Mis à jour le mercredi 5 avril 2023 by Olivier Delahaye
Un avant-projet du nouveau schéma directeur d’Île-de-France (SDRIF-E) a été transmis aux collectivités territoriales. Dans ses grandes lignes, il réaffirme la place de la nature dans une région polycentrique, veut densifier le réseau de transports et relancer l’industrie. Mais il ne pense pas l’enjeu du vieillissement, ne remet pas en cause l’emprise de la route et enjambe la question du logement social.
Ce 3 avril, la présidente de la Région Île-de-France, Valérie Pécresse, et le vice-président chargé du logement, de l’aménagement et du SDRIF-E, Jean-Philippe Dugoin-Clément, présentaient à la presse une version « 0 » du nouveau Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) à l’horizon 2040. Faisant suite au précédent SDRIF qui date de 2013, celui-ci, dorénavant appelé SDRIF-E (« E » pour Environnement), est en effet parvenu au mitant de son élaboration.
Ménager plutôt qu’aménager
« Région-monde », « région de toutes les excellences » ou encore « seule région globale de l’Union européenne » (depuis le Brexit), selon les mots de Valérie Pécresse, l’Île-de-France fait face pour la présidente à quatre défis majeurs : les fractures sociales et territoriales ; le changement climatique ; la réindustrialisation de son territoire (pour une plus grande autonomie) ; les nouvelles aspirations des Franciliens (notamment depuis la crise du Covid). Le SDRIF-E que ses équipes au Conseil régional, mais aussi l’Institut Paris Région ainsi que certains services de l’État, sont en train de concocter doit répondre à ces enjeux. Mais plutôt que de provoquer un grand chambardement, plutôt que d’aménager le territoire en le déménageant, la Région veut « ménager » en rebâtissant des équilibres.
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La « région des 20 minutes »
« L’hypermétropolisation a trouvé ses limites », nous dit Valérie Pécresse. La vision que doit porter le nouveau schéma est ainsi celle d’une région polycentrique (défendue aussi de son côté par la Métropole du Grand Paris lors de l’élaboration de son schéma de cohérence territoriale). Pas terriblement nouveau puisque l’affirmation du polycentrisme fut engagée dès le SDRIF de 1994.
Dans l’esprit de la Région aujourd’hui, cela veut dire définir 27 centralités et 112 polarités urbaines (voir carte ci-dessous). On y trouve Rambouillet, Cergy-Pontoise, Val d’Europe, Mantes, Saint-Denis, Évry… En quoi ces villes seront-elles plus « centrales » qu’aujourd’hui ? Réponse : parce qu’elles devront rapprocher logements, emplois, commerces et services, parce qu’elles auront davantage de droits à urbaniser en contrepartie de la création d’équipements, parce qu’elles encourageront un développement économique hors de Paris et bâtiront une « Région des 20 minutes » (en référence à la ville du quart d’heure chère à la mairie de Paris).

Trajectoire ZAN en pente très douce
Si cet avant-projet de SDRIF s’exprime par de nouvelles terminologies (connectivité, sobriété, autonomie…), il se base sur les mêmes grands piliers que d’habitude : environnement, économie, transports et logements.
En matière environnementale, la question sensible est celle de l’artificialisation des terres. L’Île-de-France est de loin la région française la plus artificialisée (22 %, selon l’Insee), mais aussi celle qui depuis 15 ans artificialise le moins vite (+0,7 % par an). Si le précédent SDRIF de 2013 autorisait une artificialisation nette de 1 315 ha par an, dans les faits, depuis 2012, celle-ci est de 590 ha par an. À ce titre, le nouveau SDRIF-E qui prévoit 560 ha par an n’est pas d’une ambition démesurée. La trajectoire ZAN (Zéro artificialisation nette pour 2050) semble donc ardue, d’autant – et la Région a raison de le préciser – pour une Île-de-France qui concentre 30 % du PIB français et 20 % de la population. La solution peut se trouver du côté de la sanctuarisation et de la renaturation. Le SDRIF-E a ainsi pour objectif de sacraliser 160 000 ha d’espaces de nature (dont la très symbolique partie sud du Triangle de Gonesse), de créer 111 nouveaux espaces verts ouverts au public, de conforter la création du cinquième PNR francilien et de mettre en place de nouvelles trames : noire pour lutter contre la pollution lumineuse, blanche pour lutter contre le bruit, verte et bleue pour les espaces naturels et les cours d’eau, brune pour la préservation des sols.
