Mis à jour le samedi 18 février 2023 by Olivier Delahaye
Accélération des politiques cyclables, freins contextuels, difficultés de certains territoires, croissance des déplacements vélos, pérennisation des nouvelles pistes : le Club des villes et territoires cyclables dresse un premier bilan des aménagements temporaires réalisés en France.

une accélération sans précédent. Crédit Shutterstock
Dans le contexte de la crise sanitaire, l’aménagement cyclable transitoire est devenu une véritable politique urbaine opérationnelle. Le Club des villes et territoires cyclables (CVTC) en publie un premier bilan, fruit d’une enquête réalisée auprès de 137 collectivités territoriales françaises (communes, intercommunalités, départements et régions).
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Accélération sans précédent
Premier enseignement : les aménagements cyclables de transition ont connu au cours du 2e trimestre 2020 une accélération sans précédent. Au 3 juillet, seuls 23 % des collectivités ayant répondu à l’enquête indiquent ne pas avoir de projet de ce type. Pour 11 % d’entre elles, elles sont déjà en service ; 35 % annoncent un déploiement ; et 31 % le prévoient.
Sur les 62 collectivités ayant des aménagements transitoires en déploiement ou en service, plus d’un quart (18) se trouve en Île-de-France où seuls les départements de l’Essonne et de la Seine-et-Marne sont manquants. Une explication à trouver dans le caractère plus rural de ces départements.

En effet : « Sur l’ensemble des 137 collectivités répondantes, on constate que ce sont les territoires plutôt urbains qui accueillent le plus de projets d’aménagements de transition », note l’étude. Depuis les années 1990, la mise en place d’aménagements cyclables est une tendance qui s’observe avant tout en milieu urbain. Avec la crise sanitaire, elle s’y est doublée d’une défiance envers les transports en commun. Or, ces derniers « jouent un rôle significativement moindre dans la mobilité des personnes des territoires ruraux ». Ainsi : « En l’absence de besoin constaté pour le vélo et faute d’une demande sociale forte, les territoires ruraux n’ont donc pour la plupart pas ressenti la nécessité pour des aménagements de transition. »
Ça freine aussi, un peu
De leur côté, ces territoires ruraux ou à dominante rurale n’expliquent pas leur absence de projet par une contrainte liée à la voiture. Leurs motifs sont très divers, allant d’une pratique du vélo jugée faible au manque d’expertise et à l’absence de budget. « Rares sont les territoires ruraux qui disposaient déjà de lignes budgétaires et de contrats adaptés pour gérer en urgence le déploiement d’aménagements cyclables », note le CVTC. Ajoutons-y les difficultés à trouver des entreprises prestataires adéquates ou les devis exorbitants que certaines proposent.
Ces territoires ruraux ont aussi dû faire face à des obstacles administratifs majeurs, conséquences d’un mille-feuille qui doit faire intervenir de nombreuses instances externes. De ce point de vue, les métropoles s’en sortent mieux. Exemple avec le Grand Paris où la préfecture de région a su piloter des projets en urgence : l’aménagement du carrefour Pompadour de Créteil ou encore le pont de Neuilly.

