Mis à jour le dimanche 19 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec l’architecte urbaniste Michel Cantal-Dupart.

INTERVIEW. L’architecte urbaniste Michel Cantal-Dupart, avec Roland Castro, a préfiguré le Grand Paris avec « Banlieues 89 ». Associé à Jean Nouvel et Jean-Marie Duthilleul, il a, plus tard, en 2008, participé au « Grand pari de l’agglomération parisienne ». Avant de remettre un rapport alarmiste, « Vivre le Grand Paris » au président Hollande, en 2013.
Poursuivez votre lecture
Que vous inspire la création ainsi faite de la Métropole du Grand Paris ?
Ridicule. Je suis très déçu, nous étions à deux doigts… Tout le monde était d’accord ! Il y avait un grand consensus. Au départ, supprimer les départements et faire une seule agglomération des départements de la Seine, de la Seine Saint-Denis, du Val de Marne et des Hauts de Seine était une bonne intention. C’est très nettement insuffisant. Et puis, créer, c’est donner des compétences. Nous en sommes très loin ! Très, très loin ! Les compétences d’urbanisme vont être transférées à ces nouvelles entités urbaines, dont on ne sait pas ce qu’elles veulent dire.
Nous ne sommes pas dans l’esprit du Grand Paris, celui que je porte depuis très longtemps, et qui a été à un moment, porté par Nicolas Sarkozy, malgré tout. Nous arrivons à cette Métropole du Grand Paris ridicule parce qu’il n’y a plus d’hommes d’Etat. Nos hommes politiques sont politiciens. Il n’y a pas de vision. C’est dramatique. La stratégie du Grand Paris a été abandonnée aux dernières régionales, alors que nous sommes à un moment où il y a une grande décision à prendre. L’agglomération parisienne n’a pas les compétences qu’ont d’autres grandes métropoles culturelles et économiques, comme Londres, par exemple.
Que peut-on attendre de cette Métropole?
Il va y avoir une assemblée. Il va donc falloir trouver un lieu. Il va y avoir une commande d’architecte pour le siège du Grand Paris, voilà. Pour le reste, ça va être un lieu qui va discuter avec la Région et essayer de coordonner un certain nombre de choses, mais qui n’aura aucun pouvoir. Aucun ! C’est ridicule. Je ne dis pas qu’il faille supprimer les communes. Mais il y a des compétences qui n’ont rien à voir avec elles. Permis de construire : oui. Urbanisme : non ! Est-ce qu’on peut continuer à penser que Paris puisse supprimer la circulation en son centre, et que ça ne touche ni Neuilly, ni Aubervilliers, ni Montreuil ? C’est une question qui doit être débattue ! On ne peut pas avoir une ville-capitale qui met en œuvre une tactique égoïste au détriment de sa première couronne. Cela doit se faire de manière simultanée, avec l’aménagement de l’espace public, les transports en commun…
Concernant le métro rapide, il va voir le jour. Tout le monde a vu que c’était nécessaire. Mais on pourrait peut-être commencer par faire un service d’autocars tangentiel sur le même trajet. Par exemple, de la Défense à Orly. Désenclaver Palaiseau aussi, avec des cars qui mènent rapidement vers Versailles, vers le centre de Paris, l’Essonne, la Seine et Marne. Brutalement, on désenclaverait ce qui est enclavé. Et si possible, en traversant les quartiers difficiles : ce serait encore plus fort. Il faut faire des choses tout de suite ! Mais qui peut décider ça ? Le Grand Paris, c’est aussi une part de risque. Il faut avoir un petit peu de courage politique.
Le monde entier va venir sur le Grand Paris pour la COP21. Moi, je trouve que c’est une occasion insensée. Celle de mettre en place un Grand Paris qui serait le modèle d’une agglomération intelligente et responsable. Les maires peuvent travailler ensemble à un effort commun parce que ça leur plaira, au-delà des clivages politiciens. Il faut des idées qui concernent l’agglomération.
Quelle est votre vision du Grand Paris ? Vous dîtes depuis longtemps que le Grand Paris doit être avant tout celui des hommes…
Le Grand Paris ne peut être que celui des hommes. Pour sa démocratie, pour la mutualisation… Qu’est qu’une ville ? C’est la mutualisation des services, depuis les origines de la ville. Où en est-on ? Qu’est-ce qu’une mutualisation moderne au 21ème siècle ? A l’heure actuelle, les gens habitent en ville parce qu’il y a des universités, des hôpitaux… Il y de très beaux services, et après ? C’est l’égoïsme total. Dans une seule et même ville, nous savons très bien qu’il y a des inégalités, que tout est sectorisé. Il faut bousculer les choses.
Qu’est-ce que l’objectif du Grand Paris ? C’est de rendre plus solidaire la commune de Paris avec sa périphérie immédiate. A l’heure actuelle, je l’ai dit, je le re-dit et je le re-dirais encore, on ne peut pas faire un Grand Paris avec des villes à deux vitesses. Il faut donc savoir et raconter comment on va raccrocher tous les quartiers qui ne vont pas bien.

100% d’accord mais je ne peux que regretter que Michel CANTAL-DUPART découvre si tard que tout passe d’abord par la qualité du modèle de gouvernance institutionnelle. Je me souviens de nos débats de 2008 sur les propositions que j’avais formulées dans mon rapport proposant la création d’une véritable métropole du Grand Paris. À l’époque, mais il n’était pas le seul, on me répétait le projet d’abord, les institutions après. Sept ans plus tard, voilà le résultat : une métropole impuissante faute de moyens financiers dans le périmètre de laquelle l’émiettement du pouvoir frise la caricature. Nous allons perdre 10 ans…
Philippe DALLIER
Sénateur de Seine-Saint-Denis