Le logement, nerf de la guerre à Ivry Confluences

Baptisée "Duo en Seine", une programmation de 160 logements sur le site des anciens locaux de France Telecom, à Ivry Confluences. Livraison prévisionnelle : quatrième trimestre 2015.

Mis à jour le mardi 3 novembre 2020 by Olivier Delahaye

Dans un quartier marqué par son histoire industrielle, Ivry-sur-Seine a entamé sa révolution pour accompagner un saut démographique annoncé, avec un projet de développement mixte, Ivry Confluences. Mais doit composer avec de nombreuses crispations autour de la question du logement.

Aux portes de Paris, à la confluence de la Seine et de la Marne, Ivry-sur-Seine a vu son paysage urbain marqué par les hautes cheminées de l’âge d’or de l’ère industrielle. Seulement ici comme ailleurs, cela fait longtemps que les BHV, Total, Nathan ou Philips ont plié bagages. Ce qui n’empêche pas l’optimisme dans la commune du Val de Marne, qui compte bien renaître de la désindustrialisation. Et comment ! Ivry-sur-Seine, 58 000 habitants, estimait ainsi en 2013 que sa population passerait à 72 000 en 2025.

Aujourd’hui, Philippe Bouyssou, le maire PCF de ce fief communiste, élu en février dernier après la disparition en début d’année de son prédécesseur, Pierre Gosnat, tempère ces chiffres, mais confirme bel et bien l’existence d’un « bond démographique » à venir. Il s’expliquera par des apports extérieurs indiscutables, séduits par la situation géographique stratégique d’Ivry-sur-Seine dans un contexte de crise du logement en Île-de-France, et par le développement de sa population existante.

Ivry Confluences, un signal fort pour le sud francilien et Ivry-sur-Seine

Alors, pour maîtriser la suite de son histoire, Ivry-sur-Seine s’est mise en chantier avec un projet d’envergure : la ZAC Ivry Confluences, qui accueillera 10 % d’équipements publics, 40 % d’activités économiques, et 50 % de logements (dont 50% de logements sociaux). Entré en phase opérationnelle depuis 3 ans, l’ensemble du projet devrait s’achever en 2025. Fer de lance de l’Opération d’Intérêt National Rungis-Seine-Amont, Ivry Confluences est un signal important du renouveau du sud-est parisien et possède une dimension métropolitaine indiscutable, avec un périmètre de réflexion urbaine de 145 hectares (20% du territoire de la ville) et un périmètre opérationnel de 98 hectares (l’équivalent du 2ème arrondissement parisien…).

Pour Jean-Pierre Nourrisson, directeur général de la SADEV 94, aménageur d’Ivry Confluences, « Ce secteur sud-est de la première couronne francilienne a un rôle majeur à jouer sur l’attractivité de l’Île-de-France. »

Avec de nouvelles voiries, des transports en communs développés et un grand parc public s’étirant des bords de Seine au cœur d’Ivry Confluences, le quartier désenclavé a vocation à posséder un rôle de rééquilibrage du territoire régional et s’ouvre sur Paris. Mais aussi sur le reste de la ville d’Ivry. Car la ZAC est également un projet communal, intrinsèquement lié à un passé industriel. Pour le comprendre, il faut remonter en arrière dans son histoire. En 1985, plus exactement. SKF, une usine de roulements à billes, l’une des dernières d’importance à Ivry-sur-Seine vient de fermer, après une longue bataille politique et syndicale. SKF est une page qui se tourne et préfigure une période de déclin, y compris démographique, qui s’étendra jusqu’à la fin des années 90. Dans l’un des derniers bastions communistes de l’ex-banlieue rouge, la réflexion sur la reconversion d’Ivry-Port, un quartier industriel et ouvrier, s’amorce avec SKF, symbole de la désertion industrielle.

