Le marché de bureaux sauvé par le public ?

Futur siège de l'ONF à Maisons-Alfort - Crédit : VLAU et WOA
Futur siège de l'ONF à Maisons-Alfort - Crédit : VLAU et WOA

Mis à jour le lundi 7 décembre 2020 by Olivier Delahaye

La crise sanitaire a porté un coup terrible à l’économie de l’immobilier tertiaire. Dans une étude très détaillée, le cabinet spécialisé Knight Frank revient sur la place que tient le secteur public en Île-de-France et s’interroge sur sa capacité à sauver ce marché du marasme.

Place des pouvoirs politiques et économiques en France, Paris affirme le caractère centralisé de l’État français. À cela s’ajoutent la prédominance de puissantes collectivités territoriales et la présence de nombreux sièges d’entreprises publiques. Le cabinet Knight Frank, spécialisé dans l’immobilier tertiaire, en donne une autre lecture à travers un zoom sur le marché de bureaux.

Un gros consommateur de bureaux

Quelques chiffres d’abord. 97 millions de m2 : la taille du parc immobilier de l’État et de ses opérateurs (dont 22 millions de m2 de bureaux) en France. 13 % : la part du secteur public dans la demande placée* en volumes de plus de 5 000 m2 depuis 2000 en Île-de-France. Cela fait du public le 2esecteur le plus consommateur de bureaux en région francilienne derrière l’industrie-distribution et devant la banque-assurance. Un mastodonte.

Depuis 20 ans, la fonction publique d’État a absorbé 1,1 million de m2 en Île-de-France, soit 46 % des volumes > 5 000 m2 placés pour le secteur public. Avec des opérations emblématiques comme les 135 000 m2 du site du ministère de la Défense à Balard ou les 92 000 m2 de la Direction générale de l’armement à Bagneux. Les grandes entreprises publiques ne sont pas en reste. La SNCF a consommé 280 000 m2 entre 2000 et 2020 et EDF, 370 600 m2 sur la même période.

Paris reste une place forte

Bastion de l’emploi public, la capitale est historiquement liée au marché de bureaux. Tout comme les banques et les grands médias s’étaient en leur temps approprié les immeubles du quartier de la Bourse, les services de l’État ont fait main basse sur les bâtiments historiques des quartiers liés au pouvoir politique (7eet 8earrondissement, notamment) tandis que certaines administrations territoriales, telles que la Ville de Paris, phagocytaient le centre historique. Ils se sont toutefois peu à peu déplacés. Dans les années 1980, le déménagement du ministère de l’Économie du palais du Louvre vers Bercy en avait été le précurseur. La tendance s’est affirmée ces 20 dernières années. Un mouvement de déconcentration du cœur de Paris vers les arrondissements périphériques s’est opéré, qui a coïncidé, nous dit Knight Frank, « avec le développement de grandes opérations d’aménagement aux portes de la capitale (ZAC des 13eet 19earrondissements, notamment) ».

Parmi les exemples de transactions significatives, citons les 32 000 m2 du ministère de la Justice en 2012 dans le 19e, les 23 000 m2 acquis par la Mairie de Paris en 2015 dans le 13eou les 16 000 m2 de l’Agence régionale de santé en 2010 dans le 19e.

Ainsi, si l’on observe l’évolution de la demande placée pour les volumes > 5 000 m2, on s’aperçoit d’un quasi-doublement en faveur de ce Paris périphérique entre les deux décennies : 24 % entre 2000 et 2009 contre 44 % entre 2010 et 2019. Enjeux : quitter des bâtiments devenus obsolètes pour des surfaces neuves et plus fonctionnelles, rationaliser les coûts, s’assurer d’une desserte attractive en matière de transports publics et, pour certaines administrations, conserver une adresse parisienne.

Une dissémination dans le Grand Paris

Depuis 20 ans d’importants mouvements s’observent aussi vers et au sein de la première couronne. 2006 : la Direction générale de l’armement acquiert 92 000 m2 à Bagneux ; 2009 : le ministère de l’Économie prend 32 000 m2 à Ivry ; 2012 : le ministère de l’Écologie obtient 53 000 m2 à Puteaux. Ajoutons à cela les opérations d’envergure des collectivités territoriales : le Conseil régional quittant le 7earrondissement pour les 33 000 m2 de son immeuble Influence à Saint-Ouen ; le Conseil général des Hauts-de-Seine s’installant au-dessus de l’Arena de Nanterre sur 31 000 m2. L’effort est encore plus conséquent du côté des entreprises publiques : Météo France et l’IGN qui partent pour 14 000 m2 à Saint-Mandé ; la RATP qui s’offre 32 000 m2 à Fontenay-sous-Bois ; la Société du Grand Paris et ses 30 000 m2 à Saint-Denis. Champion toute catégorie ; la SNCF, qui occupe dorénavant 208 000 m2 à Saint-Denis.

