Saclay : une gestion défaillante selon la Cour des comptes

Mis à jour le mardi 19 mai 2020 by Olivier Delahaye

DOCUMENT. « Le risque de dilution d’une grande ambition ». C’est ainsi que la Cour des comptes présente le projet Paris-Saclay, durement épinglé dans le rapport annuel que l’institution vient de rendre public ce 8 février.

En préambule, la Cour rappelle que la loi sur le Grand Paris de 2010 avait accéléré la mise en œuvre d’un projet aux prémices datant de l’après-guerre en lui affectant « un niveau très élevé de financement public : près de 5,3 Md€, dont 700 M€ pour le volet scientifique, 2,6 Md€ pour l’immobilier universitaire et 2 Md€ pour les transports. » Elle souligne également que la réussite du cluster scientifique est conditionnée par :

  • une organisation universitaire et scientifique capable de mettre en œuvre une stratégie globale, en vue d’une reconnaissance internationale ;
  • un campus urbain desservi par des moyens de transport adéquats, disposant des logements et des équipements nécessaires ;
  • une gouvernance globale forte, à même de surmonter les oppositions.

Or, si elle reconnaît des efforts significatifs en matière universitaire avec le regroupement via la Communauté d’universités et d’établissements (COMUE) de 18 établissements d’enseignement supérieur et de recherche depuis le 1er janvier 2015, la labellisation commune de tous les doctorats et de 80 % des masters, et la volonté d’élaborer une stratégie de recherche unifiée, elle pointe aussi du doigt de grosses défaillances.

Un déficit de logements pour les étudiants

Première mauvaise note : le campus urbain. Les infrastructures sportives sont loin d’être financées, il manque 39,7 M€. Il manque aussi 19 M€ pour le « learning center », centre de documentation et de médiation scientifique, sur lequel le Commissariat général à l’investissement avait par ailleurs émis des réserves quant « au niveau de services rendus par ce projet qui ne seraient pas à la hauteur d’une grande université de niveau international. »

Mais l’essentiel des critiques vise le logement étudiant. Pour faire face à la présence sur le plateau de Saclay de 54 000 étudiants, 7 915 lits seraient nécessaires d’ici 2020. Mais les programmes en cours ou à lancer ne prévoient que 5 780 places à cette date. Ce sont donc plus de 2 000 étudiants qui devront se loger ailleurs. Problème : les transports en commun font cruellement défaut. « Trois projets de transport en commun de proximité ont été jugés nécessaires : un projet de transport collectif en site propre (TCSP) est-ouest et un TCSP nord-sud, ainsi qu’un projet de téléphérique entre la vallée et le plateau. La date prévisionnelle de mise en service du tronçon du TCSP est-ouest, qui reliera Massy-Palaiseau à Saint-Quentin-en-Yvelines, est fixée à 2018. Les projets de TCSP nord-sud et de téléphérique entre la vallée et le plateau, quant à eux, ne sont pas encore définis », écrit la Cour. Quant à la ligne 18 du Grand Paris Express qui relierait le plateau à Massy-Palaiseau, elle ne serait mise en service au mieux qu’en 2024.

Y a-t-il un pilote dans l’avion Saclay ?

Plus grave, la Cour des comptes dénonce une absence de stratégie et de gouvernance d’ensemble du projet Saclay. Ses acteurs, qu’ils soient publics ou privés, sont en effet multiples : État, Fondation de coopération scientifique, COMUE, Étalissement public d’aménagement (EPAPS), collectivités territoriales, acteurs économiques. Acteurs dont les compétences, les périmètres, les moyens et parfois les intérêts sont différents. Si bien que « l’identification et le suivi de l’ensemble des fonds publics affectés à ce projet sont très difficiles. »

Si essentielles à la réussite de Saclay, les problématiques de transport ne font pourtant pas l’objet d’une instance commune qui permettrait de les aborder. Les projets immobiliers et l’IDEX (initiatives d’excellence) sont traités de manière parallèle par deux comités dont les membres sont pourtant communs. Quant aux entreprises, elles peinent à identifier les interlocuteurs adéquats lorsqu’elles envisagent de s’implanter, ce qui pose de sérieux freins au développement économique du plateau. Dans le viseur de la Cour des comptes : l’EPAPS qui, face au millefeuille local « n’a que très tardivement commencé à engager les actions nécessaires à la structuration du réseau et à la création de synergie entre les entreprises, les établissements d’enseignement, les organismes de recherche et leurs structures de valorisation. »

Financements lourds, gestion déficiente

La Cour des comptes rappelle aussi l’énorme effort financier consenti par l’État pour un montant global de 5,3 Md€. Encore que cette somme ne soit pas si évidente que cela tant « l’enchevêtrement des financements publics, gérés par des opérateurs différents, s’avère d’une rare complexité », dit la Cour. Poursuivant : « Bien que la direction du budget ait tenté d’établir un chiffrage global, aucun service n’est chargé de suivre l’ensemble des financements, de nature et d’origine diverses, si bien que l’exhaustivité du montant indiqué ci-dessus ne peut être assurée et qu’il est très difficile de faire régulièrement un point d’avancement. » Autrement dit, personne ne sait combien le projet Paris-Saclay va finalement coûter à l’État. Exemple : le coût des projets de l’École Centrale Paris, d’AgroParisTech et de l’Institut Mines Telecom qui est passé de 554 M€ à 648 M€ entre 2011 et 2016. Un dérapage ? Non, dit la cour, mais des omissions initiales.

Là encore, l’EPAPS serait fautif à n’avoir pas « mis en place les procédures nécessaires au contrôle de la gestion des crédits qui lui sont accordés. Et la Cour des comptes enfonce le clou : « D’une manière générale, la gestion de l’EPAPS n’est pas à la hauteur des enjeux et des risques du projet Paris Saclay, et l’établissement d’aménagement doit prendre les mesures nécessaires pour y remédier. »

Revoir la gouvernance

Pour éviter que ce projet annoncé comme un cluster de rang mondial ne tourne au fiasco, la Cour des comptes formule des recommandations, plutôt urgentes. Tout d’abord : désigner un responsable interministériel du projet afin de « garantir la cohérence des actions de l’État sur le site et la maîtrise de leur financement. » Elle rappelle à ce titre les propres recommandations du conseil de l’immobilier de l’État déjà énoncées en 2014 : « En choisissant une gouvernance par projet et en multipliant les structures de pilotage, les responsabilités ont été diluées et ont entraîné des retards importants dans les prises de décision. Un coordonnateur unique doit être désigné pour suivre l’ensemble des opérations, mobiliser les différents acteurs, faire respecter le calendrier et favoriser les prises de décisions rapides et cohérentes. »

La Cour demande aussi à l’État « d’établir une programmation prévisionnelle des financements correspondant aux besoins identifiés, afin d’en vérifier régulièrement la soutenabilité » et à l’EPAPS de se « doter d’une organisation et des outils de gestion lui permettant d’assurer l’exercice de ses missions de manière fiable et efficace et d’en rendre compte à son conseil d’administration ainsi qu’aux autorités de tutelle. »

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