Prise en charge des personnes âgées : quel rôle pour les départements ?

Crédit : Ava Bunoust Janiv
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Mis à jour le jeudi 24 mars 2022 by Olivier Delahaye

Amélie Carrère, Institut National d’Études Démographiques (INED) et Delphine Roy, Paris School of Economics – École d’économie de Paris

En France, on compte entre 1,3 et 3,9 millions de personnes âgées en perte d’autonomie.

De nos jours, la probabilité d’atteindre un âge élevé, où l’on ne peut parfois plus réaliser des activités essentielles à la vie quotidienne, est bien plus importante que par le passé. Si cette dynamique se poursuit malgré la crise du Covid-19, il faut s’attendre à une forte croissance de la population âgée en perte d’autonomie, et des coûts sociaux et économiques associés.

Quels seront les besoins ? Comment financer les services qui y répondront ? Les propositions politiques sur ces questions se font timides, notamment parce qu’elles impliquent la mobilisation de ressources conséquentes. Depuis l’affaire Orpéa, les candidats à la présidentielle semblent investir un peu plus le sujet.

Une multitude d’acteurs et de financeurs

La perte d’autonomie correspond à l’impossibilité totale ou partielle de réaliser seul un ensemble d’activités du quotidien. Différents dispositifs peuvent aider les personnes à accomplir, ou faire à leur place, ces activités : des aides techniques, des aménagements du logement, de l’aide humaine (professionnelle ou de l’entourage) ou un hébergement collectif.

Ces dispositifs ont un coût social et économique. Souvent oubliés, les coûts de l’aide de l’entourage, de la formation du personnel soignant, ou encore des investissements pour construire des établissements ou les rénover doivent être aussi pris en compte. Sur ce dernier point, une étude de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) indique que la moitié des Ehpad interrogés ont un parc immobilier vétuste et « le renouvellement des installations […] devient urgent ».

Ces éléments sont actuellement invisibilisés et constituent pourtant une charge qu’il faut provisionner, puisqu’elle se répercutera soit sur les coûts à la charge des personnes, soit sur les dépenses publiques.

Actuellement, le « compte de la dépendance », correspond aux dépenses de prise en charge en établissement ou à domicile couvertes par les finances publiques (État, sécurité sociale, départements…) ou par les individus.

Ces dépenses représentent 30 milliards d’euros en 2014, hors prise en charge non rémunérée par l’entourage. La Sécurité sociale est le premier apporteur de ressources, devant les ménages, les collectivités territoriales (principalement les départements) et l’État.

Alors même que l’article 72 de la Constitution et la Loi relative aux libertés et responsabilités locales définissent le département comme « chef de file » en matière d’action sociale, sa contribution n’est finalement que d’un quart des dépenses totales liées à la dépendance.

Réalité budgétaire très contrainte

Le département est pourtant responsable de l’évaluation des besoins des personnes âgées, du financement d’une partie des dépenses d’aide professionnelle à domicile et en établissement (partie dépendance) et de la gestion de l’offre à domicile et en établissement (avec les agences régionales de santé).

On fait donc face à une contradiction importante entre d’une part, la responsabilité et la liberté données aux départements sur la politique d’accompagnement des personnes âgées, et d’autre part, la réalité budgétaire très contrainte à laquelle ils font face.

Par ailleurs, les différences territoriales de prise en charge (financière et humaine) de la perte d’autonomie soulèvent des questions en termes d’équité de l’action publique à l’égard des personnes âgées dépendantes. L’aide professionnelle apparaît relativement plus spécialisée dans la prise en charge à domicile (par exemple dans le nord de la France et sur la diagonale Normandie-Lozère) ou plus spécialisée dans la prise en charge en établissement (par exemple en Bretagne, Centre-Val de Loire ou Sud de l’Auvergne).

La prise en charge financière n’est pas non plus complètement concordante avec les besoins de prise en charge. On note que la proportion de bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile par département n’est pas uniquement liée à la proportion de personnes âgées dépendantes qui y vivent.

Le plus faible accès à cette allocation peut relever de choix départementaux relatifs à la répartition entre chaque poste de dépenses d’aide sociale. En la matière, les écarts sont significatifs : la part de dépenses d’APA dans l’ensemble des dépenses obligatoires d’aide sociale des départements varie de 6 % (Paris) à 32 % (Corse).

Régulièrement, la CNSA se voit enjointe de renforcer les « garanties d’équité entre les territoires » dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Ces injonctions restent cependant relativement peu opératoires faute de l’existence d’une norme d’équité clairement explicitée.

