Mis à jour le dimanche 13 mars 2022 by Olivier Delahaye
Le 27 octobre 2016, en partenariat avec Grand Paris Métropole, EDF organisait la troisième session de son cycle intitulé « Grand Paris Histoires et Futurs ». Nous vous proposons d’en retrouver ici les principaux échanges. Premier temps : de la fluidité des mobilités.
Dès janvier 2014, le tramway T5 reliant Garges à Saint-Denis, mis en service six mois plus tôt, était victime de son succès : 44 000 voyageurs par jour au lieu de 30 000 dans les prévisions du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF). Les autres tramways d’Île-de-France connaissent le même phénomène, le métro et le RER aussi. En matière de transports publics, la saturation n’est jamais loin. Et que dire de la route ! Dès son achèvement en 1973, le périphérique parisien était déjà saturé aux heures de pointe. La métropole vit au rythme de ses embouteillages. À peine un nouveau réseau est-il proposé qu’il est pris d’assaut, l’offre crée de la demande qui réclame une autre offre. Transporter, rouler, échanger deviennent une gageure alors que l’urbanisation nécessite toujours plus de mobilité pour créer toujours plus de richesse.
Rouler fluide
Au XIXe siècle, le préfet Haussmann, l’homme « à la pioche envahissante » pour certains, avait conquis les pleins pouvoirs auprès de Napoléon III pour aligner les immeubles, agrandir la chaussée et percer de nouvelles voies. « Trois critères, nous dit l’historien Alain Beltran, visant tout compte fait à améliorer la fluidité urbaine. » Paris est alors petit, étroit, difficilement circulable, sa croissance est telle qu’elle en devient chaotique. Haussmann, donc, perce, aligne, élargit. Il exproprie, rase, sacrifie bon nombre de rues et transforme Paris de façon telle qu’il est encore celui que nous connaissons. L’esprit saint-simonien souffle alors sur la France, celui qui a commandé « au développement du chemin de fer, qui a promu les percées alpines ou le canal de Suez : la fluidité comme gain économique », explique Alain Beltran. Au vieux Paris se superposent donc grands boulevards et places dégagées. Les uns sont des réseaux, les autres des hubs.
Devant les critiques, Haussmann n’a pu mener à bien son dessein de déplacer l’ensemble des cimetières parisiens sur le vaste plateau de Méry-sur-Oise
Haussmann rêve aussi de grands axes Nord-sud qui traverseraient la Seine, projet en partie avorté : « Après avoir percé la rue de Rennes, il s’est heurté à Saint-Germain-des-prés. Cela explique pourquoi aujourd’hui encore les voitures roulent plutôt bien rue de Rennes et se retrouvent en plein embouteillage après le boulevard Saint-Germain », sourit Alain Beltran. Ce à quoi le prospectiviste Thierry Gaudin, répond en s’amusant : « Moi qui habite rue Saint-André-des-Arts, je me réjouis qu’Haussmann ne soit pas allé jusque là. » Devant les critiques, le préfet n’a pu mener à bien non plus son dessein de déplacer l’ensemble des cimetières parisiens, lieux de l’immobile, sur le vaste plateau de Méry-sur-Oise qui se serait alors transformé en une cité funéraire, voyant les défunts arrivés par tombeaux et par train depuis la gare du Nord. Mais l’essentiel fut réalisé. Et pas seulement sous le Second Empire, car c’est bien sous la Troisième République que Paris « s’haussmannisa » le plus. Et se fluidifia. Pour se réencombrer. Les débuts du XXe siècle virent alors pointer de nouveaux projets. L’inventeur du rond-point, l’architecte Eugène Hénard ambitionnait de remodeler Paris en une nouvelle « grande croisée » : arcs de triomphe, mini-périphériques, grands axes, tout y était dédié à la circulation. Puis ce fut Le Corbusier et ses grandes traverses sur la rive droite, jusqu’à imaginer un Paris hyperfluide où ne subsisterait bel et bien que Notre-Dame de Paris…
Rouler moins
Aujourd’hui il ne s’agirait plus de réformer la ville à ce point, de tout abattre pour réédifier autrement. Le dernier credo des aménageurs est de construire la ville sur la ville, autrement dit de limiter l’étalement urbain et de travailler à transformer l’existant.
