Mis à jour le dimanche 13 mars 2022 by Olivier Delahaye
DOCUMENT. L’Institut Paris Région publie une « note rapide » retraçant l’histoire de la culture légumière en Île-de-France. De son ascension phénoménale à son crépuscule contemporain. Et lance des pistes pour la réinventer.
Petit pois de Clamart, asperge d’Argenteuil, épinard d’été de Rueil, navet de Montesson, poireau de Gennevilliers… Plus de 150 variétés de légumes portent le nom d’une commune d’Île-de-France. Paris est à l’honneur sur 33 appellations : chou pommé plat de Paris, carotte rouge à forcer parisienne, potiron jaune de Paris… Le crosne, dont le nom latin est Stachys affinis, a même pris le nom de la ville d’Essonne dans laquelle il fut implanté pour la première fois en France.
Navet de Meaux ou de Gargenville
L’Île-de-France est une région à l’histoire maraîchère particulièrement riche. L’Institut Paris Région la détaille dans une nouvelle publication : « La grande histoire des légumes et de leurs terroirs en Île-de-France ». « Une dizaine de « terroirs » légumiers se sont développés en Île-de-France au cours des siècles, soit concomitamment, en concurrence les uns avec les autres, soit successivement, en fonction de la demande et de l’organisation des marchés », écrivent ses auteurs. Des terroirs où microclimats, qualité des sols et savoir-faire se sont conjugués pour faire émerger certaines spécialités : le haricot sec dans les terres argilo-sableuses du sud-ouest francilien, le chou dans les terres argileuses du nord. À la fin du XIXe siècle, on cultivait le navet aussi bien à Meaux qu’à Croissy ou Gargenville, donnant « une autre image de la finesse des terroirs » : une dizaine de variétés de navets ont ainsi vu le jour en Île-de-France.
Le maraîchage, état transitoire
Des débuts médiévaux du maraîchage (assèchement des marais pour les rendre cultivables) à Paris jusqu’à l’apogée des années 1960 où l’Île-de-France cultivait plus de 20 000 hectares de légumes, communes et territoires se sont façonnés à son rythme. « Le maraîchage est un maillon entre le rural et l’urbain, tant spatial que temporel. Il fait le lien physique entre la ville et la campagne et, bien souvent, représente un état transitoire avant l’urbanisation. L’héritage des anciens clos maraîchers se perçoit encore aujourd’hui dans les formes urbaines (parcellaire laniéré, murs autour des parcelles…) », peut-on lire. Autour d’Aubervilliers, la Plaine des Vertus, avec ses 2 000 hectares de culture, assure les deux tiers de l’approvisionnement de Paris en gros légumes à la fin du XIXe siècle. Sur les 400 hectares de la Plaine de Croissy, Montesson et Chatou, on cultive navets, carottes et poireaux. Les 200 hectares de la Plaine de Bonneuil se spécialisent dans les choux, concombres ou pommes de terre. Dopée notamment par le marché des Halles, l’Île-de-France est encore l’une des principales régions productrices de légumes en France dans les années 1930.
Le déclin et la réinvention
Son destin bascule ensuite avec l’urbanisation florissante de la deuxième moitié du XXe siècle. Le dernier recensement agricole de 2010 comptabilisait « 440 exploitations ayant une production de légumes, dont seulement 85 spécialisées en maraîchage ». Entre 2000 et 2010, deux exploitations maraîchères sur trois ont disparu. Et en 2017, la surface dédiée à la production légumière ne dépassait pas les 4 430 hectares. Alors que 95 % des fruits et légumes consommés en Île-de-France provenaient d’Île-de-France en 1898, aujourd’hui le rapport production/consommation est inférieur à 10 %. Une situation qui vient se confronter aux nouveaux désirs des consommateurs pour le « locavore », les circuits courts et le bio.
Si bien que les auteurs de l’étude se demandent : « Comment réinventer nos territoires légumiers ? » La réponse n’est pas une, mais multiple, selon eux : « Maraîchage, semi-maraîchage, légumes de plein champ, agriculture urbaine, bio ou conventionnelle… » Et de prôner la conjugaison de plusieurs logiques pour relancer et adapter la culture des légumes :
– une logique de terroirs : leur connaissance fine pour préserver et redécouvrir d’anciennes variétés locales ;
– une logique climatique : explorer les modèles « sols-climat-techniques » mis en place hier et étudier les microclimats urbains d’aujourd’hui ;
– une logique métabolique au sein de laquelle les déchets urbains peuvent servir de ressources ;
– une logique d’innovation autour de nouvelles techniques (hydroponie, aéroponie…), de nouveaux modèles de transformation, de commercialisation et de logistique.