Mis à jour le dimanche 13 mars 2022 by Olivier Delahaye
Le 3 juin 2015, en partenariat avec Grand Paris Métropole, EDF organisait la deuxième session de son cycle consacré à l’évolution électrique du Grand Paris. Un « Grand Paris Histoires et Futurs » consacré à la lumière. Nous vous proposons ici d’en retrouver, en plusieurs temps, quelques échanges. Quatrième et dernière partie : la refonte de l’éclairage public.
Source de pollution lumineuse, consommateur d’énergie, enjeu de finances locales, l’éclairage public est à un tournant de son histoire. D’autant que, selon l’ADEME, « plus de la moitié du parc français est obsolète et surconsommatrice d’énergie. Près de 40% des luminaires en service ont plus de vingt ans. » Même si la consommation moyenne des communes a pu diminuer ces dix dernières années, l’augmentation du coût de l’électricité n’a pas généré d’économies : « La dépense associée est restée stable », note l’ADEME. Si bien que l’énergie consommée par l’éclairage public représente :
- 41 % des consommations d’électricité des collectivités territoriales ;
- 16 % de leurs consommations toutes énergies confondues ;
- 37 % de leur facture d’électricité.
La France compte environ 9 millions de points lumineux, représentant 1% de la production totale d’électricité et produisant 85 000 tonnes de CO2 par an. Le coût moyen de cet éclairage est de 24 € par habitant.
Éteindre ou pas ?
Ces chiffres ne font pas forcément de l’éclairage public le Guignol sur lequel le gendarme doit asséner les coups de bâton. Après tout, le bâtiment, lui, « représente encore 76% de la consommation d’énergie des communes », comme le note habilement l’Association française de l’éclairage (AFE). Cependant, il existe une marge importante d’économies, l’AFE estimant « à 60% les économies d’énergie réalisées en dotant les réseaux des plus récentes technologies. »
Dans le cadre de la transition énergétique, les règles sont de toute façon assez claires, et ce pour l’Île-de-France comme pour les autres régions : « Réduire les consommations d’éclairage urbain est l’une des douze mesures prioritaires du Schéma Régional du Climat, de l’Air et de l’Énergie (SRCAE) francilien, précise sa chef de projet, Véronique Charbeaux. Et chaque agglomération de plus de 50 000 habitants doit établir un Plan Climat-Énergie (PCET) en compatibilité avec le SRCAE. »
À La Défense, 70% du linéaire du boulevard circulaire doit être éteint la nuit provoquant un véritable inconfort pour les usagers et les habitants du quartier d’affaires.
François Bourvic
Réduire donc… Là où cela se complique, c’est comment ? Première solution : éteindre les lampadaires. Six mille communes en France l’expérimentent déjà dans certaines zones de leur agglomération, soulevant des problèmes de sentiment d’insécurité. Lorsque la commune de Ballancourt, dans l’Essonne, met en place cette mesure en 2012, la mairie reçoit quelques semaines plus tard une pétition de 700 signatures réclamant le rétablissement de l’éclairage nocturne. Le maire pouvait pourtant faire valoir une économie de 30% sur sa facture d’électricité.
Autre mesure, l’obligation faite depuis 2010 aux autoroutes urbaines franciliennes de demeurer dans le noir. La décision avait été prise suite à un vol de câbles électriques sur l’autoroute A15 en 2007, plongeant celle-ci dans l’obscurité. La Direction interdépartementale des routes d’Île-de-France (Dirif) avait sauté sur l’occasion pour expérimenter la coupure. Résultat : une facture d’électricité allégée de 20% et, étonnamment, une baisse des accidents de 30%. « Quand l’éclairage baisse, on lève le pied », commentait alors le directeur de la Dirif dans Le Parisien. Mais cette mesure a son revers. À La Défense, 70% du linéaire du boulevard circulaire doit ainsi être éteint la nuit provoquant, pour François Bourvic, directeur des espaces publics et des infrastructures chez Defacto, « un véritable inconfort pour les usagers et les habitants du quartier d’affaires. » Le boulevard est traversé par des passages piétons, par des salariés qui passent de leurs bureaux au métro, par des habitants qui rejoignent la dalle pour faire leurs courses : « C’est un peu comme si on éteignait le périphérique… »
Le quartier d’affaires parisien fait face à une autre injonction qui le plonge en plein paradoxe. Depuis juillet 2013, un décret vise à limiter l’éclairage nocturne des bâtiments, locaux professionnels et commerces. Objectifs : réduire à la fois les émissions de C02 de 250 000 tonnes par an et la pollution lumineuse qui perturbe les écosystèmes. Montrée du doigt pour ses tours énergivores, La Défense aurait tout intérêt à montrer l’exemple. Pourtant « la question s’est posée pour ce quartier d’enfreindre ce décret, explique l’urbaniste Marc Armengaud, afin de continuer à exister comme personnage métropolitain majeur. Car si vous éteignez la plus grande place d’Europe, vous faites quoi ? » « Un trou noir de 32 ha, répond François Bourvic. Le complément d’éclairage par les tours est particulièrement significatif pour nous. » Les villes ont un dilemme : concilier efficacité énergétique et attractivité. Mais aussi préserver la biodiversité tout en assurant la sécurité par l’éclairage, faire des économies tout en mettant en valeur le patrimoine urbain.