Souverainetés
Autre pilier du SDRIF-E : « l’autonomie productive ». Comment endiguer la désindustrialisation de l’Île-de-France (l’industrie représente 7,4 % de l’emploi régional) ? Deux formes de réponses. Quantitativement : réserver 28 000 ha à la souveraineté productive. Qualitativement : miser sur les filières d’avenir.
La question de l’autonomie vaut aussi pour l’agriculture. Le taux d’autonomie alimentaire de l’Île-de-France est de 19 % (plus faible taux régional de France métropolitaine). Le schéma directeur fixe des orientations : « sanctuariser 38 000 ha d’espaces agricoles dans les zones périurbaines de la ceinture verte où la pression foncière est forte » ; « créer des zones tampons de 5 mètres entre les nouveaux logements et les espaces agricoles pour assurer la cohabitation entre agriculture et habitants ».
Enfin, souveraineté énergétique aussi. La Région veut réduire sa dépendance aux énergies fossiles en créant « une réserve régionale de 2 000 ha pour les projets en lien avec la transition écologique et énergétique, et les transports » et en favorisant la production d’ENR décarbonées : biogaz, géothermie, chaleur fatale des datacenters, développement systématisé des panneaux photovoltaïques en toitures.
Une nouvelle ligne 19
L’un des grands sujets attendus lors de l’élaboration d’un SDRIF est souvent la question du transport public. Celui-ci n’y déroge pas. Pourtant, sur ces 10 dernières années on ne peut pas dire que la question n’a pas été traitée avec le lancement du Grand Paris Express, d’Eole ou de plusieurs lignes de tramways. Le SDRIF-E veut enfoncer le clou, notamment en matière de prolongements de lignes de métro (parfois déjà prévus) : la ligne 10 jusqu’à Ivry-sur-Seine, la ligne 1 jusqu’à Val-de-Fontenay, la ligne 14 jusqu’à Morangis, la ligne 7 jusqu’à Drancy. La ligne 18 du Grand Paris Express pourrait aussi être prolongée à l’Est et, cerise sur le gâteau, est annoncée une nouvelle ligne de métro qui porterait le numéro 19 et relierait Saint-Denis à La Défense par Argenteuil.
Autres pistes : développer le transport par câble et le fluvial. Côté mobilités douces, le projet essentiel consiste à mettre en service le réseau Vélo Île-de-France (le fameux RER V).

Une autre quête pour les 70 000
Sujet épineux s’il en est, le logement est vu ici du point de vue de la solidarité ; l’objectif étant avant tout de répondre au mal-logement. L’intention est louable. À plusieurs titres : l’Insee estime à 9,3 % la proportion de Franciliens mal logés ; le taux de vacance est de 6,7 %, en progression de +2,7 % par an ; le confinement de 2020 a rendu presque conflictuelle la relation de nombre de Franciliens avec leur lieu de vie ; et la construction de 70 000 logements par an voulue par la loi sur le Grand Paris de 2010 est inatteignable. Alors, si le SDRIF-E entend poursuivre cette quête des 70 000, il en a changé les termes : production plutôt que construction. Production veut dire rénover, transformer les bureaux en logements et encadrer les locations touristiques. Bâtir aussi (« le nombre de logements doit progresser de 13 % d’ici 2040 »), mais mieux : en pensant vie de quartier, espaces verts à 10 minutes, en utilisant des matériaux bio-sourcés et en prenant en compte la réversibilité des bâtiments.
Oublié, le logement social ?
Rien de très spectaculaire en somme, si ce n’est cette « norme anti-ghetto » : pas plus de 30 % de logements très sociaux par commune pour rétablir une « véritable mixité sociale par le haut ». Mais alors quid des nombreuses communes qui ne respectent pas la loi SRU ? Le 9 mars, la Fondation Abbé Pierre publiait un Manifeste pour dire son inquiétude face à la situation du logement social en Île-de-France : « Aujourd’hui en Île-de-France, plus de 780 000 ménages sont demandeurs d’un logement social (en augmentation de 100 000 demandes en 5 ans), représentant 32 % de la demande nationale. Seulement 1 demande de logement social sur 10 est satisfaite chaque année (…) Les schémas régionaux définissent la production du logement social pour les années à venir. Arrivant à terme, ces schémas doivent réaffirmer un objectif annuel ambitieux de production (entre 32 et 37 000 logements sociaux). Nous ne pouvons pas nous contenter d’objectifs au rabais. » En l’état, la version « 0 » du SDRIF-E ne donne aucun objectif chiffré, mais ne semble pas non plus faire du logement social une priorité.
