Les sciences au chevet de Notre-Dame

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Mis à jour le vendredi 15 avril 2022 by Olivier Delahaye

Martine Regert, Université Côte d’Azur

Martine Regert est chargée de mission pour le CNRS du pilotage du chantier scientifique de Notre-Dame de Paris. Trois ans après le terrible incendie, nous lui avons demandé quelles recherches étaient menées en lien avec la cathédrale.


The Conversation : Comment la communauté scientifique s’est-elle mobilisée ?

Martine Regert : Les scientifiques, comme beaucoup de personnes en France et dans le monde ont été très touchés, certains ont été témoins du drame puisque de nombreux laboratoires de recherche sont proches géographiquement de la cathédrale. On a compris très vite que les connaissances scientifiques allaient être nécessaires pour accompagner le processus de restauration. Il fallait également éviter la perte de la connaissance. Par exemple, tout ce qui était tombé au sol (pierres, bois, métaux…) pouvait être considéré comme des gravats, alors que les scientifiques les voyaient plutôt comme vestiges patrimoniaux et comme des matériaux d’étude. Dès le lendemain, l’Association des scientifiques au service de la restauration de Notre-Dame de Paris a été créée.

À cette époque, j’étais directrice adjointe scientifique à l’institut écologie et environnement du CNRS et le lendemain j’étais au siège de cet organisme. Les téléphones ont énormément sonné avec des collègues qui proposaient déjà des pistes de recherche, par exemple pour modéliser les températures atteintes pendant l’incendie ou pour étudier l’état des charpentes calcinées.

Face à ces nombreuses initiatives, on a mis en place des groupes de travail, avec le ministère de la Culture. Avec Philippe Dillmann, j’ai été nommée chargée de mission pour le CNRS, ainsi qu’avec Pascal Liévaux et Aline Magnien pour le ministère de la Culture, du pilotage du chantier scientifique de Notre-Dame de Paris en mai 2019.

T.C. : Comment les scientifiques participent-ils à la restauration ?

M.R. : Je peux vous donner quelques exemples. Un de nos groupes de travail s’intéresse aux structures et aux forces qui s’y appliquent. Ce groupe a été sollicité par la maîtrise d’œuvre (les architectes en chef des monuments historiques) pour conduire une évaluation structurale post-incendie des voûtes afin d’évaluer leurs conditions de stabilité.

On a également un groupe qui s’intéresse à l’acoustique de l’ouvrage et qui va participer au choix du placement d’un nouvel orgue dans le chœur.

D’autres scientifiques s’intéressent aux vitraux, les véritables miraculés de l’incendie. Ils cherchent à déterminer l’histoire de leur fabrication et des solutions pour les décontaminer (plomb) avant de les replacer.

T.C. : D’autres études de plus long terme sont en cours…

M.R. : Oui, par exemple, des recherches sont menées pour replacer la cathédrale dans son contexte environnemental.

Les charpentes ont certes brûlé, mais pas totalement, le bois contient encore beaucoup d’informations que l’on peut exploiter. On peut les dater, pour certains, à l’année près en étudiant les cernes que forment les arbres au fur et à mesure de leur croissance. On peut aussi parfois préciser la saison d’abattage. D’autre part ces cernes enregistrent les conditions climatiques et environnementales dans lesquelles les bois se sont développés. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’au moment de la construction de la cathédrale on est dans ce que l’on appelle l’optimum climatique médiéval : un réchauffement sensible documenté entre le Xe et le XIVe siècle de notre ère et précédant le petit âge glaciaire.

Cette période constitue un point de comparaison intéressant dans le cadre du réchauffement global que nous vivons actuellement en termes de causes, d’amplitude et d’enjeux des phénomènes observés.

Sur un tout autre sujet, nous avons des collègues anthropologues qui travaillent sur l’émotion liée aux catastrophes affectant les biens culturels tels l’incendie du musée d’anthropologie de Rio en 2018 ou celui du château de Shuri au Japon qui a eu lieu peu après celui de Notre-Dame de Paris. Ils essaient de comprendre comment chacun a réagi. Ils documentent également le ressenti de toutes les personnes travaillant de près ou de loin à la restauration.

T.C. : Comment est-ce que les scientifiques arrivent à travailler sur un lieu en pleine restauration ?

M.R. : Cela se passe plutôt bien, mais c’est complexe. Déjà du point de vue des nombreuses disciplines scientifiques présentes qui n’ont pas forcément toutes les mêmes manières de travailler : chimistes, physiciens, historiens, archéologues… Nous n’avons pas les mêmes contraintes temporelles. Puis on travaille sur un monument emblématique. Il y a donc une très forte attente des autorités politiques et du public.

Sur place, les conditions de travail sont ardues : tout le monde doit respecter un emploi du temps très précis, donc il faut être très efficace. De plus, il y a beaucoup de contraintes liées à la sécurité. Comme on le sait bien, cet espace est fortement contaminé au plomb, il faut donc travailler avec des masques, porter des combinaisons de protection, etc.

Heureusement, tout cela est bien coordonné, et on arrive à travailler de façon efficace et enthousiaste tant les enjeux sont passionnants.

Martine Regert, Chargée de mission pour le CNRS du pilotage du chantier scientifique de Notre-Dame de Paris, Université Côte d’Azur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

3 Commentaires

    • Bonjour,
      Pour l’instant, l’enquête est toujours en cours. Il semble que la piste criminelle ait été totalement écartée, les enquêteurs s’orientant vers une cause accidentelle : court-circuit ou mégot mal éteint…

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