Mis à jour le mercredi 29 décembre 2021 by Olivier Delahaye
DOCUMENT. L’Agence régionale de la biodiversité publie les résultats d’une longue enquête menée en hauteur, sur les toitures végétalisées du Grand Paris. Les toits végétaux, oui, mais pas n’importe comment, pourrait-on dire.
La Région Île-de-France subventionne les toitures végétalisées à hauteur de 20 euros par mètre carré. La Ville de Paris veut végétaliser 100 hectares de toits, murs et façades. Selon le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), on installe 200 000 mètres carrés de toiture végétalisée en France chaque année. Ça plante sur les hauteurs, mais on ne sait pas très bien si cela a du sens. Solution pour la biodiversité, pour la rétention d’eau, les ilots de chaleur ? Greenwashing ?
Quand GROOVES compte les espèces
L’Agence régionale de la biodiversité (ARB) a mené l’enquête. Durant trois ans. Avec de nombreux partenaires. Elle lui a donné un petit nom : GROOVES. Rien à voir avec le groove d’Earth Wind & Fire. Ici c’est pour Green ROOfs Verified Ecosystem Services ou « Évaluation des services écosystémiques des toits végétalisés ». Moins funky. Trente-six toitures du Grand Paris ont été étudiées, de différentes typologies, de différentes hauteurs. La plupart de ces toitures sont inaccessibles au grand public, mais les équipes de l’ARB et ses partenaires ont pu y grimper pour y observer d’abord la flore et la faune.
Qu’est-ce qui vit alors sur les toits du Grand Paris ? Quatre cents espèces de plantes, dont 70 % sont spontanées (donc non plantées initialement). Des espèces fréquentes, genre les orpins, particulièrement résistants, mais aussi des plus rares comme l’ornithope comprimé, une jolie herbacée à petite fleur jaune. Côté faune, ils ont dénombré 611 espèces. Cloportes, mille-pattes, criquets, punaises. Surtout des insectes, bien sûr. Mais du coup aussi ceux qui mangent les insectes : araignées, coléoptères, hyménoptères…
« Toiturophiles », « toiturophobes »
Soit une biodiversité sensiblement identique à celle que l’on trouve dans les friches et les parcs urbains. Avec des différences qu’il convient de noter : les toitures intensives ou semi-intensives dont le substrat est plus profond présentent une biodiversité plus riche, tant en espèces végétales qu’animales. Ce ci étant, les extensives (substrat peu profond et donc plus faciles d’entretien) ne sont pas inintéressantes puisqu’elles abritent « des assemblages originaux d’espèces de pelouses sèches sableuses, et de plantes d’origine méditerranéenne, continentale ou nord-américaine ».Ainsi, au sein de la biodiversité des toitures, on trouve plusieurs biodiversités. L’ARB a même été jusqu’à différencier les « toiturophiles » des « toiturophobes » et des « généralistes ». Les premières préfèrent les toits au sol (comme le thomise rayé, une petite araignée-crabe dévoreuse d’insectes) ; pour les deuxièmes c’est le contraire (genre le pisaure admirable, une autre araignée qui poursuit ses proies à la course) et les troisièmes aiment tout (comme la punaise verte, effectivement courante, mais qu’on n’aime pas voir sur ses pommiers).
Les toitures rafraichissent les toitures
Au final, une biodiversité intéressante sur un milieu particulièrement contraint, mais dont il faut noter qu’elle ne s’enrichit plus au-delà de 10 mètres de haut. Pour le reste des effets de ces toits, c’est moins probant. Qu’en est-il ainsi de la rétention d’eau ? GROOVES confirme l’intuition que plus le substrat de la toiture végétalisée est épais (de type terre agricole), plus la rétention est importante. Un élément à prendre en compte dans le cadre des stratégies d’adaptation au changement climatique, notamment pour gérer les eaux pluviales. L’épaisseur du substrat a aussi son importance en matière de rafraichissement urbain : l’évapotranspiration y semble plus importante. Ceci dit, il n’y a guère de motif de satisfaction sur cette question : les toitures végétalisées rafraichissent surtout… les toitures végétalisées. À l’échelle de la ville, « leur contribution est minime ».
Caution verte
L’étude se montre aussi très critique sur les modes de conception de ces toitures, dont la plupart s’appuient sur « de nombreux composants artificiels (bacs plastiques géotextiles, membranes ou feutres non biodégradables, filets en plastique, systèmes d’arrosage intégrés…) » et sur des logiques industrielles pour conditionner les végétaux. Pas formidables non plus : le mode de production des sols de ces toitures, pour certains issus de sols décapés de terres fertiles. Dès lors, leur empreinte écologique véritable pose question. En revanche, si l’on s’ingénie à les créer avec des substrats de récupération, comme les terres excavées des chantiers (et le Grand Paris n’en manque pas), alors pourquoi pas. Et si en plus, on fait preuve d’un certain « génie écologique » pour les créer, les diversifier et les gérer (avec la création de micros habitats pour favoriser l’accueil des pollinisateurs, par exemple)…
Et les auteurs de l’étude de conclure que si les toits végétaux peuvent servir d’habitat de substitution aux espèces, elles ne sauraient servir de caution verte pour mener des politiques d’aménagement qui artificialisent les sols.
L’étude complète est à lire ici.