La part des 60-75 ans et plus est passée de 16% à 20% entre 2001 et 2021
Faille démographique
Lorsque l’on produit un document d’urbanisme aussi conséquent que le SDRIF, l’évolution démographique est une donnée à ne pas perdre de vue. C’est ce que rappelle notamment l’Autorité environnementale à qui le Conseil régional a demandé conseil en vue de l’élaboration de ce SDRIF-E : « Les hypothèses démographiques qui ont sous-tendu le SDRIF de 2013 sont très éloignées des évolutions constatées. Or, les ouvertures à l’urbanisation et les objectifs de construction étaient calés sur les projections maximales. Une évaluation sincère des incidences du SDRIF-E nécessitera dès lors de prendre un scénario de référence fondé sur les évolutions démographiques constatées et non sur une projection infirmée par les dix dernières années. »
Pour l’heure, les concepteurs du SDRIF-E tablent sur une progression de 50 000 nouveaux Franciliens chaque année. Peut-on parier sur cette croissance alors que l’Insee fait état d’une baisse régulière de -1 % du nombre des naissances depuis 2010 et que le solde migratoire est déficitaire de -0,5 % par an ?
Plus encore, la nature de la démographie francilienne est en train de changer considérablement. Selon les chiffres de l’Insee, entre 2001 et 2021, la part des 0-19 ans dans la population francilienne est restée la même : 26 %. La région reste jeune, mais ne l’est pas plus. La part des 20-59 ans, elle, a baissé de 58 % à 54 % ; ce qui pose question sur la nécessaire main-d’œuvre pour réindustrialiser l’Île-de-France. Enfin, la part des 60-75 ans et plus est passée de 16 % à 20 % (+1 % pour les 75 ans et plus). Pour autant, l’enjeu du vieillissement de l’Île-de-France n’est pas traité dans cette version « 0 » du SDRIF-E. Ni d’ailleurs celui de la dépendance alors qu’un rapport de l’Observatoire régional de santé de 2017 faisait état d’un probable doublement du nombre de Franciliens de plus de 85 ans entre 2013 et 2040 (+ 295 000 personnes).
Rien sur la route
Autre sujet en déshérence dans ce SDRIF-E : le réseau routier. Tout au plus nous est-il annoncé des voies réservées pour les bus et le covoiturage, mais « sans réduire le nombre de voies ». Le document du Conseil régional transmis à la presse promet aussi de « rendre la route intelligente », sans que l’on sache vraiment ce que cela veut dire, et évoque bornes de recharge et stations multi-énergies. On pouvait attendre plus et mieux. Plus en ce qui concerne la lutte contre la pollution atmosphérique. Le dernier bilan d’Airparif pour l’année 2019 (avant le confinement) montre que le transport routier contribue pour 49 % aux émissions de NOx, pour 16 % aux émissions de PM10 et aux émissions de PM2.5 et pour 31 % aux émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre. Mieux parce qu’en 2019 la consultation internationale « Les Routes du futur du Grand Paris », menée par le Forum métropolitain du Grand Paris en collaboration avec l’APUR et l’Institut Paris Région, avait abouti à des propositions faites par quatre équipes pluridisciplinaires pour transformer le réseau viaire francilien et réduire son emprise foncière.
Ça ne fait que commencer
Au final, ce premier « draft » du SDRIF-E donne surtout le sentiment d’entériner les processus en cours. En ce qui concerne l’étalement urbain, l’objectif des 560 ha/an d’artificialisation des sols ne change quasiment rien à ce qui est en œuvre depuis 10 ans. Sur le logement, il sanctuarise le chiffre des 70 000 en modifiant en partie la nature de la production. Côté économie, il mise sur les filières d’avenir qui sont déjà un point fort francilien. Enfin, il poursuit la densification à l’œuvre des transports publics. L’on peut espérer qu’il se densifie lui-même et gagne en ambition durant les mois qui suivent, car son élaboration est encore longue. Entamée en 2021, sa révision devrait achever son parcours au début de l’année 2025 par un passage devant le Conseil d’État. Entretemps, l’avant-projet doit être remis aux collectivités en ce mois d’avril 2023. Un passage important si l’on en croit Valérie Pécresse puisque celle-ci tient à associer les maires dans une « dynamique collégiale » et veut un schéma directeur « pragmatique, qui entre dans le détail ». Une première version (V1) du projet sera ensuite soumise au vote des élus régionaux à l’été 2023. Puis : nouvelle concertation auprès des collectivités à l’automne, lancement de l’enquête publique au début de l’année 2024 et deuxième version (V2) du projet soumise au vote des élus régionaux à l’été 2024.