S’occuper du cerveau pour mieux construire les gares du Grand Paris Express

Etudes pour le Grand Paris Express - Crédit : Sensual City Studio

Mis à jour le vendredi 28 janvier 2022 by Olivier Delahaye

Chef d’orchestre de la réalisation des futures gares du Grand Paris, Jacques Ferrier a pu échanger avec des chercheurs d’EDF étudiant l’organisation spatiale des bâtiments. Des points de convergence sont apparus sur la nécessité de prendre en compte l’intuitivité pour aider à l’orientation dans les gares.

En correspondance dans la vaste salle d’échanges de la station de métro Châtelet-Les Halles, on a souvent l’impression de ne pas prendre le chemin le plus court pour aller d’un point A à un point B. Cet espace que l’on a surnommé le « flipper » tant il donne l’impression que les voyageurs se cognent aux multiples colonnes signalétiques pour rebondir sans but et trouver de façon presque surprenante leur destination est sans doute le meilleur contre exemple de ce que souhaite faire l’architecte Jacques Ferrier (1) avec les gares du Grand Paris Express. Choisi en 2012 par la Société du Grand Paris pour créer l’identité de ces gares, il en a défini le concept : « la gare sensuelle ». Une formule pour certains, mais un principe qui colle bien avec ce que l’on sait du cerveau et des capacités qu’il met en œuvre pour s’orienter.

Le rêve d’une gare sans fléchage

« En termes de pratique des espaces complexes, le cerveau humain a peu d’années de vol, explique Guillaume Thibault, chercheur senior à EDF R&D et directeur de recherches associé au laboratoire de Physiologie de la Perception et de l’Action du CNRS. La maison à deux étages, par exemple, date de quelques milliers d’années. » Un temps ridicule comparé aux millions d’autres qui ont façonné notre cerveau. Celui-ci possède encore des principes cognitifs solidement ancrés par une vie habituée à la savane ou à la forêt.

« Deux principes émergent particulièrement : voir loin, avoir une diversité de formes autour de soi. Dans la nature, peu de choses se ressemblent », nous dit Guillaume Thibault. Excepté peut-être dans la forêt des Landes, érigée par l’homme, et dans laquelle on se perd abondamment. Mais c’est un autre sujet…

Au sein d’espaces bâtis, organisés sur plusieurs étages, avec des murs partout, des couloirs qui ressemblent à d’autres couloirs, des ascenseurs qui ressemblent à d’autres ascenseurs, des symétries… le cerveau humain est assez malheureux. Cela explique le stress que l’on subit dans l’échangeur de Châtelet-Les Halles, stress amplifié par l’incroyable profusion d’humains en transit (750 000 voyageurs par jour dans la gare). « Les colonnes de signalisation s’y ressemblent toutes, les gens avancent le nez vissé sur ces panneaux avec l’impression finalement qu’ils les aident juste à en faire le tour, sourit Jacques Ferrier. On n’y trouve pas de repères spatiaux, événementiels, que l’on peut voir de loin. »

La salle d'échanges Châtelet-Les Halles et ses poteaux indicateurs
La salle d’échanges Châtelet-Les Halles et ses poteaux indicateurs
Projet de réaménagement de la salle d'échanges Châtelet-Les Halles
Projet de réaménagement de la salle d’échanges Châtelet-Les Halles

La gare est effectivement un espace complexe, public de surcroit. Les équipes de Jacques Ferrier et de Guillaume Thibault ont pu se rencontrer et échanger sur ce thème.

« La collaboration a été extrêmement intéressante, selon l’architecte, et elle a confirmé nos hypothèses que l’on pouvait suppléer au tout signalétique par le ressenti des espaces, qu’en concevant des lieux qui correspondent mieux à la façon dont fonctionne notre cerveau, on s’orientait plus aisément. D’ordinaire, on ne s’occupe pas de ça : on bâti l’endroit et ensuite on place des panneaux et des flèches un peu partout. Notre rêve à nous serait celui d’une gare d’une lisibilité telle que l’on n’ait pas besoin de flécher les parcours. »

« Le truc rose fluo, je sais où il est »

Le cerveau aime les perspectives lointaines et les variations. « Prenez deux couloirs placés à 90° mais identiques, vous pouvez être sûr que les gens vont se tromper une fois sur deux, explique Guillaume Thibault. Le cerveau se met en alerte dès qu’il y a bifurcation, dès que vous devez décider d’aller devant, à droite ou à gauche. Pour aider à cette décision, il faut placer des indices pertinents et que ces indices puissent s’ancrer afin de faciliter les processus de mémorisation. Cela peut passer par des couleurs ou des objets. Par exemple, il y a telle bifurcation, et à cet endroit, un machin bizaroïde rose fluo, si bien que tout le monde peut se dire : le truc rose fluo, je sais où il est. Le cerveau aime beaucoup ce genre de choses. »

Le gendarme à NY 1
Le gendarme à NY 3
Dans "Le gendarme à New York", Louis de Funès et ses gendarmes se perdaient dans les couloirs d'un paquebot, autre lieu sans perspectives, où tout se ressemble.
Dans « Le gendarme à New York », Louis de Funès et ses gendarmes se perdaient dans les couloirs d’un paquebot, autre lieu sans perspectives, où tout se ressemble.

Une gare, c’est un dédale de bifurcations et de choix à faire pour sortir dans telle rue ou prendre telle correspondance. Un lieu aussi illisible que la gare multimodale de La Défense a obligé la RATP à y installer, il y a trois ans, une table d’orientation digitale pour aider à la recherche d’itinéraires et faciliter l’accès à la ville. La technologie est d’un grand secours, certes, mais des lieux publics mieux pensés peuvent être beaucoup plus efficaces. C’est en tout cas le choix de Jacques Ferrier et de ses équipes :

« Voir loin et rythmer le parcours ont vraiment été des points de convergence entre nos études et ce qu’ont pu nous expliquer les chercheurs d’EDF. Voir loin, cela implique de décloisonner les espaces, ce qui est un vrai défi pour les architectes et les ingénieurs structures qui vont devoir construire des gares à 20 ou 50 m de profondeur (la station de métro parisienne la plus profonde est Abbesses à 36 m sous le sol, NDLR). Rythmer les parcours, cela veut dire susciter l’attention, concevoir des repères familiers qui simplifient les voyages quotidiens. Une astuce peut être de créer un puits de lumière naturelle qui marquera l’endroit où vous devez tourner pour prendre votre train, par exemple. »

Cela rejoint évidemment les principes de Jacques Ferrier sur la création d’une identité architecturale basée sur les sens. Les sens mènent à l’essence, dit-on au yoga. Ici, ils fonctionnent pour rendre le plus intuitif possible le parcours dans les gares du Grand Paris Express et contribuer à un sentiment de bien être familier. S’en préoccuper, concevoir la gare de demain, c’est donc aussi s’occuper de notre cerveau et de ses couches qui s’agrègent depuis quelques millions d’années.

(1) L’interview in extenso de Jacques Ferrier est à lire ici.

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