Organiser la lumière
La solution pourrait provenir de la technologie, notamment du déploiement des LED. Encore faut-il l’organiser. Ce sujet-là est assez récent. Il revient à mettre en place un schéma directeur ou plan lumière. « De la même manière que l’on organise les vides et les pleins dans la ville, on doit y organiser les ombres et la lumière », explique Christophe Marty, architecte et secrétaire général du cluster Lumière. À la fin des années 1980, Lyon fut la première grande ville française à se doter d’un plan lumière. « Le paysage nocturne en a été transformé pour le plus grand plaisir des Lyonnais. Et la ville autrefois réputée triste s’est mise à vivre la nuit. L’on disait qu’elle se cachait, elle s’est offerte au regard. On la visite même pour la mise en valeur de son patrimoine, de son site », écrit l’urbaniste Jean-Pierre Charbonnaud. Depuis, de nombreuses villes se sont dotées d’un tel schéma qui offre le « moyen d’organiser, de prévoir, d’intégrer les innovations et de les relier à l’urbanisme », précise Christophe Marty.
Au moment où l’agglomération parisienne se dote d’une nouvelle institution, qu’elle réorganise les compétences, l’élaboration d’un tel schéma à l’échelle métropolitaine demeure une lubie. « À l’époque où nous préparions l’exposition Paris, la nuit, en 2013, nous avions sollicité les grands acteurs métropolitains pour connaître leurs actions, leurs données, le nombre de points lumineux qu’ils géraient, etc. Nous avions en vain tenté d’organiser une réunion. Beaucoup de ces acteurs trouvaient l’idée intéressante, mais, en fait, le sujet n’existait pas au niveau régional », soupire Marc Armengaud. Le Grand Paris est et sera surtout la somme de ses territoires. Il n’existe pas en tant que tout, une approche globale de l’aménagement de sa lumière semble donc hors de portée.
Quand Paris souhaite conserver le charme de son éclairage urbain, Saclay parle innovation et ressources locales.
Dans le Grand Paris, des lumières « territoriales »
Chacun s’organise plutôt séparément. Depuis 2011, la Ville de Paris rénove son éclairage public. Le contrat de 672 M€ passé avec le groupement Evesa (filiale de Vinci) porte sur les 201 000 points lumineux de la ville et 144 000 points de signalisation lumineuse tricolore, avec pour objectif de réduire de 30% la consommation d’énergie d’ici 2020. De façon étonnante, Paris ne s’appuie pas majoritairement sur les LED, dont la qualité d’éclairage ne convient pas à la Ville, mais sur une gestion intelligente des lampadaires.
De son côté, l’Établissement public Paris-Saclay (EPPS) a confié en janvier 2015 à l’agence Concepto de Roger Narboni le soin de concevoir et réaliser un schéma d’aménagement lumière à l’échelle de son campus. « Le travail de mise en lumière des infrastructures participera à la spécificité du campus, par la création de repères et d’une image forte du territoire », peut-on lire sur le site de l’EPPS qui y ajoute « une démarche énergétique innovante s’appuyant sur des sources d’énergies renouvelables et locales. » Quand Paris souhaite conserver le charme de son éclairage urbain, Saclay parle innovation et ressources locales. À chaque territoire, ses particularités.