Un double enjeu les y pousse : le changement climatique et la crise énergétique. Thierry Gaudin donne des chiffres : « Une étude de l’ADEME datée du début des années 2000 montrait qu’en prenant sa voiture une fois par semaine pour aller faire ses courses dans un hypermarché périphérique à 10 km de chez soi on émettait 773 kg de CO2. À l’inverse, et pour une même quantité de biens, la livraison à domicile ou le recours à la supérette locale équivalent respectivement à 60 kg et 12,6 kg de CO2. »
Halte au centre commercial et ses parkings dévoreurs d’espace, place à la proximité. Voiture, transport routier et diesel étant stigmatisés, l’Île-de-France s’est donc plutôt choisi un destin par le transport en commun. Les projets sont multiples : lignes de tramway, Grand Paris Express, prolongement des lignes de métro et d’Eole, tangentielles, réseaux de bus en site propre… Au milieu de tout cela, la gare ou la station font figure d’échangeurs, de hubs. Pour Claude Arnaud, président de l’Institut Efficacity, celle-ci est vouée à devenir « un grand pôle structurant de la ville », car pour réussir la transition énergétique il faut changer d’échelle, ne plus simplement tenir compte du bâtiment, mais aussi de l’environnement où il se trouve, de la manière dont on vient y travailler, dont on y habite ou dont on y commerce. » À ce titre, la gare fera quartier. Elle pourra même se proposer comme hub énergétique de son quartier, si tant est que l’on parvienne à réduire sa propre consommation.
Rouler connecté
Alors on peut rouler moins, certes, mais on roule toujours. En 2012, l’Île-de-France comptait 15,5 millions de déplacements par jour en voiture. Cette dernière, en 2010, participait à 38% des déplacements journaliers (pour un parc de 4,9 millions d’automobiles) contre 20% pour les transports en commun. Pour faire circuler au mieux cette masse de véhicules (à laquelle on pourra ajouter le fret routier), la tendance est le recours à la technologie.
La performance de SIRIUS est telle qu’il est possible de fluidifier la circulation parisienne en en déplaçant à peine 5%.
Claude Arnaud
Depuis 1990, la Direction des routes d’Île-de-France a mis en place SIRIUS (Système d’information pour un réseau intelligible aux usagers). À l’aide de 1 000 caméras et 6 000 boucles électromagnétiques de détection du trafic, SIRIUS intègre et traite des données pour diffuser, sur les 302 panneaux des 600 km de voies rapides qu’il gère, des messages à l’attention des automobilistes sur les temps de parcours, les encombrements, les incidents et les travaux. Un système très novateur à son installation qui se révéle encore efficace. Selon Claude Arnaud, « à une minute près ces panneaux ne se trompent pas. Leur performance est telle qu’il est possible de fluidifier la circulation parisienne en en déplaçant à peine 5%. » Mais s’il faut effectivement peu de déplacement pour améliorer la circulation, cette mécanique n’est hélas pas linéaire : « Il est des jours où cela marche et des jours où cela ne marche pas ».
En matière d’infrastructures, on évoquera aussi les « vagues vertes » qui consistent à synchroniser les feux de signalisation. Directeur scientifique chez Renault, Jérôme Perrin mentionne pour sa part « la connectivité et l’automatisation des véhicules qui ont vocation à mieux coordonner le trafic : communication entre véhicules, bien sûr, mais aussi communication entre véhicules et infrastructures, ou encore entre véhicules et piétons. Grâce au traitement massif des données (Big data) et aux objets nomades connectés, s’ouvre la possibilité d’ordonner le trafic non plus de façon centralisée mais au sein d’une sorte d’intelligence collective, un peu à la manière des mouvements synchronisés des bancs de poisson. »
Rouler plus
Le progrès technologique a aussi permis l’avènement de la voiture en libre-service. L’idée n’est pas nouvelle. Dès les années 1960, le principe d’un véhicule stationnant dans les rues et dont chacun pourrait se servir à l’aide d’une carte informatique était à l’étude. Et il visait déjà à réduire l’encombrement. Une trentaine d’années plus tard, en 1999, Renault expérimentait un service d’autopartage à Saint-Quentin-en-Yvelines. « Cela s’appelait Praxitel, nous dit Claude Arnaud. Un ancêtre d’Autolib mais avec des Clios électriques. En matière de comportement de l’usager, on ne remarque pas beaucoup de différence entre les deux services à seize ans d’écart. En revanche, le bond technologique est prodigieux. En 1999, la moitié du coffre de la Clio était remplie d’électronique, aujourd’hui l’électronique embarquée dans une Autolib tient dans un smartphone. » La technologie permet donc une réinvention des usages. Et si « elle répond à une aspiration sociale », comme le dit Thierry Gaudin, elle peut se répandre comme une traînée de poudre. Celui-ci prend le vélo en exemple : « En 1890, 3 000 vélos étaient en circulation en France. Et puis on invente le pneumatique. Quinze ans plus tard, nous avions six millions de vélos, devenus l’instrument de transport privilégié des classes populaires. »
Le Velib’ n’est pas seulement un vélo, c’est surtout un système d’information.
