Mis à jour le dimanche 19 février 2023 by Olivier Delahaye
Entretien croisé avec Gaël Hilleret et Romain Sibille, de la CNSA.
INTERVIEW. Au mois d’avril, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) publiait une analyse statistique des prix en EHPAD en 2019. Analyse qui montrait de fortes disparités à l’échelle nationale et révélait des prix particulièrement élevés au sein du Grand Paris. Gaël Hilleret, directeur des établissements et services médico-sociaux à la CNSA, et Romain Sibille, chef du pôle allocation budgétaire, reviennent sur ce travail.
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Quels sont les grands enseignements de votre étude concernant la région parisienne ?
Romain Sibille
Ce que l’on peut dire d’abord c’est que les prix des EHPAD en Île-de-France sont globalement supérieurs à la moyenne nationale qui s’établit autour de 2 000 euros par mois. L’autre spécificité de cette région concerne les disparités entre les départements. Que ce soit en termes d’équipement ou de prix, Paris est assez différent de la petite couronne qui est elle-même assez différente de la grande couronne. Une des conséquences est que ces disparités entraînent des mouvements de population lors de l’entrée en EHPAD au sein de la région, tout au moins c’est l’hypothèse que l’on fait. Et ces mouvements infrarégionaux sont une autre caractéristique de l’Île-de-France.
Gaël Hilleret
À l’exception de territoires ultramarins, Paris et la petite couronne ressortent vraiment comme étant les territoires ayant les prix d’hébergement en EHPAD les plus élevés. Ce que notre étude met en évidence, c’est une corrélation très forte entre ces prix et les prix de l’immobilier. C’est un résultat qui vient confirmer quelque chose d’intuitif sur les déterminants des tarifs des EHPAD, mais cela n’en reste pas moins une préoccupation majeure pour les personnes concernées et pour les politiques publiques de l’autonomie.
Aviez-vous déjà remarqué cette tarification élevée en Île-de-France ?
Gaël Hilleret
Effectivement ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est cette corrélation avec le prix de l’immobilier, ce qui permet de relativiser certains éléments comme l’impact des politiques publiques et les origines des disparités.
Romain Sibille
L’autre nouveauté par rapport à nos précédents travaux, c’est le niveau d’analyse. Nous l’avons menée au niveau infradépartemental pour mettre en évidence des écarts de prix conséquents entre certaines métropoles et leur périphérie. Cela concerne Paris, mais aussi des villes comme Nice, Orléans ou Toulouse. En revanche, à Rennes, Strasbourg ou Lille, les différences sont moins marquées.
Comment expliquer qu’il y ait si peu d’établissements habilités à l’ASH en Île-de-France ?
Romain Sibille
D’abord, il faut distinguer Paris des autres départements franciliens, notamment ceux de la grande couronne où les situations sont différentes. Il y a des raisons historiques à cela : dans les régions où les prix de l’immobilier sont élevés, où l’on observe une attractivité économique forte, le secteur privé commercial est généralement plus présent et ce sont des établissements qui réservent peu de places habilitées à l’aide sociale. Le prix du foncier est tel qu’il rend plus difficile l’installation de places habilitées sur ces territoires.
Gaël Hilleret
Il faut aussi relativiser cette moindre présence. Partout en France, le nombre de places habilitées à l’aide sociale est très supérieur au nombre de bénéficiaires. C’est le cas aussi dans le Grand Paris.
Existe-t-il un moyen de faire baisser les prix en Île-de-France ? Les pouvoirs publics ont-ils un moyen d’action ?
Romain Sibille
En petite couronne, les contraintes sur les prix et sur la capacité à créer de nouvelles structures sont fortes, toutefois, l’avantage en Île-de-France est que les distances au sein de la région sont relativement faibles ; il est donc possible de créer des établissements dans les départements de grande couronne sans que cela éloigne trop les résidents de leurs familles.
Au-delà, il y a un travail à poursuivre au niveau des politiques nationales pour renforcer tous les dispositifs permettant le maintien à domicile, une transformation de l’offre qui peut être facilitée dans les métropoles grâce à un marché de l’emploi plus dynamique.
Gaël Hilleret
Par ailleurs, la CNSA verse, par l’intermédiaire des Agences régionales de santé, des aides à l’investissement aux EHPAD. Ces aides subventionnent des travaux soit de construction soit, plus couramment, de rénovation. Elles permettent de modérer le prix de journée et ont, du coup, un impact sur le reste à charge pour les résidents. Ces budgets d’investissement ont été fortement augmentés par le Ségur de la santé l’année dernière. La CNSA pilote ainsi un plan d’investissement massif de 1,5 milliard d’euros pour la période 2021-2024.
