Mis à jour le jeudi 12 mai 2022 by Olivier Delahaye
Très prochainement doit s’ouvrir une procédure de PPVE concernant le réaménagement du site de la tour Eiffel. Jusqu’ici plutôt confidentiel malgré la dimension de ce haut-lieu parisien, le projet avait passé sans encombre une première phase de concertation publique avant que l’Autorité environnementale n’émette un avis plutôt critique.

« Le contenu du projet est incomplet ». L’avis de l’Autorité environnementale (AE) adopté le 10 mars dernier n’est pas tendre avec le réaménagement prévu du site de la tour Eiffel concocté par la Ville de Paris. Visuellement, le projet est superbe. Pourtant, pas moins de vingt-deux recommandations émaillent le rapport de l’AE. Sont signalés : paradoxes, incohérences, insuffisances, flous, inexactitudes… À se demander si le dossier que l’AE a eu entre les mains était le bon.
Plan Climat et JO
Le projet est né en 2017, lorsque la Société d’Exploitation de la Tour Eiffel (SETE) signe avec la Ville de Paris une nouvelle convention de délégation de service public pour la modernisation et l’exploitation de la tour Eiffel sur quinze ans. Au même moment, suite aux attentats qui ont endeuillé la capitale, le Conseil de Paris approuve la réalisation d’une opération de sécurisation du parvis de la tour Eiffel, consistant en une clôture de verre et d’acier qui sera achevée à l’hiver 2018. Au même moment encore, est adoptée par le Conseil la première mouture d’un nouveau Plan Climat qui a pour ambition de faire de Paris une capitale neutre en carbone et entièrement convertie aux énergies renouvelables d’ici 2050. Au même moment enfin, Paris est désignée pour être la ville hôte des Jeux olympiques de 2024 et le site de la tour Eiffel doit accueillir plusieurs épreuves sportives. De nouveaux enjeux semblent donc se dessiner pour l’un des lieux les plus célèbres au monde, emblématique de Paris, sa signature internationale ; enjeux qui conduisent la Ville de Paris à vouloir le repenser.
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« OnE Site »
Guidée par son Plan Climat et avec pour horizon 2024, la mairie phosphore alors sur quelques études. Son préalable est clair et sans contestation : l’endroit qui reçoit 20 millions de visiteurs par an s’est dégradé. Attractif pour les touristes, il est devenu répulsif pour les Parisiens. Les continuités urbaines sont rendues difficiles. Du Trocadéro à l’École Militaire, ses 54 hectares sont morcelés et fonctionnent comme un archipel plutôt que comme un ensemble. Sa dimension paysagère a perdu de son potentiel. Suite aux premières études, la Ville lance un appel à projets sous forme de dialogue compétitif entre quatre équipes internationales au terme duquel est choisi, en 2019, le projet « OnE Site », porté par le cabinet Gustafson Porter + Bowman. Celui-ci s’appuie sur une idée forte : « unifier le site afin d’en révéler la force et la cohésion ». Et sur une vision : le transformer en une grande promenade piétonne et végétalisée que les Parisiens pourraient se réapproprier. Du local au global, le projet est donc à plusieurs niveaux et doit savoir tout autant retisser un lien avec les Parisiens que posséder un retentissement international. Il doit aussi s’inscrire dans l’Histoire du site tout en lui apposant l’empreinte de notre époque.
Rendez-vous manqué
Très vite, une concertation publique est organisée sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). Et l’on se dit qu’une telle concertation pour un projet visant à transformer un site classé au patrimoine de l’UNESCO, truffé de monuments historiques, porte les germes d’un véritable champ de mines. Que nenni. Les débats sont apaisés. Le garant de la CNDP écrit dans sa conclusion : « La concertation a traduit un accueil plutôt favorable du public sur le principe du projet : celui-ci a été compris comme une réponse à une situation jugée peu satisfaisante, tant par les visiteurs que par les riverains dans leur majorité (…) Le parti pris du projet de faire de ce site un “poumon vert“ et de favoriser la circulation piétonne a également rencontré l’adhésion de nombreux participants. » Le hic, c’est que, hormis les riverains du 16earrondissement, la concertation a peu mobilisé, au point où le garant parle de « rendez-vous manqué avec les Parisiens ».
En cause : un manque de communication, un manque de polémique peut-être aussi et un désintérêt des Parisiens pour un site vu uniquement comme touristique. En cause aussi : un calendrier furtif. Entre le résultat du dialogue compétitif et la concertation, la Ville de Paris y est allée au pas de charge, empêchant finalement les Parisiens d’avoir le temps de s’approprier le projet. Un paradoxe. Et première ombre au tableau d’un projet jusque là mené en douceur.
Budget : explosion et flou artistique
Un an plus tard, un autre émerge. De taille. Lors du Conseil de Paris du 17 novembre 2020, le Premier adjoint à la Maire de Paris, Emmanuel Grégoire, présente le bilan annuel de l’avancement de l’opération et annonce son coût global et définitif : 107 millions d’euros. Un an plus tôt, le dossier de presse du projet présentait un budget de 72 millions d’euros. Soit un dérapage de 50 % expliqué par M. Grégoire par « un niveau de contraintes et de complexités approfondi par les études techniques depuis un an ». Si l’on peut aisément croire le Premier adjoint, on se demande pourquoi le rapport de la CNDP faisait état en 2019 d’un coût de 40 millions d’euros. On se demande aussi pourquoi l’avis de l’Autorité environnementale (AE) du 11 mars 2021 écrit par rapport au dossier qui lui a été transmis : « Le coût du projet n’est pas indiqué. » Et pourquoi au moment d’instruire leur avis, les rapporteurs de l’AE ont eu comme information de la part de la Ville de Paris : 60 millions d’euros. Misons sur des problèmes de communication.