Thierry Gaudin
Délaissé par la suite, le vélo a aujourd’hui reconquis l’espace urbain grâce au libre-service et un nouveau saut technologique. « Car le Velib’ n’est pas seulement un vélo, explique Thierry Gaudin, c’est surtout un système d’information et de réservation d’emplacement. Sa maintenance et son transfert supposent une organisation qui n’existait pas lorsqu’il était un simple objet d’appropriation. » Velib’ et Autolib’ sont aussi un aperçu de la révolution mobilitaire à l’œuvre dans l’espace urbain. L’usage de la voiture se reconfigure à travers l’autopartage et le covoiturage, le scooter a conquis la ville (le nombre de deux-roues motorisés a cru de 34% entre 2001 et 2011) et d’autres modes de déplacement ont vu le jour : Segway, trottinettes, rollers, solowheel… Des équipements légers qui « ne représentent certes que quelques pourcents, mais quelques pourcents qui changent tout », dit Claude Arnaud. La recherche d’une mobilité plus fluide multiplie les mobilités et complexifie alors le partage de l’espace public. Des métissages sont même à l’œuvre, comme le bus de Curitiba au Brésil qui fonctionne comme un métro. Explication de Thierry Gaudin : « Les usagers patientent à l’intérieur d’un tube et lorsque le bus parvient à la station ils y entrent aussi vite que dans une rame de métro, ce qui a pour effet de limiter le stationnement du bus. » Gagner en fluidité par l’hypermobilité, en quelque sorte.
Rouler utile
Dans la ville tout devient mobile. Mais toutes les mobilités ne sont pas utiles. Celles qui concernent la recherche d’un stationnement, par exemple. C’est ce constat qu’a établi Frédéric Sebban, cofondateur de Zenpark. « Dans les centres urbains on estime entre 20 et 30% la proportion de véhicules qui sont à la recherche d’une place », dit-il. Garer plus vite son véhicule peut donc contribuer à améliorer fortement la viscosité du trafic. Incidemment, cela permet d’économiser du kilométrage et des émissions de CO2. Pour se garer plus vite, il faut savoir à l’avance où l’on va se garer.
C’est ce à quoi s’emploie Zenpark : mettre à disposition de ses abonnés des places de parking. Mais son originalité tient au fait que Zenpark n’utilise pas simplement les parkings classiques, mais tout type d’emplacement susceptible d’être partagé. Selon Frédéric Sebban, cela concerne « des centaines de milliers de places disponibles dans les parkings institutionnels : invendus, créneaux horaires non utilisés, parkings d’hôtels… » Bientôt, Zenpark souhaite investir le champ des copropriétés pour fonder un réseau de parkings mutualisés et intelligents, l’idée étant de rendre utilisables les places libérées par les habitants d’un immeuble en journée, l’information étant transmise par le moyen d’une appli mobile. Le parking peut donc devenir une source de revenus pour son possesseur dès lors qu’il ne l’occupe plus : l’usage plutôt que la propriété. Frédéric Sebban estime même qu’il ne sera plus nécessaire d’en construire autant : « En se basant sur les usages pendulaires pour mutualiser les places de parking, on peut économiser entre 300 et 400 places sur un programme de 1 000 places. Sachant qu’il en coûte entre 20 et 40 000 euros pour construire une place souterrain, ce sont des économies significatives. » Économies qui peuvent améliorer la marge du promoteur ou bien faire baisser le coût d’acquisition des logements, voire même impacter le prix de vente du foncier. Et si fluidifier la ville contribuait à résoudre la crise du logement ?
Article très intéressant, qui montre bien quelques enjeux de la ville de demain. Pour être exhaustif sur le volet stationnement, je citerais également Yespark. Le principe est similaire à celui de Zenpark (utiliser les places vacantes), mais Yespark se concentre sur les locations de longue durée.