Mis à jour le mercredi 18 mai 2022 by Olivier Delahaye
La Ville de Paris et le Comité Champs-Élysées veulent « réenchanter » la plus célèbre avenue du monde, en l’adaptant au défi climatique, en la préparant pour les Jeux olympiques et en la verdissant.

« Provinciale, j’ai toujours aimé les Champs-Élysées. Parisienne, j’ai découvert que les Parisiens ne les aimaient pas. » Lors de la conférence de presse de ce 11 mai 2022 qui lançait officiellement le début de la transformation de la célèbre avenue sous le titre « Réenchanter les Champs-Élysées », la maire de Paris Anne Hidalgo s’est donc lancé comme défi d’y « faire revenir les Parisiens ». Plutôt à pied.
Triste avenue
Les Champs possèdent en effet ce triste paradoxe d’être célèbres et honnis, mythiques et attaqués, majestueux et pollués. Ils sont le théâtre de la Libération de Paris, le rendez-vous des présidents élus, des victoires sportives, du Tour de France, du défilé du 14-Juillet, des événements spectaculaires (fête du bicentenaire, grande moisson…). Ils ne sont pas un quartier de Paris, mais un monument global qui englobe d’autres monuments. Ils sont trop imposants pour qu’on s’y sente bien. À vrai dire, on s’y sent petit à être traversé par la perspective historique de 8 km qui va du Louvre à La Défense. Ils n’ont pas taille humaine et c’est sans doute la raison pour laquelle l’Histoire de France, elle, s’y sent bien.
Dans les années 1980, on les présentait comme une triste avenue peuplée uniquement de compagnies d’aviation et de cinémas à plusieurs salles. Le maire de Paris, Jacques Chirac, avait remarqué ce désamour et fait de la rénovation des Champs l’une des priorités de son nouveau mandat en 1989. Une équipe conduite par l’architecte Jean-Michel Wilmotte avait entrepris une large rénovation : suppression des contre-allées dédiées à la voiture, élargissement des trottoirs, installation d’un nouveau mobilier urbain, aménagement des terrasses… Trente ans plus tard, rien ne va plus. L’avenue est toujours dominée par l’automobile, les enseignes de luxe en ont fait une galerie commerciale à ciel ouvert, les Champs n’ont pas de charme, pas de caractère, pas d’harmonie. Et pour des Champs, ils sont quand même terriblement minéraux.
D’abord, il faut que cette transformation ait lieu avec pour toile de fond le grand défi climatique. C’est l’enjeu. Ensuite, il faut qu’elle ait un cap : les Jeux olympiques de 2024. C’est l’horizon.
Champs 2024
Avant même que l’avenue ne devienne le théâtre de violences en marge du mouvement des gilets jaunes, le Comité Champs-Élysées, puissante association regroupant des acteurs du monde économique et culturel, entame en 2018 une mission de réflexion sur sa transformation qu’elle confie à l’agence d’architecture PCA-STREAM dirigée par Philippe Chiambaretta. S’en suit l’établissement d’une « vision » des possibles évolutions de l’avenue, étude à laquelle collaborent une cinquantaine de chercheurs, historiens, scientifiques, ingénieurs, artistes, acteurs économiques et culturels français et internationaux, qui fait l’objet d’une exposition au Pavillon de l’Arsenal en 2020 et qui se poursuit par une large consultation citoyenne (96 000 participants) en ligne. Associée à cette première élaboration, la Ville de Paris annonce, en janvier 2021, sa ferme intention de remodeler les Champs. Elle a elle-même fait le diagnostic d’un lieu qui ne correspond plus à la métropole qu’elle veut rebâtir, qu’elle veut durable et inclusive. Elle a donc posé ses balises. D’abord, il faut que cette transformation ait lieu avec pour toile de fond le grand défi climatique. C’est l’enjeu. Ensuite, il faut qu’elle ait un cap : les Jeux olympiques de 2024. C’est l’horizon. Même si l’essentiel du projet, tout compte fait, se concrétisera après.
12 à 8
D’ici l’été 2024, donc, il va s’agir de « travaux d’embellissement », avec quelques idées directrices : végétalisation, rénovation, partage de l’espace public. En bas de l’avenue, les jardins, très peu fréquentés, seront réaménagés pour favoriser les circulations piétonnes, et 5 000 m2 d’espace minéral seront végétalisés, en plus de la plantation de 107 arbres. Sur la partie haute, rénovation aussi, des trottoirs, du mobilier urbain, des traversées piétonnes, des terrasses (harmonisées) et végétalisation des 400 pieds d’arbres. Ce qui ressortira de cette première phase, la transformation phare qui risque de faire grincer des dents, sera sans doute l’élargissement de l’anneau central de la place de l’Étoile. Pour plus de place aux piétons, plus de place aux visiteurs de l’Arc de Triomphe, et donc moins de place à la voiture puisque les voies de circulation seront réduites de 12 à 8. On appelle cela « pacifier l’espace public ». Peu probable que cela pacifie les relations entre la maire dite « anti-voitures » de Paris et ses détracteurs. Les travaux de cette première phase devraient débuter d’ici quelques semaines et coûter 30 millions d’euros.