Pour les JO, sans les JO
La troisième ombre au tableau c’est justement l’avis de l’AE. Une grosse ombre. En fait, une multitude d’ombres. Commençons par un nouveau paradoxe. Le projet « OnE Site » prône l’unification du site tout en phasant sa conception : jusqu’aux JO 2024, il est parfaitement décrit, mais pour la phase post-JO, qui doit ingérer « en particulier l’ensemble du Champ-de-Mars, les options de la Ville de Paris ne sont pas encore définies », écrit l’AE. En bref : en 2024 on sait ce qu’il y aura, après on n’est pas sûr. Un paradoxe qui en cache un autre puisque l’AE note que le « le dossier met bien en évidence les incidences négatives passées d’une gestion “au fil de l’eau“ ». Pire : « L’absence de plan de gestion du (ou des) site(s) a été confirmée oralement aux rapporteurs, ce qui surprend pour un site de renommée mondiale », poursuit l’AE.
Nous voilà donc avec un projet qui veut unifier sans prévoir l’unification dans le temps tout en déplorant que la gestion antérieure du site ait été victime d’un manque de planification, mais en assumant le fait qu’aucune gestion ultérieure ne soit prévue !
Et l’AE d’aller encore plus loin dans l’incohérence du projet. Dans son dossier, la Ville de Paris fait en effet aussi le constat « d’une dégradation du site notamment liée aux nombreuses manifestations qui s’y tiennent tout au long de l’année (il suffit de lire les rapports annuels de la SETE pour s’en rendre compte, NDLR) ». Pour autant, elle s’affranchit totalement des incidences que pourrait avoir un événement aussi immense que les JO. C’est même la faute originelle du dossier selon l’AE qui le répète à l’envie dans son rapport : il faut INTÉGRER les JO et leur impact dans le devenir du site.
Manque de Seine
Du Trocadéro à l’École militaire, le vaste ensemble paysager et monumental du site Tour Eiffel traverse ostensiblement la Seine par le pont d’Iéna. Le projet OnE Site fait de celui-ci son axe majeur en le végétalisant et en le rendant aux piétons. Apaisé, voici le pont faire une transition de verdure entre les jardins du Trocadéro et le Champ-de-Mars. Jusque là tout va bien. Sauf qu’il manque quelque chose : la Seine. Ce que ne manque pas, en revanche, de critiquer l’AE : « Contrairement aux intentions affichées, la Seine en est également absente (du projet) (…) L’absence d’analyse à un niveau proportionné du grand paysage et du bien UNESCO révèle la non prise en compte de la Seine dans la construction du projet, qui se focalise avant tout sur l’unité de l’axe central. »
Pourquoi « OnE Site » fait-il si peu cas de la Seine ? Est-ce parce que la Ville de Paris a eu son compte de combats face au lobby automobile concernant la piétonnisation des berges de Seine ? Est-ce parce que le dédale routier à cet endroit et la hauteur des quais complexifient l’intégration du fleuve ?
Insuffisances environnementales
Toujours est-il que cette absence est aussi révélatrice d’un manque général d’ambition environnementale, selon l’AE, qui pointe d’autres insuffisances comme la gestion des eaux pluviales pour laquelle le projet ne prévoit rien, ce qui « n’est pas à la hauteur des enjeux identifiés ni de l’ambition du projet ». Pas de production d’énergie renouvelable prévue non plus, tout simplement parce que le projet en l’état ne comporte pas d’évaluation des émissions de gaz à effet de serre, ce qui « conduit à l’absence de mesure d’évitement ». Plus embêtant : alors que le dossier présenté à l’AE présente la trajectoire à l’horizon 2030 du Plan Climat de la Ville de Paris, son étude d’impact « ne démontre pas de quelle façon le projet en respecte les objectifs ».
Enfin, il y a la question de la végétalisation du site qui se veut être un des points forts du projet et sur laquelle l’AE s’avère plutôt déçue : « Le dossier ne précise ni les essences ni la valeur patrimoniale des arbres détruits (…) L’augmentation du nombre d’arbres plantés est très modeste (…) Les aménagements et l’augmentation de la fréquentation pourraient accroitre la pression sur la végétation existante (…) Une grande partie des nouveaux espaces verts sont en réalité des pelouses techniques du tapis vert qui contribueront peu à la résilience du site vis-à-vis du changement climatique. »
Si bien que face aux ambitions affichées par le projet — « un site durable, résilient, à la gestion exemplaire (…) qui devient en majorité végétal et piéton » — l’AE répond qu’il « semble privilégier la restitution à un état antérieur » et qu’il « ne paraît pas beaucoup mieux adapté aux facteurs de dégradation du site par rapport à la situation actuelle ».
PPVE
L’avis de l’Autorité environnementale a provoqué quelques remous, permettant à plusieurs associations de riverains (Les amis du Champ-de-Mars, Passy-Seine) de se remobiliser face au projet alors que le groupe Écologiste déposait un vœu lors du Conseil de Paris du mois d’avril portant sur sa révision (adopté avec un avis défavorable de l’Exécutif). Durant ce mois de mai doit s’ouvrir une dernière étape de concertation : une Participation du public par voie électronique (PPVE), qui pourrait être moins consensuelle que la consultation de 2019.