Il y a 716 EHPAD en Île-de-France (chiffres ORS 2020), très inégalement répartis sur le territoire. Comment expliquer par exemple que la Seine-Saint-Denis n’en compte que 66 et les Hauts-de-Seine 111 ?
Romain Sibille
Plutôt que de raisonner en valeur absolue, nous avons l’habitude de raisonner en termes de taux d’équipement, c’est-à-dire en nombre de places pour 1000 habitants de plus de 75 ans. C’est plus représentatif du rapport entre les besoins et l’offre disponible. Il n’empêche qu’effectivement, Paris, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne possèdent les taux d’équipement les plus faibles de la région alors que les Hauts-de-Seine, l’Essonne et la Seine-et-Marne sont au-dessus de la moyenne. Cela peut s’expliquer de plusieurs manières : le prix du foncier, la possibilité de construire, mais aussi les choix de certains groupes privés. Pour la Seine-Saint-Denis, on peut y ajouter le fait qu’il s’agit d’un département dont la démographie est jeune. Et concernant le cas spécifique des Hauts-de-Seine, le taux élevé d’équipements est lié à l’installation de nombreux établissements privés.
Observe-t-on déjà une tension en termes d’équipements en Île-de-France ?
Gaël Hilleret
Partout en France, les taux d’occupation sont très élevés. Avant la crise sanitaire, on était sur une moyenne de 95 % de taux d’occupation. Si on considère la moyenne de séjour en EHPAD, qui n’est pas très élevée, cela montre que pour un gestionnaire d’établissement, l’équilibre entre l’offre et la demande penchait clairement de son côté. C’est encore plus vrai au sein de la métropole parisienne pour les raisons que l’on vient d’évoquer et cela crée une vraie problématique pour les familles qui veulent trouver un endroit proche du lieu où la personne a passé sa vie. C’est un critère de choix souvent aussi important que le prix ou la qualité de service.
Que change la crise sanitaire ?
Gaël Hilleret
C’est un peu tôt pour le dire. Le fait est que les EHPAD ont connu un choc dramatique majeur, avec conséquemment une forte baisse de leur taux d’occupation, à laquelle on peut ajouter un retard sur le nombre d’entrées du fait des circonstances. Comment les choses vont-elles se passer dans les prochaines années, en sachant qu’on peut s’attendre à de fortes évolutions des attentes des familles ? On ne sait pas mesurer à quel point les impacts seront profonds et durables. D’autre part, la crise sanitaire a conduit les établissements à développer de nouvelles capacités, de nouvelles coopérations avec les acteurs de leurs territoires et à repositionner leur offre. Enfin, on est aussi dans le mouvement long d’une transition démographique profonde avec l’arrivée massive à un âge élevé de la génération du baby-boom.
Romain Sibille
La réflexion sur la transformation de l’offre était initiée bien avant la crise, mais elle s’est brutalement accélérée, notamment concernant les aspirations des personnes à rester à leur domicile, et donc sur la mise en place de dispositifs garantissant la sécurité et sur l’accès à un accompagnement à des coûts raisonnables. De nombreuses expérimentations se développent, comme ce que l’on appelle les « EHPAD hors les murs » avec le recours aux nouvelles technologies (télésurveillance, téléconsultation, etc.) et une coordination renforcée des intervenants.
Vous évoquez la transition démographique. Quelles sont les pistes pour y faire face ?
Gaël Hilleret
Pour faire face à la multiplicité des souhaits, des besoins, mais aussi des réalités, il faut un continuum de solutions. Pour les EHPAD, il y a deux enjeux majeurs. D’une part, progresser en termes de médicalisation, car on le voit, d’année en année, les personnes accueillies sont moins en moins autonomes et présentes davantage de pathologies. D’autre part, la très grande majorité des personnes souhaitent vieillir à leur domicile. Cela veut dire que les établissements doivent travailler sur le sentiment domiciliaire ; ce qui passe par un audit complet de tous les aspects de l’EHPAD, comment il est conçu, quelles sont les pratiques métiers des intervenants, etc.
Par ailleurs, il se développe des solutions alternatives, comme l’habitat intermédiaire, les résidences autonomie ou l’habitat inclusif, qui sont évoquées dans le dernier rapport Broussy. Et enfin, bien sûr, le maintien à domicile qui a besoin de se renforcer. C’est en progressant sur tous ces aspects que l’on pourra apporter des solutions, surtout pour une métropole comme celle du Grand Paris qui connaît un déficit de structures et où la dynamique du vieillissement de la population est très prononcée.