Mis à jour le mardi 8 décembre 2020 by Olivier Delahaye
L’Apur publie une note sur le bilan des actions menées à Paris pour lutter contre l’insalubrité des logements. Entre volonté politique, diagnostic, outils de mise en œuvre et financements, elle permet de comprendre de quelle manière la capitale a mené un plan de bataille sur seize années.
Sinistres à répétition, résurgence du saturnisme : dans les années 1980-1990, Paris redécouvre l’insalubrité d’une partie de son habitat. Les quartiers populaires sont particulièrement frappés. Ils se partagent les propriétaires défaillants, les marchands de sommeil malveillants, les logements suroccupés, ceux loués en l’état à plusieurs reprises sans aucun travaux de réfection. L’eau infiltre leurs bâtiments dont les fondations sont malmenées par la fragilité du gypse sur lesquels ils sont construits. Les immeubles présentent des failles préoccupantes. Qui se voient de la rue. Qui éclatent au regard de celui qui y pénètre. Quartiers populaires, quartiers de faubourg. Immeubles construits à la va-vite à la fin du XIXe siècle avec des matériaux fragiles récupérés des travaux d’Haussmann. Plus tard, au sein des fameuses trente glorieuses, immeubles constituant des réserves pour aménagement, autrement dit prêts à être décapités pour laisser passer les automobiles. Et leurs propriétaires de renoncer à les entretenir dans la crainte ou dans l’attente d’une expropriation. Bref, tout un parc de logements dans un état de délabrement avancé.
« Dans la dentelle »
En 2001, l’arrivée à la tête de la mairie de Paris de Bertrand Delanoë change la donne. L’éradication de l’habitat indigne devient une priorité municipale. En concertation avec l’État, la Ville de Paris entreprend de mener une politique ambitieuse pour lutter contre l’habitat indigne. Des moyens financiers et des outils spécifiques y sont consacrés. L’Observatoire du saturnisme, de l’insalubrité et de l’habitat dégradé est constitué. Une convention est signée avec la SIEMP, bailleur social, pour la résorption de l’habitat insalubre. Plus tard, en 2010, une société dédiée sera créée, la Société de requalification des quartiers anciens (Soreqa), qui prendra la relève. Les acteurs de l’habitat identifient 1 000 immeubles qui doivent faire l’objet d’une réhabilitation. En ressort une nouvelle logique : à un traitement sur des périmètres entiers est préféré un travail « dans la dentelle », au bâtiment ou à la parcelle. Un plan est lancé, sur 6 ans. Il sera poursuivi au fur et à mesure que de nouveaux immeubles seront repérés. L’Apur, dans une note parue en novembre, en dresse un bilan sur 16 années.
Transformer l’indignité en social
Premiers chiffres : 56 000 logements, 2 172 immeubles. « Traités ». Entre 2002 et 2018. 68 % d’entre eux se situent dans le nord-est parisien (10e, 11e, 18e, 19e et 20e arrondissements). Des arrondissements qui ont changé de visage en 20 ans. Se sont certes « boboisés ». Ont vu le prix de leur immobilier flamber. Mais ont connu une réelle amélioration des conditions d’habitat. Les poches d’insalubrité étaient légion à la Goutte d’Or (18e), à Belleville ou place de la Réunion (20e).
Le plan d’envergure étatico-parisien s’est scindé en deux pour faire face au délabrement. D’abord, l’urgence : les immeubles les plus dégradés, les logements les plus dangereux pour la santé. Comme le montre une autre étude de l’Apur datant de 2007, nombre de logements ont d’abord fait l’objet d’une acquisition par la puissance publique. Par droit de préemption (6 sur 10) ou par expropriation. Au final, en 2018, cela n’a concerné cependant que 20 % du parc, soit 449 immeubles. L’essentiel avait été fait avant 2007 : plus de 200 immeubles concernés. Démolis et reconstruits ou bien sujets à une lourde réhabilitation, ils ont tous été transformés en logements sociaux. Une procédure longue. L’Apur estime à 8 ans la durée moyenne de traitement, de la date d’intégration au dispositif jusqu’à la livraison finale des logements sociaux. Outre la période de travaux, c’est le processus de relogement qui prend du temps : entre 1 et 4 ans. Au total, entre 2002 et 2018, 5 600 ménages ont dû être relogés dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne. À l’inverse, la réhabilitation des bâtiments a permis de créer 5 315 logements sociaux. Soit 5 % des logements sociaux créés alors à Paris. Mais des logements sociaux qui coûtent aussi plus cher au bailleur : 4 450 €/m2 en moyenne contre 4 180 €/m2 pour l’ensemble des logements sociaux créés à Paris sur la même période.
L’Anah entre en scène
Sur les 2 172 immeubles redevenus vivables, 1 723 sont restés dans les mains de leurs propriétaires. 80 %. Pas de préemption, pas d’expropriation, pas de logement social, mais des aides. Sous deux formes : l’accompagnement, via les Opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) ou l’Opération d’amélioration de l’habitat dégradé (OAHD) ; et le financement, pourvu à 72 % par l’Agence nationale de l’habitat (Anah), à 28 % par la Ville de Paris. Là encore, le processus est long. Six ans en moyenne. Les copropriétaires ne sont pas exempts de courage pour parvenir à leur fin : 2 à 3 ans pour faire voter les travaux, 3 ans pour les accomplir – avant subventions, ce qui explique qu’ils préfèrent souvent les mettre en œuvre par tranches. Tout de même : 144 millions d’euros d’aides ont été versés et près de 238 millions d’euros de travaux subventionnables ont été réalisés.
Tête de pont
2002-2018. Seize années. 426 millions d’euros consacrés par la Ville de Paris à la lutte contre l’habitat indigne. Près de 27 millions par an. Certes, c’est 0,3 % de son budget, mais c’est autant que ce que consacre la ville à son patrimoine culturel. L’effort est donc réel. Et se voit. Le nombre d’immeubles présentant un risque de dégradation du bâti baisse tous les ans depuis 2014 : de 347 repérés cette année-là, on est arrivé à 190 en 2019. Une amélioration lente, mais régulière. Et qui permet dorénavant de traiter l’habitat insalubre à Paris « au fil de l’eau ». Plus que l’aspect financier, c’est peut-être la méthode et les outils qui font leurs preuves. Qui doivent dorénavant monter d’un cran, à l’échelle métropolitaine. Car la réalité est là. Une capitale inabordable pour les plus modestes, des populations pauvres exclues et centrifugées à ses franges. Des logements de qualité exécrable qui subsistent dans le parc ancien dégradé des centres-ville, dans les grandes copropriétés dégradées en faillite et dans la division excessive des tissus pavillonnaires. Paris mutualise son ingénierie au niveau du Grand Paris, avec la Métropole du Grand Paris et certains territoires (Plaine Commune, Est Ensemble et Paris Ouest La Défense). C’est aussi à cela que sert une capitale, à se servir de ses immenses moyens pour défricher, à faire tête de pont.