Ivry Confluences, le plan
Ivry Confluences, le plan

« Pas seulement du « tartinage » de logements »

Pour Ivry Confluences, 30 hectares d’emprise industrielle ancienne ont été libérés. Peu de villes en Petite Couronne peuvent se targuer d’un tel potentiel. « Face à un phénomène comme celui-là, une ville a deux options. Soit elle laisse les promoteurs immobiliers mettre la main sur ce gisement de mutation et de développement avec une logique de profits, soit elle essaie de maîtriser un minimum. Nous avons à Ivry-sur-Seine choisi la seconde option, d’où la création d’une ZAC et la désignation d’un aménageur public qui est la SADEV 94. Car, ce que nous voulons avant tout, c’est un développement mixte de ce territoire avec des potentialités de mutations énormes, et pas seulement avec du « tartinage » de logements. Nous voulons de l’activité économique, y compris non délocalisable, avec des entreprises productives et pas du « tout-bureaux ».

Avec un pourcentage raisonnable de logements comprenant 50% d’accession en favorisant les prix maîtrisés et des conditions préférentielles pour les Ivryens, et 50% de logements sociaux. » rappelle Philippe Bouyssou. « Pour moi, le grand enjeu d’Ivry Confluences est la mutation d’un quartier ancien pour en faire un vrai quartier de vie. Autrement dit, un quartier qui réunit l’ensemble des fonctionnalités de la ville pour y créer de la convivialité chaque jour de l’année, sans faire table rase du passé, mais au contraire en conciliant son bâti historique avec des constructions modernes. » complète Jean-Pierre Nourrisson.

Planche de présentation de la réhabilitation de La Minoterie
Planche de présentation de la réhabilitation de La Minoterie (avril 2012), architecture 19e recomposée en bureaux, logements et commerces. Livraison prévisionnelle : 4ème trimestre 2015.

Densité, diversité architecturale, espaces verts et évolutivité : les ingrédients du logement de demain ?

Bruno Fortier, architecte urbaniste, a coordonné l’équipe qui a dessiné le projet avec la volonté, entre autres, d’insérer des constructions nouvelles au sein d’un tissu existant à l’architecture éclectique, dont des bâtiments industriels de qualité moyenne. Préserver ces derniers, et du même coup la diversité architecturale d’Ivry, lui tenait particulièrement à cœur. « Je ne suis pas sûr d’y parvenir. » dit-il aujourd’hui. « Avec la Ville, nous avons convenu de repérer une trentaine de bâtiments à conserver. Ils sont encore debout, seulement, nous n’avons pas encore trouvé quelles seraient leurs fonctions. Dans de grands bâtiments, nous n’aurons pas trop de mal, mais cela va être moins évident pour des constructions « de bric et de broc », plus pittoresques mais aussi plus fragiles… Nous n’avons pas encore la clé. » L’architecte, qui reste confiant sur la question, l’est un peu moins pour un autre de ses chevaux de bataille : l’intégration hybride du végétal dans les opérations. Il s’était inspiré du PLU de Berlin.

« Les habitudes sont lourdes, c’est déjà beaucoup si on obtient un toit végétalisé. Pour l’instant je ne vois pas beaucoup d’audace de ce côté-là de la part des promoteurs », regrette-t-il.

Pourtant, pour lui, c’est l’une des clés pour rendre la densité acceptable. Et à Ivry Confluences, la problématique est centrale. « Comme dans toutes les ex-couronnes industrielles, il est assez bien vu de dire qu’il faut arrêter d’étaler la ville et reconstruire là où les équipements existent déjà. Seulement, c’est un processus compliqué. D’abord ce sont des terrains habités, ensuite ce sont des terrains souvent pollués, inondables… Cette récupération, ce retour sur la ville, est assez coûteux et sophistiqué. La densité, que tout le monde décrit comme une merveille, n’est pas une idée évidente. Il faut lui donner du charme. C’est intéressant, mais ce n’est pas simple. »

