Mis à jour le jeudi 3 février 2022 by Olivier Delahaye
La crise sanitaire et l’extrême situation d’urgence dans laquelle se trouve la mise en œuvre des ouvrages olympiques compliquent les procédures de concertation citoyenne. Le débat public portant sur le Village olympique en a fait les frais.
La Commission nationale du débat public (CNDP) vient de publier sa synthèse du débat public sur le projet de Village olympique qui s’est tenu durant l’été. Placé sous l’égide de la Préfecture de Seine–Saint-Denis, en tant qu’autorité organisatrice, il avait pour objet la délivrance du permis d’aménager les espaces publics, dernière phase de concertation avant le début des travaux. Dans leur synthèse, les garants de la CNDP relèvent un certain nombre de défaillances qui ont nui au débat.
Concertations à gogo
En période de crise sanitaire, la tenue d’un débat public devient, il est vrai, presque une gageure qui a conduit la CNDP à le mener dans le cadre d’une PPVE (Participation du public par voie électronique).
De son côté, la Société de Livraison Des Ouvrages Olympiques (SOLIDEO), qui assure la maîtrise d’ouvrage directe des équipements et aménagements de la ZAC « Village Olympique et Paralympique », doit faire face à un calendrier extrêmement serré en devant livrer un quartier sur 42 hectares d’ici trois ans, calendrier que la crise sanitaire impacte forcément. L’urgence devient telle qu’elle bouscule toutes les procédures de consultation citoyenne au point même de les chevaucher. Ainsi, l’avis de la procédure de PPVE a été publié alors que la procédure de participation relative à la mise en compatibilité du Plan Local d’Urbanisme intercommunal Plaine Commune par déclaration de projet n’était pas close. Simultanément, se déroulait aussi une enquête publique relative à la demande présentée par Engie Énergie Services pour les projets d’aménagement des ZAC « Village Olympique et Paralympique » et ZAC « Pleyel ».
Ajoutons à cela, d’autres PPVE organisées simultanément par la Préfecture de Seine–Saint-Denis au cours des derniers mois : ZAC « Cluster des Médias », ZAC Plaine Saulnier intégrant le Centre aquatique olympique et Hall 3 du Bourget pour l’accueil du centre principal des médias.
Débattre au mois d’août
Bref, un amoncellement de consultations engendrant une totale confusion qui, selon la CNDP, a nui « à une bonne lisibilité de la participation et a suscité différentes observations et critiques d’une partie du public exprimant son incompréhension ou sa lassitude ». Dit autrement : la profusion de consultations nuit au débat citoyen autant que leur absence.
Et que dire des dates retenues pour ce débat : du 24 juillet au 18 septembre ? Une pleine période estivale justifiée, selon la Préfecture de Seine–Saint-Denis, par l’urgence à délivrer le permis d’aménager les espaces publics de la ZAC. Urgence que la CNDP modère toutefois tant elle est aussi tributaire des « délais de délibération impartis aux exécutifs nouvellement installés (depuis les élections municipales de juin, NDLR) pour émettre un avis dans le cadre de l’évaluation environnementale. » La période choisie a ainsi eu un effet délétère : de nombreuses remarques et questions du public ont été posées dans les derniers jours si bien que 90 % des réponses fournies par le maître d’ouvrage, la SOLIDEO, ont été publiées hors procédure.
Qu’est-ce que c’est et qui fait quoi ?
On peut comprendre que la SOLIDEO ait été elle-même à tel point empêtrée dans cette urgence et ce calendrier que ses réponses, lorsqu’il y en a eu, ont été perçues comme laconiques et peu argumentées, aboutissant à un « sentiment d’insatisfaction et d’absence de prise en compte de la participation du public. »
À cette déception s’ajoute la confusion dans la dénomination du projet. La CNDP écrit : « Le dossier et les réponses fournies par la SOLIDEO portent tantôt sur le projet de la ZAC « Village Olympique et Paralympique » et tantôt sur le projet du Village des athlètes. Or, il apparaît dans les cartes figurant dans l’étude d’impact que ces deux projets ont des périmètres différents et que la SOLIDEO, tant dans les documents d’information que dans ses réponses aux observations, se fonde sur l’un ou l’autre projet comme si les deux se confondaient. Par ailleurs, sur l’ensemble des documents produits par la SOLIDEO, la ZAC « Village Olympique et Paralympique » est dénommée « Village des athlètes ». Effectivement, Village olympique ou Village des athlètes ? Le citoyen est perdu.
Il est aussi perdu entre les maîtres d’ouvrage. Entre la SOLIDEO et Paris 2024, les identités sont si peu lisibles que la première a pu même être interpellée sur des questions relevant de la compétence de la seconde et se retrouver en difficulté. « Cette organisation institutionnelle peut constituer, du point de vue du public, une maîtrise d’ouvrage élargie peu compréhensible », note la CNDP.
Pas de dialogue, pas de visite
Tout ceci ne concourt pas à la clarté pour mener un débat public encourageant la participation citoyenne. Il aurait sans doute pu l’être grâce à l’organisation d’un dialogue direct, ce à quoi s’est catégoriquement opposée la Préfecture de Seine–Saint-Denis. Il aurait sans doute pu l’être alors en organisant au moins une visite du site. Pareil : la préfecture a refusé. Crise sanitaire oblige ? Alors comment expliquer les visites guidées organisées par la SOLIDEO et l’Office de tourisme Plaine Commune durant tout l’été ?
Et la CNDP d’enfoncer le clou : « A la date de publication de la présente synthèse, aucune indication n’a été fournie par le maître d’ouvrage sur d’éventuelles évolutions du projet d’aménagement (ou sur les raisons d’un éventuel statu quo). Cette absence est susceptible de conforter le public dans une attitude de défiance à l’égard des procédures de participation même si la revue de projet des installations olympiques, engagée par le Comité olympique dans le courant de l’été et dont les conclusions ont été dévoilées le 30 septembre, a aussi compliqué la réflexion en générant des incertitudes, en faisant planer incertitude et inquiétude sur la nature des aménagements définitifs et partant, sur la formulation des observations et des réponses. »
Coup de vieux pour le Village olympique ?
Dans leurs observations, remarques, critiques et propositions, les participants au débat public ont largement pris en compte ce que la crise sanitaire révèle des nouveaux enjeux urbains en matière d’aménagement, de logement ou de mobilité.
Il est regretté la grande densité du projet, la petite taille des logements qui, en moyenne, seront de 51 m2, la programmation de 117 000 m2 de bureaux alors que le télétravail se généralise, l’absence de logistique du dernier kilomètre et de bornes électriques sur l’espace public, la place minimaliste accordée au vélo et le manque de sécurisation pour les cyclistes (chaussée mixte bus et vélo), des espaces verts très insuffisants et des jardins partagés en terrasse d’immeubles qui ne seront disponibles que pour les résidents desdits immeubles.
Si bien que le projet, notamment dans sa phase « héritage », semble avoir pris un gros coup de vieux.