Surtout, le contexte électoral semble avoir joué un rôle déterminant. Avec un entre-deux tours qui s’est étalé sur trois mois, la décision publique est devenue très difficile ; pour les intercommunalités, notamment, dont les conseillers communautaires n’ont pu être élus que début juillet. D’ailleurs, cette difficulté a aussi joué pour les territoires urbains où la concertation est une donnée essentielle pour décider du partage de l’espace public. Ici, la contrainte de la voiture joue à plein et les aménagements transitoires empiètent avant tout sur la place qu’elle occupe.
En somme, on peut dire que les aménagements transitoires ont été accélérés par la crise sanitaire, mais freinés par les élections municipales. Les collectivités qui s’en sortent le mieux sont sans doute celles qui pouvaient s’appuyer sur un document de planification (schéma directeur cyclable ou plan vélo), comme la Ville de Paris ; 57 % d’entre elles sont dans ce cas. Ou celles qui ont pu agir dans un cadre hors électoral, comme les départements. Exemple avec le Val-de-Marne, qui a décidé de s’appuyer sur les tracés du RER V, projet conçu par le Collectif Vélo Ile-de-France.
Capter de nouveaux cyclistes
Sens inverses, couloirs de bus, pistes cyclables, bandes cyclables, il existe plusieurs types d’aménagements pour les vélos. Lorsqu’il faut les réaliser en très peu de temps, la question est d’autant plus épineuse. Malgré tout, les collectivités ont majoritairement fait le choix des aménagements les plus sécurisés, privilégiant bandes et pistes qui allouent une partie de la chaussée aux vélos. CVTC analyse ce choix en fonction du public ciblé par les collectivités : non pas les usagers traditionnels de la bicyclette, mais les néo-cyclistes, ceux qu’il est nécessaire de rassurer sur la pratique urbaine du vélo.
C’est un axiome chez les cyclistes : si tu peux pas garer ton vélo, tu le laisses chez toi.
On peut voir aussi dans ce choix une politique délibérée et à long terme de ces collectivités en faveur du vélo : si elles veulent donner l’assurance à ceux qui utilisent d’ordinaire la voiture ou les transports en commun de pouvoir pratiquer le vélo en toute sécurité, c’est qu’elles comptent bien les capter, en faire des usagers plus réguliers.
C’est dans cette optique qu’elles ont aussi amélioré leur offre de stationnement de biclounes. En tout cas, pour la moitié d’entre elles. C’est un axiome chez les cyclistes : si tu peux pas garer ton vélo, tu le laisses chez toi. « Les principaux fournisseurs de matériel de stationnement en France font état d’une très forte croissance de leurs commandes, en particulier pour du mobilier de stationnement temporaire », note l’étude du CVTC.
Du temporaire qui peut durer. La ville de Rennes veut ainsi mettre en place des stationnements transportables et étudier, façon « work in progress », les endroits les plus stratégiques. Ailleurs, comme à Annecy, du mobilier urbain pro-cycliste s’est développé, comme des stations de gonflage.
Un suivi grâce aux réseaux cyclistes
Vient ensuite la question du suivi de ces aménagements. Le quantitatif et le qualitatif. Les 62 collectivités ayant déjà mis en place de l’aménagement temporaire font d’abord confiance au comptage, automatisé pour 62 % d’entre elles, manuel pour 75 %. Paris en est le meilleur exemple, qui dispose du plus large réseau de compteurs vélos permanents : 60. Et peut donc s’appuyer sur des mesures fiables. Résultat des courses : un accroissement de 74 % du nombre de déplacements entre 2019 et 2020, sur la période allant du 11 mai au 28 juin. Plutôt spectaculaire.
Au niveau national, la croissance est aussi forte selon le CVTC : « D’après les bulletins de fréquentation vélo et déconfinement publiés par Vélo et Territoires, le niveau de fréquentation cyclable a progressé de 29 % entre le 11 mai le 28 juin 2020 par rapport à la même période en 2019. La fréquentation post-confinement progresse quel que soit l’environnement d’après les compteurs, mais la hausse est plus importante en milieu urbain (+33 %) que dans le périurbain (+20 %) et dans le rural (+17 %). Les progressions les plus fortes concernent les villes de moins de 100 000 habitants. »
Cette crise aura encore révélé le vélo comme facteur de résilience pour les mobilités urbaines.
En ce qui concerne la mesure qualitative, les collectivités ne désirent pas faire appel à des enquêtes de satisfaction. Enfin si, 5 % d’entre elles. Elles comptent principalement sur les associations d’usagers (à 62 %). Il faut dire que les réseaux cyclistes sont nombreux et très actifs, capables de déployer des cartes ou de multiplier les retours sur les incidents ou sur les aménagements réalisés à l’emporte-pièce.
Des aménagements positifs à pérenniser
Enfin : quid de la pérennité de ces aménagements ? Pour 73 % des collectivités les ayant déjà mis en place, c’est plié. Tout ou partie de ces aménagements seront conservés. Y compris pour celles qui ne s’appuyaient pas sur un document planificateur. Pour 35 %, cela concernera même la quasi-totalité des aménagements temporaires. Il faut dire que cela leur a coûté. Pour l’ensemble des 51 collectivités ayant bien voulu donner leurs chiffres, cela a représenté plus de 24 millions d’euros. Jusqu’à 4 euros par habitant pour 17 % d’entre elles. Comment, dans ce cas, faire machine arrière ?
Certaines s’y sont déjà employées. Douze au total (sur 62). 20 %, ce n’est pas négligeable. Pour quel motif ? En majorité, parce que cela perturbait la circulation des véhicules motorisés. Une seule avoue qu’elle a raté son aménagement (« dysfonctionnel pour les usagers »).
Il n’empêche : « Une large majorité des collectivités interrogées (84 %) estiment que les aménagements de transition ont stimulé l’usage du vélo sur leur territoire, dont près de la moitié jugent l’effet significatif voire très significatif. »
Cette crise, comme d’autres auparavant, aura encore révélé le vélo comme facteur de résilience pour les mobilités urbaines. Sa singularité réside dans le facteur d’urgence à mettre en place les aménagements adéquats. De ce point de vue, il se sera révélé un crucial besoin d’expertise, d’outils d’accompagnement adaptés, de schémas de planification anticipés et de dispositifs de financement, notamment pour les territoires ruraux.