Ivry Confluences, avec ses écueils et ses interrogations est en quelque sorte un laboratoire qui questionne l’innovant. Et notamment sur la question du logement. La SADEV 94 explique ainsi avoir récemment lancé la commercialisation d’un programme important : trois bâtiments de grande hauteur en face du BHV, qui portent l’idée d’un travail sur de nouvelles typologies d’habitats, évolutifs et adaptables. Un autre îlot à dominante logement, le 4G, devrait être lancé à la commercialisation cette année et véhiculer la même logique. En tout et pour tout, 5 600 habitations, du studio au 5 pièces duplex, devraient être livrées en 2025 par les promoteurs partenaires d’Ivry Confluences : Bouygues Immobilier, Brémond, Crédit Agricole Immobilier, Icade et SODEARIF.

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Sur le site des anciens entrepôts du BHV naîtra un véritable quartier dans le quartier, l’îlot BHV, décrit comme un campus de 103 000 m2.

La fronde des habitants

Le logement de demain ne fait toutefois pas l’unanimité à Ivry Confluences, d’autant qu’Ivry Port, quartier populaire, est déjà habité. « Majoritairement, Ivry Confluences est lié à la mutation des grandes emprises industrielles qui ont été désertées, précise Philippe Bouyssou. Ce qui pose problème, c’est la deuxième caractéristique du projet : un habitat ancien dégradé qu’une décennie d’opérations d’amélioration programmées du logement et de partenariats menés avec l’Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat, ne nous ont malgré tout pas permis de résorber. Toute une partie de cet habitat va disparaître », concède l’élu, qui doit faire face à la fronde de certains habitants, qui dénoncent les expropriations dont ils sont victimes. « En juillet 2011, nous avons commencé à recevoir des lettres qui nous expliquaient que nous allions être expropriés. 400 propriétaires et 300 locataires sont concernés », explique Jamale Lahyane, porte-parole de l’association Ivry Sans Toi(t). « Or, l’indemnité qui est proposée ne permet pas de se reloger dans les mêmes conditions », dénonce-t-il, tout comme un manque de transparence et de communication de la part de la municipalité.

« Nous sommes dans un quartier populaire : ici, les gens ne savaient même pas ce qu’était une ZAC. Le projet a été fait sans nous », regrette l’Ivryen. Nous ne contestons pas le projet en lui-même mais la façon dont nous sommes traités, et même maltraités. La municipalité se sert de nous pour équilibrer son projet. »

En 2013, Rue89 brosse le portrait d’habitants inquiets, « futurs expropriés de la rénovation urbaine ». Pour d’autres, comme le collectif Charivary qui édite un journal d’information, ils sont les victimes de la gentrification à venir ou encore d’un « Grand Projet Inutile et Imposé ». Les détracteurs d’Ivry Confluences lui reprochent la construction de futurs bureaux et logements sociaux en masse, qui ne correspondent pas aux besoins du territoire. Enfin, pour eux, les logements existants auraient pu être réhabilités.

affiche8decembre-IVRY

Philippe Bouyssou reconnaît qu’une plus grande transparence sur ce qui est la réalité des familles à Ivry Confluences est nécessaire, y compris pour contrer les récupérations. « Ce sont majoritairement des personnes locataires, exploitées par des propriétaires indélicats. Elles frappent à la porte du logement social et c’est aussi pour elles qu’on veut rénover la ville. Nous avons déjà relogé des dizaines de familles. Nous nous basons sur le Droit à la Ville, et il est d’abord valable pour les Ivryens. »

Philippe Bouyssou compte faire de la lisibilité des enjeux et des objectifs du projet l’une de ses grandes priorités pour porter et accompagner les prochaines grandes étapes d’Ivry Confluences. Il est bien conscient qu’il aura à composer avec cette levée de boucliers pour que son grand chantier suive son cours. Et s’apprête donc à mener une bataille politique, à Ivry-sur-Seine et au-delà, sur fond de loi sur le Grand Paris et de suppression des dotations globales de fonctionnement des communes. « Nous continuerons de nous battre pour que l’orientation que nous avons choisi demeure. » conclut-il.

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