Mis à jour le dimanche 19 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien avec Nicolas Buchoud à propos de la création de la Métropole du Grand Paris.

INTERVIEW. Nicolas Buchoud dirige le cabinet Renaissance Urbaine, société de conseil stratégique en innovation et développement métropolitain durable. Il a aussi créé en 2011 le Cercle Grand Paris de l’Investissement Durable, think tank qui travaille au croisement des dimensions publiques et privées de l’éco-système du Grand Paris.
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Que vous inspire la création de la Métropole du Grand Paris ?
Plusieurs choses me viennent à l’esprit. La première est qu’aujourd’hui il est délicat de dire de quelle métropole il est question. Je pense faire partie des bons connaisseurs du dossier, et pourtant, si vous me demandez quel sera le nombre de conseillers métropolitains, je suis incapable de vous répondre. Si vous me demandez quelles seront les responsabilités de la future métropole, je dirais : un peu de coordination, un peu d’aménagement, mais je ne saurais vous dire quand elle deviendra une métropole de plein exercice.
Le chantier métropolitain est devenu exclusivement un chantier institutionnel et n’a pas permis au Conseil des partenaires de la Mission de préfiguration d’apporter des résultats tangibles. Après un an, le bilan laisse malheureusement à désirer. Ailleurs en France, à Marseille, Bordeaux, Lille, Nantes ou Strasbourg, sans parler de Lyon, les choses semblent avancer de manière plus innovante. On parle beaucoup du Grand Paris, mais on est manifestement impuissants à le réaliser concrètement. On a l’impression de se trouver face à un grand meccano. Il existe incontestablement une vitalité sociale et économique sur le territoire, mais l’absence de point d’ancrage se fait cruellement sentir. Aujourd’hui les entreprises ou les citoyens n’attendent pas grand chose de la Métropole et craignent surtout des charges supplémentaires.
Toutes les cartes étaient sur la table, mais on avance désormais à tâtons, comme s’il n’y avait plus de ligne directrice claire. Je ne sais pas si, après les élections régionales, nous pourrons y voir plus clair, mais pour l’heure, la situation est en demie teinte. Les conséquences de l’indécision politique sont nombreuses. Les organisations satellites des collectivités locales, comme les agences de développement, ne savent plus à quelle instance elles sont rattachées. Les équipes se retrouvent condamnées à un regrettable immobilisme. Tout ce qui leur reste, c’est le repli sur des opérations de communication portant sur les candidatures aux Jeux Olympiques ou à l’Expo 2025, c’est à dire des évènements prévus à un horizon de dix ans.
La position de la Ville de Paris mérite une attention particulière. Dans un environnement politique de plus en plus favorable à la droite, la mairie PS défend clairement des intérêts politiques en réclamant les prérogatives du préfet de police de Paris ou la fusion entre département et commune. Mais pas un instant, lors des dernières prises de position publiques de Mme Hidalgo, on n’a senti une volonté de bâtir une métropole d’ensemble. En fait, on a même l’impression qu’il existe deux chantiers : le chantier métropolitain d’une part et celui de Paris d’autre part. La capitale semble avoir décidé de reprendre sa liberté pour se soustraire aux risques liés à la construction de la Métropole. Face à un contexte d’une telle complexité, il ne faut pas s’attendre à ce que les acteurs privés et la société civile parviennent à se positionner. Finalement, on continue à parier sur le fait que seul le système public est en mesure d’organiser le Grand Paris, ce qui constitue à mes yeux une erreur fondamentale.
Peut-on tout de même s’attendre à une avancée? La métropole devrait-elle, selon vous, être plus intégrée ?
Oui, absolument. Michel Cantal-Dupart n’a pas tort quand il dit que la Métropole du Grand Paris est ridicule. Tout se passe comme si les interlocuteurs qui auraient à dire quelque chose de productif n’avaient, en réalité, pas voix au chapitre. On fonctionne dans un système de décision publique détachée du réel. Les entreprises attendent… La société civile attend… Elles ne sauraient se satisfaire des campagnes de communication mettant en avant la grandeur de la ville-monde, de la ville globale, de la région la plus puissante d’Europe etc. Ces formules sont vides de sens aux yeux des gens qui vivent et travaillent dans les territoires du Grand Paris. L’attente est là, le potentiel aussi, je regrette de voir cette superbe opportunité gâchée.
Quelle est votre vision du Grand Paris ?
Je me garderais bien de faire croire que j’ai la solution dans mes dossiers. J’ai toujours envisagé les choses de la manière suivante : le concept du Grand Paris, c’est avant tout une dynamique collective qui ouvre des horizons nouveaux, décloisonne, et crée un appel d’air, dont tous pourraient bénéficier. Que ce soit en matière d’industrie, de services, d’expertise, d’économie sociale et solidaire, ou d’approches financières innovantes, etc., les besoins sont tels, les enjeux d’évolution sont tels qu’ils nécessitent un co-investissement du public et du privé. Nous assistons aujourd’hui à un phénomène d’épuisement de la dynamique collective. C’est pourquoi, dès le départ, j’ai trouvé intéressante l’idée du Manifeste du Grand Paris. Elle nous offre l’occasion de redonner un souffle collectif.
Il faut arrêter de communiquer sur les grands projets, et consacrer les ressources et l’énergie à les réaliser enfin. Il existe d’importants pôles de convergences, des partenariats entre universités, entreprises, territoires, sur des projets de recherche, de transformation de recherche en plan d’action et de plan d’action en projet. Ce moment fade, strictement institutionnel, que nous vivons actuellement, rend ces ressources difficilement exploitables. Il faut relancer et porter des démarches pragmatiques de collaboration économique. En tant que Président du Cercle Grand Paris de l’Investissement Durable et en tant qu’entrepreneur, je crois beaucoup à la dynamique des réseaux…
Pour la revue Études Foncières, j’ai réalisé un travail d’identification de toutes les organisations créées par la dynamique du Grand Paris depuis six ans. J’en ai trouvé une quarantaine de toutes sortes, y compris un site d’informations comme gpmetropole-infos.fr. Cela représente un potentiel de 250 à 400 personnes, au bas mot, qui ont investi leurs compétences, leurs ressources et du temps dans ce projet collectif. Cette richesse a toutefois la forme d’un archipel éclaté. Prétendre les fédérer serait tout à fait irréaliste, c’est pourtant ce dont on aurait besoin : rassembler ces forces vives autour d’une table et créer une sorte de Constituante du Grand Paris. Face à un projet collectif qui n’est plus partagé, il est indispensable de prendre en compte le fait que la réussite dépend d’une adhésion forte à chaque prise de décision, si modeste soit-elle.
