Mis à jour le lundi 3 août 2020 by Olivier Delahaye
Ce lundi, est inauguré le démonstrateur urbain Sense-City, à la Cité Descartes de Marne-la-Vallée. Juste derrière le nouvel immeuble Bienvenüe, siège de l’IFSTTAR, un espace expérimental doit accélérer la mise en orbite de la ville durable. Une « mini-ville communicante ».

Deux chalets en bois, une ligne droite goudronnée et un rond-point. Une maquette taille réelle qui prend l’aspect d’un parcours de sécurité routière pour enfants. 250 m2, 200 000 € d’équipements, et des capteurs. Surtout des capteurs. Une soixantaine aujourd’hui. Sense-City veut mesurer la ville, la convertir en données. Née en 2011, à la faveur de la première vague d’appel à projets des investissements d’avenir, Sense-City est d’abord un consortium réunissant plusieurs établissements scientifiques sous l’égide de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’ aménagement et des réseaux (IFSTTAR). Son projet ? La ville durable. Son concept ? Un lieu d’expérimentation qui articule recherche et application in vivo, favorisant les transferts de technologies, un manque français qui a donné lieu à toute une vague de création de clusters ces dernières années. En fait, Sense-City est ce qui se rapproche le plus d’un laboratoire dans la ville ou d’une ville dans un laboratoire.

La pollution concrétisée
« La qualité de l’air est-elle la même à hauteur d’adulte et à hauteur d’enfant ? On sait que non. La question est : peut-on le mesurer ? Et peut-on proposer des solutions ? », questionne Bérangère Lebental, coordinatrice de Sense-City pour l’IFSTTAR.
À l’heure où les particules fines pourrissent l’atmosphère métropolitaine et même l’atmosphère politique, l’une des priorités de recherche de Sense-City se situe bien là. À savoir, comprendre l’ensemble des phénomènes urbains et leurs interactions, faire coopérer tout un ensemble de capteurs mesurant la teneur en ozone, les poussières, l’humidité, les températures, collecter de gros volumes de données dans une perspective BIG DATA et fusionner ces données avec d’autres données publiques comme celles de Météo France. Savoir que Paris est pollué et que ce n’est pas bon pour la santé ne suffit pas.« On peut partir du principe que si on n’est pas dehors, on se fiche de savoir que l’air extérieur est pollué, explique Bérangère Lebental. Mais s’en fiche-t-on vraiment ou y a-t-il des transferts de pollution entre l’extérieur et l’intérieur d’un bâtiment ? Ce sont des choses qui aujourd’hui sont très mal contrôlées. En disposant d’une instrumentation complète de l’espace via un réseau de capteurs, cela devient concret. C’est ce que l’on veut. »
La boucle est bouclée
Pour concrétiser ce qui nous échappe, encore faut-il que les capteurs en question soient fiables et qu’ils mesurent ce qu’il faut vraiment mesurer. C’est ce à quoi s’attache aussi Sense-City. L’expérimentation dans la « mini-ville communicante » permet de tester, valider, reprogrammer et co-construire. Académiques, industriels et collectivités sont les trois cibles clients et les trois partenaires dans un cycle que l’on pourrait traduire ainsi : Sense-City permet d’abord aux scientifiques de valider ou non leurs modèles de laboratoire ; elle offre ensuite une période de test pour les industriels qui développent et finalisent des capteurs ; elle donne enfin à voir aux collectivités et aux fabricants de la ville comment ces capteurs peuvent s’intégrer dans leurs réseaux et les met en relation avec les industriels. La boucle est bouclée.
Elle peut même offrir à certaines technologies innovantes un moyen de prouver leur efficacité. Ainsi, le béton de chanvre que ses petits producteurs peinent à placer sur le marché. « Ils ont un problème de conformité avec la RT 2012 à cause de l’eau contenue dans ce type de béton, souligne Bérangère Lebental. L’eau est réputée détrimentale dans les matériaux de construction, alors qu’elle est un facteur positif dans le béton de chanvre. Notre objectif est, d’ici quelques mois, de remplacer l’un des chalets par un chalet en béton de chanvre et d’en mesurer les performances au quotidien en comparaison d’une isolation plus traditionnelle. »
À Sense-City…
Chaînon manquant entre le laboratoire et la ville, Sense-City fait figure aussi de passerelle temporelle entre la ville d’aujourd’hui et la ville de demain, celle qui nous renseignera sur à peu près tout, celle qui s’auto-diagnostiquera, détectera l’activité routière, régulera l’énergie des bâtiments ou gérera de manière sensible les infrastructures.

À Sense-City, on plonge donc des nanocapteurs dans le béton pour en détecter les micro-fissures et éviter d’intervenir plus tard, lorsque les fissures seront devenues des failles visibles qu’il coûte cher à réparer.
À Sense-City, on mesure le comportement énergétique du bâtiment en temps réel, croisant les données, avec comme champ d’application le diagnostic préalable à des travaux de rénovation ou la vérification de performances après travaux.
À Sense-City, on observe aussi – et c’est plus étonnant – les interactions entre cyclistes et piétons, relations encore mal connues mais qui doivent être mieux appréhender pour un partage plus serein de la voirie.
À Sense-City, enfin, on étudie de près la route intelligente, l’une des grandes préoccupations de l’IFSTTAR. On truffe donc sa petite route de capteurs avant de passer, au printemps 2017, à un projet plus conséquent : une expérimentation grandeur réelle sur la RD 199, à Champs-sur-Marne.
« La recherche au rabais ne marche pas »
Chose assez étonnante, sur tout un ensemble d’expérimentations, les chercheurs s’attendent à avoir des résultats rapides. Pour Frédéric Bourquin, directeur du laboratoire Cosys à l’IFSTTAR, « on le doit à un travail en amont mené depuis plusieurs années et qui trouve son accélération aujourd’hui avec la mini-ville ». Selon Bérangère Lebental, Sense-City est aussi un projet extrêmement motivant : « Les chercheurs sont très heureux d’avoir un espace comme celui-ci et de pouvoir sortir de leurs labos. L’autre élément est qu’il y a un vrai support financier. Quand on a de l’argent et un tel espace pour faire en sorte que les expériences avancent, les chercheurs sont plus motivés. La recherche au rabais ne marche pas, la recherche où on a de l’argent, oui. »