Mercato d’hiver à la SGP : une logique sans faille

Mis à jour le vendredi 28 janvier 2022 by Olivier Delahaye

Le remplacement d’Étienne Guyot par Philippe Yvin à la tête de la Société du Grand Paris fait couler de l’encre et laisse pantois sur ses raisons. Peut-être y en a-t-il quand même ?

Philippe Yvin (à gauche) remplacera Etienne Guyot à la présidence de la Société du Grand Paris
Philippe Yvin (à gauche) remplacera Etienne Guyot à la présidence de la Société du Grand Paris

Ce n’est pas comme si on n’avait rien vu venir. Au printemps 2013, déjà, était évoqué le nom de Pascal Auzannet pour succéder à Étienne Guyot. M. Auzannet venait de conclure son rapport sur le Nouveau Grand Paris. Courant décembre, s’éventaient des rumeurs sur un  remplacement probable du patron de la Société Grand Paris. Donc… Ce n’est pas non plus comme si ce genre de situation était une surprise. Avec plus ou moins de rapidité, chaque changement de majorité provoque un changement des responsables des grandes entreprises publiques. Cela prouve au moins que la SGP en est une.

Qui change l’eau ?

Pourtant, ce changement de tête ne passe pas.
Les milieux économiques s’alarment : « On ne change pas l’entraineur d’une équipe qui gagne à la veille d’une échéance importante ! Le danger c’est de prendre 12 à 18 mois de retard et de casser la dynamique que l’on ressent dans les territoires franciliens. » (Fédération nationale des Travaux Publics)
Les milieux politiques s’alarment, y compris les personnalités proches du gouvernement : « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi provoquer à cet instant un tel changement qui, je le crois, va fortement mettre en cause, et le rythme du travail que nous conduisons actuellement, et le cadre pertinent des rapports entre la SGP et les élus, alors même que se tient le travail préparatoire à l’enquête publique de la partie nord de la ligne rouge. » (Jean-Yves Le Bouillonnec, maire socialiste de Cachan)
Les acteurs territoriaux s’alarment : « Rien ne doit retarder les mises en chantiers programmées dès ce début d’année et les derniers ajustements stratégiques et techniques sur les autres tronçons. » (Association de commune du Grand Roissy)
Et le personnel de la SGP s’alarme aussi : « Il s’agit du plus grand chantier d’Europe, c’est un immense paquebot à piloter. Annoncer en pleine période de fêtes le changement de capitaine a plongé tout le monde dans le désarroi. » (Christian Garcia, secrétaire général du Comité d’entreprise de la SGP)

Face à ce déluge de réactions alarmées, le gouvernement est resté droit dans ses bottes : Étienne Guyot quittera ses fonctions, sera remplacé par Philippe Yvin. Pourquoi une telle décision, qui semble tomber comme un cheveu sur la soupe ? Il faut bien lui donner du sens… Comme disait le poisson rouge : « Il doit bien y avoir un Dieu, sinon qui changerait l’eau ? »
Cherchons quelques solutions…

Œuvre d’Attila ou coup de force d’Ayrault ?

1)   « Le gouvernement est composé d’abrutis qui ne savent pas ce qu’ils font »
Pourquoi pas, mais ce n’est pas la solution la plus probante.

2)   « C’est un coup de Bartolone »
Philippe Yvin est l’ancien directeur général des services du Conseil général de Seine-Saint-Denis lorsque l’actuel président de l’Assemblée le dirigeait. Les deux hommes sont proches, forcément. On sait que Claude Bartolone a des vues sur la future instance dirigeante de la métropole. Place-t-il déjà ses hommes en vue de noyauter le bidule ? Est-il le fameux Parrain décrié par ses opposants du 93 ? « L’Attila sicilien », comme le surnomme l’ex-maire communiste de Montreuil, Jean-Pierre Brard ?

3)   « C’est une démonstration de force d’Ayrault »
La décision est effectivement brutale et imméritée pour Étienne Guyot. Son futur remplaçant, Philippe Yvin, occupe (jusqu’à bientôt) le poste de conseiller des collectivités territoriales et de la décentralisation au cabinet du Premier ministre. Il est donc aussi un proche d’Ayrault qui a clairement pris la main sur le dossier Grand Paris depuis son discours du 6 mars 2013. En changeant « une équipe qui gagne », il prend le risque de la déstabiliser, mais lui montre qui est le patron. Il rappelle que la SGP n’est pas un organisme autonome mais un établissement public sous contrôle gouvernemental.

Après avoir créé une dépression collective au sein de Paris Métropole avec la loi du 13 décembre, il poursuit son entreprise de démantèlement du Grand Paris ancienne formule par l’annexion de l’une ses trois grandes structures. La prochaine sur la liste pourrait bien être l’Atelier International du Grand Paris dont Pierre Mansat assure la présidence mais qui se cherche depuis trois mois un directeur. Au sein de la région-capitale, la décentralisation reste coordonnée à un pouvoir régalien fort dont les établissements publics et la Préfecture forment les garde-fous.

Fin du Grand Paris ancienne formule

4) « L’occasion fait le larron »
De par sa fonction au sein du cabinet du Premier ministre, Philippe Yvin a supervisé la loi sur les métropoles, notamment son volet sur le Grand Paris. Il voulait le poste depuis longtemps et connaît très bien le dossier. D’ailleurs, personne ne met en doute ses compétences. Si Matignon considérait que sa mission était terminée, il fallait lui trouver un point de chute. C’est chose faite.

5) « Une nouvelle séquence s’amorce »
Après le lancement du Grand Paris via la consultation internationale de 2008, puis l’accord sur le Grand Paris Express en 2011, la métropole aborde une troisième phase de sa construction avec le vote le mois dernier pour l’institution d’une entité administrative au 1er janvier 2016. C’est curieux : à chaque nouvelle étape, changement de conducteur à la SGP. Dont le profil et la personnalité correspondraient mieux à la phase en cours ?

En 2008, Marc Véron était nommé directeur de cabinet de Christian, Blanc, secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale. Durant trois ans, il allait avancer tambour battant sur la réalisation d’un nouveau schéma de transport de la région parisienne, jusqu’à devenir le premier président de la SGP et parvenir au fameux accord de janvier 2011 avec la Région Ile-de-France. Mais l’homme s’était fait des ennemis et n’était pas parvenu à établir une relation de confiance avec le STIF, grand ordonnateur des transports franciliens. Il fallait un homme de consensus pour faire ce lien, un ancien préfet dévoué à la cause de l’État, un fin connaisseur des collectivités territoriales. Étienne Guyot, directeur de cabinet de Michel Mercier, ministre de l’Aménagement du territoire, était tout désigné.

Ses trois années à la tête de la SGP l’auront vu, comme le souligne le syndicat d’études Paris Métropole dans un communiqué, « mettre en place et animer personnellement une méthode efficace et démocratique de consultation de la population et des élus, constituer une équipe dont les compétences techniques et la qualité d’écoute sont partout reconnues. En lien étroit avec le STIF, il a constitué un “outil qui marche“ à même de fédérer les énergies des acteurs publics et privés. » Un blanc-seing qui ne suffit pas. Est-il encore l’homme de la situation ? Le gouvernement ne le pense pas puisqu’il le remplace un an et demi avant la fin de son mandat par Philippe Yvin. Histoire de coordonner l’action de la SGP avec la mise en place de la Métropole du Grand Paris ? Si on attend d’ores et déjà de futures dissensions entre cette Métropole et le Conseil régional d’Île-de-France, il se pourrait alors aussi que de nouvelles frictions apparaissent entre le STIF et la SGP.

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