Le nord francilien s’affirme d’ailleurs comme la destination majeure du Grand Paris. Knight Frank explique : « Ce marché a concentré 21 % des mètres carrés de bureaux consommés par le secteur public en Île-de-France (hors Paris) entre 2000 et 2009, puis 43 % entre 2010 et 2020. Cette hausse est le résultat de la signature de 17 transactions > 5 000 m2 sur la période, pour un volume de 300 000 m2. »

Pourquoi le nord – et la Seine–Saint-Denis en particulier ? Parque sa désindustrialisation des années 80-90 a laissé vacantes d’immenses emprises. Parce que privé et public peuvent y trouver des surfaces modernes à prix modéré. Pour un souci de rééquilibrage territorial volontariste aussi. Pour les perspectives qu’offrent les réseaux de transport qui s’y développent : tramway, Tangentielle Nord, et surtout le Grand Paris Express dont la gare Pleyel deviendra l’une des plus importantes d’Île-de-France. Enfin, parce que les Jeux olympiques de 2024 constituent une opportunité de redessiner ce territoire.

Un rôle dans les crises

L’État providence ne se mesure pas qu’à son caractère social. Dans l’immobilier de bureaux aussi, le secteur public agit comme un compensateur de l’impact des crises. Cela a pu s’observer lors de l’éclatement de la bulle Internet au début des années 2000, au moment de la crise financière de 2008 ou encore de celle de l’euro en 2012. À chaque fois, la demande placée émanant du secteur privé a considérablement chuté ; à chaque fois, celle du secteur public a considérablement augmenté. Représentant en moyenne 13 % des volumes de plus de 5 000 m2 depuis 20 ans, cette demande s’est ainsi élevée à 23 % en 2002, 24 % en 2009 et 29 % en 2012.

Qu’en sera-t-il avec la crise sanitaire ? Le marché de bureaux connaît une « annus horribilis ». En Île-de-France, 3,3 millions de mètres carrés cherchent preneur. La vacance de bureaux y est passée de 5 % à 6 %. Celle-ci grimpe à 7,6 % dans le quartier d’affaires de La Défense (contre 4,8 % en 2019) où les livraisons prochaines des tours Alto (51 000 m2), Trinity (49 000 m2) et Landscape (68 000 m2) ne vont faire qu’accroitre l’offre. Déjà, la demande placée > 5 000 m2 s’est effondrée : 348 000 m2 jusqu’au troisième trimestre 2020, contre 881 000 m2 en 2019. Et le secteur public ne représente que 5 % de ce volume. Selon Knight Frank, la donne pourrait changer en 2021-2022 avec plusieurs grandes opérations en cours :
– le regroupement en 2026 de l’administration centrale du ministère de la Santé sur l’ancien site de l’Insee à Malakoff sur une surface de 36 000 m2 ;
– l’acquisition de l’ancien site du Parisien et de Bacardi à Saint-Ouen (55 000 m2) par le ministère de l’Intérieur pour y installer d’ici 6 ans 5 500 fonctionnaires de la DGSI ;
– l’implantation en 2021 des 7 600 m2 du nouveau siège de l’ONF à Maisons-Alfort en lieu et place de l’école vétérinaire.

Défis et inconnues

Pour autant, le secteur public pourra-t-il continuer à jouer son rôle d’amortisseur ? Comme le privé, il est confronté à de nouveaux défis. La rénovation énergétique des bâtiments, pour laquelle il doit faire preuve d’exemplarité, pourrait l’inciter à une maîtrise de ses couts immobiliers ; sans compter la pression financière liée à la crise sanitaire. La digitalisation des métiers actionnée par le programme Action publique 2022, la flexibilisation des espaces de travail et les nouveaux modes d’organisation avec en point d’orgue le télétravail, pourraient aussi influer sur sa consommation d’espaces de bureaux. De là à geler des acquisitions ? A contrario, la crise pourrait le conduire à oublier un temps la réduction des effectifs de l’administration. Une équation à multiples inconnues à laquelle on ajoutera l’éventualité plus ou moins proche d’un nouvel acte de décentralisation, « qui ne serait pas sans effet sur la politique immobilière de l’État ».

* La demande placée des bureaux correspond à l’ensemble des locations ou ventes à l’occupant (par opposition aux ventes à investisseur) portant sur des locaux à usage de bureaux. Elle est exprimée en mètres carrés de surface utile.

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