la ségrégation en Île-de-France. En revanche, il devrait se produire une hausse des contrastes infra communaux. » La densification urbaine, déjà à l’œuvre, devrait aussi s’accentuer. « Les groupes privés de santé ou d’éducation supérieure suivent de près ce processus de densification », nous dit Daniel Behar. Des effets sont donc à prévoir en matière d’équipements, d’autant que l’accessibilité des nouvelles gares laisse prévoir un élargissement des bassins de population. Les équipements existants devraient « rayonner » beaucoup plus, voire saturer si une nouvelle offre ne voit pas le jour. Plaine Commune a ainsi pu obtenir auprès de la Société du Grand Paris la construction d’un nouvel équipement culturel dans le quartier Pleyel.

Concurrence territoriale

Reste à savoir ce qu’il en sera des effets du GPE sur les territoires eux-mêmes. De manière globale, l’étude d’Acadie privilégie un scénario en deux temps : un premier impact fort sur la première couronne francilienne avant la mise en service du métro et un second impact sur la deuxième couronne. Consultant chez Acadie, Nicolas Rio envisage même que « le Grand Paris Express aura surtout des effets sur cette deuxième couronne, en raison de ses nombreuses interconnexions. Les trois quarts des flux de la ligne 15, par exemple, se feront en interconnexion. » Autrement dit, les villes des Yvelines, de la Seine-et-Marne, de l’Essonne et du Val-d’Oise qui se trouvent en bordure de la Métropole du Grand Paris devraient connaître une véritable dynamique dans les 15 ans qui viennent et se retrouver beaucoup plus intégrées au processus métropolitain. Dans ce cas, les quatre départements de grande couronne pourraient vite être confrontés à un développement à deux vitesses : des villes métropolitaines et un arrière-pays.

Autre effet : une concurrence territoriale qui risque de s’accroître. Celle-ci peut avoir un effet vertueux. Directeur délégué chez Linkcity Île-de-France, David Marquet explique : « Alors qu’ils pouvaient être autrefois réticents, les élus locaux qui accueilleront une gare du Grand Paris Express sont aujourd’hui fiers d’avoir un grand projet chez eux. Et ceux qui n’en accueilleront pas se demandent : qu’est-ce que je peux faire pour développer mon attractivité si mon voisin a une gare ? Au fond, les maires redeviennent bâtisseurs. » Mais on s’attend avant tout à l’émergence de certains territoires, notamment de ceux qui se sont déjà lancés dans un processus de transformation urbaine, comme Massy ou Ivry-sur-Seine. On s’attend aussi à des délaissés. Patrice Girot, directeur général des services de l’agglomération Plaine et Vallée (Val-d’Oise), déplore : « Pour l’instant le Grand Paris, c’est le Grand Paris Express. Or, sur notre territoire la tangentielle nord aura plus d’impact que le Grand Paris Express. La métropole inclusive et solidaire n’est pas à l’œuvre. Sera-t-on la Franche-Comté de la Suisse ? »

Faisant suite à ces travaux du groupement mené par Acadie, la Société du Grand Paris mettra en place durant ce printemps un conseil d’évaluation transdisciplinaire. On ne crée pas 200 km de métro sans tenter de comprendre au préalable ce qui va en résulter.

2 Commentaires

  1. Vendre des bureaux aux alentours de cet endroit doit être bien profitable pour les investisseurs en quête de nouveaux niche de marché immobilier.

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