Les implications de la gestion décentralisée

La première source de tension de la gestion décentralisée concerne le double rôle d’évaluateur et de financeur donné aux départements. Comment peut-on espérer, dans un système à budget limité, que les départements évaluent de façon neutre les besoins des personnes âgées dont les dépenses vont leur incomber ?

Il en résulte des écarts importants entre la perte d’autonomie estimée par enquête et l’évaluation qui en est faite par les départements dans le cadre de l’APA. Pour tous les départements, la perte d’autonomie estimée par enquête est supérieure à celle évaluée par les départements. L’écart relatif est le plus élevé en Guadeloupe et le plus faible dans l’Hérault.

Ces écarts laissent penser que les départements sont incités à minimiser les besoins mesurés pour tenter de contenir leurs dépenses.

D’un autre côté, est-il souhaitable qu’ils évaluent les personnes et engagent les dépenses, sans prendre en compte le coût induit ?

Comme le rappelle la Cour des comptes dans son récent rapport sur le revenu de solidarité active (RSA), « le principe “décideur = financeur” est au cœur du choix de la décentralisation », et « la situation dans laquelle l’État finance mais le département décide ne peut que générer un risque sérieux de dérive de la dépense et un contrôle structurellement faible de l’attribution à bon droit ».

La deuxième tension provient de la possibilité de substituer, pour certaines tâches, des professionnels du secteur médical (les infirmières) qui sont financés par l’Assurance maladie, à des professionnels du secteur médico-social (les aides-ménagères), qui sont financés par les départements.

Au-delà de la répartition domicile/établissement, il peut exister des stratégies différentes de répartition entre secteurs médical et médico-social.

Ces deux secteurs ne relevant pas de la même enveloppe budgétaire, l’incitation des départements à moins financer les besoins des personnes âgées et laisser le secteur médical (infirmières) prendre le relais peut être forte dans les départements les plus limités budgétairement.

Il en résulte un recours à l’aide très différent entre département, à domicile comme en établissement, et ce même à besoins de prise en charge équivalents.

Une analyse économétrique montre que si tous les départements étaient dotés de la même quantité d’offre, ces différences de recours tendraient à disparaître.

Cela suggère que l’amélioration de la prise en charge doit passer par un élargissement des choix présentés aux individus. D’autant plus que l’abondance de l’offre est souvent associée à des coûts plus faibles.

Enfin, l’inégalité d’accès à l’offre de prise en charge conduit à des mobilités géographiques des personnes âgées lors de leur entrée en établissement qui modifient le paysage de la perte d’autonomie en France.

Grâce au principe de domicile de secours, la charge financière des mobilités interdépartementales n’est pas répercutée sur les départements d’accueil des personnes âgées en établissement. Toutefois, ces mobilités, souvent difficiles pour les familles et pas toujours choisies, questionnent l’adéquation de l’offre aux besoins.

L’aide à domicile, un secteur à repenser

Enfin, une réflexion sur l’organisation économique du secteur de l’aide à domicile est nécessaire. Tout comme celui des établissements, il est partagé entre acteurs publics, privés et associatifs, parfois à la limite de la viabilité économique.

Il connaît des difficultés de recrutement importantes, ce qui fait du temps des aides à domicile qui y travaillent une ressource d’autant plus précieuse.

Or, une part importante de cette ressource est actuellement perdue en temps de trajets. Faut-il favoriser la concentration des structures afin de faire des économies d’échelle ? Coordonner les acteurs privés ? Mettre en place un « service public de l’aide à domicile » ? Ou encore, encourager l’habitat inclusif où les personnes âgées se regrouperaient pour mutualiser les services ?

Même si l’on maintient le rôle du département dans l’évaluation des besoins et la gestion de l’offre de prise en charge pour y répondre au plus près, on ne peut plus faire l’impasse sur une réflexion nationale sur ces choix économiques, sociaux et politiques.

Les candidats à l’élection présidentielle devraient s’en saisir et faire des propositions concrètes, au lieu d’espérer repousser une fois encore le sujet, jusqu’au moment où il sera trop tard pour développer une offre à la mesure des besoins des baby-boomers vieillissants.

Amélie Carrère, Economiste, Institut National d’Études Démographiques (INED) et Delphine Roy, Directrice du programme « Santé et autonomie » de l’IPP, Paris School of Economics – École d’économie de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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