Faire sauter le verrou
Il faudra rajouter au moins 200 millions d’euros pour la phase post-JO, plus ambitieuse. Ce sera l’heure du grand ravalement qui ira de la place de la Concorde à l’Etoile en incorporant l’avenue Montaigne et l’avenue de la Grande Armée. Pour l’heure, des études doivent être encore menées par PCA-STREAM, mais Philippe Chiambaretta a d’ores et déjà donné des pistes lors de la conférence de presse de ce 11 mai : refaire des Champs-Élysées une promenade en les pensant comme un ensemble, constituer une nouvelle trame verte, mettre en valeur leur caractère patrimonial, en faire une vitrine de l’innovation. L’architecte veut d’abord faire sauter un verrou : la place de la Concorde. En réformant son urbanité, bien sûr, pas en la supprimant. Son équipe a fait le constat suivant : le jardin des Tuileries accueille un très grand nombre de promeneurs, de l’autre côté de la place ils semblent s’être évaporés, les 13 hectares de jardins du bas de l’avenue sont désertés. Il y a donc à offrir des continuités, à favoriser la traversée, à réassembler Concorde et Champs, et aussi à lutter contre la fournaise de la place, l’ilot de chaleur éprouvant que sa minéralité génère l’été. L’une des solutions pourrait être d’étendre le jardin des Tuileries jusqu’à l’Obélisque, selon le vœu d’Anne Hidalgo, ce qui serait une véritable déclaration de guerre au lobby automobile. Pour l’instant, réduire la place dédiée à la circulation ne semble pas d’actualité.
Pas trop piétons quand même
Toujours au bas de l’avenue, les jardins doivent aussi retrouver l’esprit festif qui les caractérisait jusqu’au début du XXe siècle. Philippe Chiambaretta y verrait bien une programmation culturelle hors les murs permanente, en association avec les grands lieux qui les occupent ou les bordent (théâtre du Rond-Point, théâtre Marigny, Grand Palais, Petit Palais…), des kiosques « gourmands », des espaces ludiques pour les enfants et des parcours sportifs.
La place de la voiture y est comme sanctuarisée et la préfecture de police y veille.
En haut de l’avenue (après le rond-point des Champs-Élysées), il s’agit encore et toujours de pacifier, de verdir, de mieux accueillir le promeneur et les mobilités douces, d’harmoniser le mobilier urbain. S’imaginent des kiosques, des « salons végétaux », des traversées mieux sécurisées de l’avenue, voire un élargissement de la place faite aux piétons. Pour autant, pas question de réduire les 70 mètres de chaussée, pas question de Champs piétons. La place de la voiture y est comme sanctuarisée et la préfecture de police y veille. Dans un tweet, elle a vite réagi aux spéculations : « Le préfet de police a pris connaissance des propositions de la ville de Paris d’aménagement des Champs-Élysées, voie dont la compétence relève de l’État. Il les examinera avec attention. »
Diplomatie et pilonnage
Quand on sait les relations plutôt glaciales entre la maire de Paris et le préfet de police Didier Lallement, la concorde n’est pas gagnée. Elle s’est pourtant installée au sein de ce projet, née d’une initiative privée (il ne figurait pas dans le programme d’Anne Hidalgo pour les Municipales de 2014), au sein duquel les différents acteurs ont pris soin de se ménager. Premier adjoint à la maire de Paris, Emmanuel Grégoire a été salué pour « ses trésors de diplomatie ». La mairie de gauche s’est vite fait une alliée de la maire Les Républicains du 8e arrondissement, Jeanne d’Hauteserre, mais elle a aussi caressé dans le sens du poil les maires de droite des 16 et 17e arrondissement, Francis Szpiner et Geoffroy Boulard, en incluant dans le projet l’avenue de la Grande Armée. L’an dernier, ces deux maires avaient en effet créé le comité de la Grande Armée pour peser en faveur du rattachement de leur avenue commune au projet de Chiambaretta.

Enfin, il est vrai que le projet a été quelque peu ripoliné en comparaison à ce que proposait l’architecte en 2020, qui prévoyait alors une forte réduction des espaces dédiés à la circulation automobile. Sans doute échaudée par ses difficultés sur un autre projet emblématique, celui de la Tour Eiffel, la mairie de Paris la joue donc profil bas en serrant un peu sur sa droite. Du coup c’est à gauche que ça tousse. Les uns reprochent à Anne Hidalgo de revenir de l’élection présidentielle en passant par les quartiers chics, les autres critiquent un projet mené en fait par une association privée, mais financé par la mairie. Et les « Bisounours » de #saccageparis ont commencé à pilonner sur les réseaux sociaux…