Pour La Défense, les enjeux sont encore autres. Passées les heures de travail, le quartier souffre « d’une désaffection qui est une vraie gageure pour nous, explique François Bourvic. 85% de ses usagers viennent en transports en commun et, hormis le chemin qui les mène du métro ou du RER jusqu’à leur lieu de travail, ils connaissent peu le reste. Les 170 000 salariés, les 30 000 habitants, les touristes, les étudiants éprouvent de la difficulté à s’approprier ce territoire de nuit. » Pour créer une mixité d’usages entre le jour et la nuit et conférer au site une urbanité plus vivante, Defacto a d’abord choisi de mettre en lumière les 67 œuvres contemporaines de son musée à ciel ouvert, mais aussi de valoriser son patrimoine aux allures gigantesques que peuvent être le CNIT ou la Grande Arche. Offrir à La Défense une qualité nocturne s’avère d’autant plus urgent à la veille de l’ouverture de l’Arena 92, à Nanterre. Marc Armengaud explique pourquoi : « Bâti sur un modèle anglo-saxon, l’Arena combinera matches de rugby et événements. Or, la mairie de Nanterre a refusé l’ouverture de sa station de RER au flux des visiteurs. Par conséquent, tous ces spectateurs vont remonter vers la dalle. Tous les soirs, entre 20 000 et 40 000 personnes seront en attente de quelque chose en arrivant ou en sortant du spectacle. Et ce quelque chose n’a pas du tout été pensé. »
Cercle vertueux
Si les territoires s’organisent chacun à leur manière, c’est aussi parce que « l’éclairage public reste majoritairement de compétence communale en France, plus rarement de compétence intercommunale », note Bertrand Vanden Abeel, directeur commercial pour la France de Citelum. La gestion des équipements en revient à de puissants services techniques « qui gèrent bien leur patrimoine mais préfèrent fragmenter leurs investissements, quitte à mélanger les technologies. » Or, selon lui, « il serait non seulement nécessaire de mettre en place des schémas directeurs plus étendus mais aussi d’avoir une approche globale au niveau de la ville entre investissement et fonctionnement. » Et ce, d’autant plus, que l’éclairage public en France « arrive en fin de vie et que son renouvellement se heurte à un manque de financement. »
Pour une ville de 200 000 habitants, la dépense moyenne serait d’environ 3 M€ par an en investissement et fonctionnement. Avec la raréfaction des dotations budgétaires de l’État, Bertrand Vanden Abeel prône de nouveaux montages contractuels et de nouveaux dispositifs financiers. Il s’agirait donc de partenariats public-privé (PPP), de SEM à opérateur unique ou de contrats de conception-réalisation-exploitation de maintenance, devant « permettre aux autorités publiques et à leurs partenaires privés de co-construire des projets qui permettront de baisser les coûts de fonctionnement tout en atteignant les objectifs de performance. »
De nombreux projets ont déjà été financés par des PPP, généralement pour vingt ans. « Une procédure qui permet une mise à jour rapide du parc, mais qui fige la technologie déployée pour de nouveaux plusieurs décennies », notait un professionnel dans le journal Les Echos. Avec Evesa, la Ville de Paris a, elle, fait le choix d’un contrat de performance énergétique d’une durée de dix ans. Une manière d’étaler les investissements tout en s’assurant de pouvoir bénéficier des avancées technologiques. On sait qu’en matière d’éclairage, celles-ci sont en pleine effervescence. Et doivent générer des économies d’énergie pour permettre d’investir à nouveau. Une sorte de « cercle vertueux où l’investissement prendrait le pas sur le fonctionnement », résume Bertrand Vanden Abeele.
Les données concernant Evesa et Paris sont particulièrement erronées …
Suite à son commentaire, nous avons demandé à Patrick Duguet qui est Chef de la Section de l’éclairage public à la Mairie de Paris de préciser son propos.
Voici sa réponse :
» Bonjour,
Avec plaisir. Voici donc des compléments à mon commentaire un peu rapide ;
– D’abord EVESA n’est pas une filiale de Vinci, mais une société à part entière dont les actionnaires sont les membres du groupement Bouygues énergie services / Vinci énergie / Aximum / Satelec titulaire du marché à performance énergétique.
– Surtout, il est faux de dire que la Ville de paris ne s’appuie pas sur les LED puisqu’au contraire les nouveaux luminaires piétonniers sont depuis 2014 systématiquement à base de technologie LED, et depuis cette année ce sont les voies circulées qui sont traitées en grande majorité en LED. A ce jour nous avons plus de 3 100 luminaires à LED et la dynamique est lancée puisque 10 000 seront posés dans les 2 ans à venir. A noter que la rue de Rivoli passe actuellement en LED, ainsi que les champs Élysées, et Montmartre pour la fin de l’année …
– Enfin, la notion de gestion intelligente des lampadaires est un peu flou … qu’entendez-vous pas là ?
A votre disposition,
Cordialement,
Patrick DUGUET