Ville-réseaux, ville « liquide »

Mis à jour le dimanche 13 mars 2022 by Olivier Delahaye

Le 27 octobre 2016, en partenariat avec Grand Paris Métropole, EDF organisait la troisième session de son cycle intitulé « Grand Paris Histoires et Futurs ». Nous vous proposons d’en retrouver ici les principaux échanges. Deuxième temps : les réseaux numériques.

« C’est une sorte d’escale numérique où il s’agirait de faire halte pour s’abreuver aux fluides vitaux de la ville, cette ville “liquide“ où les liens entre citadins sont sans cesse accélérés, estompés et renouvelés », dit Livier Vennin, délégué au Grand Paris chez EDF. L’escale en question, « l’oasis de connexion », c’est le nouvel abribus mis en service par la société Decaux, place de la Bastille, au printemps 2015. Carte interactive, calcul d’itinéraire, visualisation des correspondances avec les autres lignes de bus mais aussi avec les stations Velib’ et Autolib’, présentation des monuments et musées à proximité… On n’y attend plus le bus, on s’informe. Decaux qualifie l’abribus de « révolutionnaire » (« Il faut dire que, symboliquement, le lieu s’y prête », sourit Livier Vennin). Il donne effectivement à pratiquer la smartcity, rêvée par la Mairie de Paris, et par toute ville en France, y compris les plus petites. Il y a quelques semaines, Vinci Énergies expliquait ainsi au Journal du Net « déployer une solution smartlighting à Aubinges (Cher), une ville de 250 habitants »…

La connectivité explose

C’est la grande nouveauté de la ville, elle est devenue informationnelle. Elle s’éditorialise. Source de données, elle communique sans cesse sur elle-même. Les besoins sont devenus immenses, les chiffres sont énormes. Dans son livre À quoi servent les algorithmes ?, le sociologue Dominique Cardon rappelle que nous exécutons 3, 3 milliards de requêtes par jour sur Internet, nous consultons 350 millions de photos, nous échangeons 144 milliards d’e-mails. Si l’on devait numériser l’ensemble des écrits et communications depuis l’aube de l’humanité jusqu’en 2003, cela nécessiterait 5 milliards de gigabits. Aujourd’hui nous générons ce volume en deux jours ! Le trafic de données ne fait que croître, exponentiellement. Le nombre de téléphones mobiles sera multiplié par 10 d’ici 2019, selon une étude CISCO de 2015. Le monde comptera alors plus de 5 milliards d’utilisateurs de mobiles. Et les transferts qu’ils supposent ne concernent pas uniquement les humains, l’explosion attendue est bien celle des connexions « machine to machine ». « Mes collègues de la recherche chez Orange estiment que d’ici 2019 nous allons multiplier par 7 le nombre d’objets communicants ou intelligents. Autrement dit, nous allons passer de 109 millions à 578 millions d’objets », note Patrice Carré, directeur des relations institutionnelles du Groupe Orange.

Abribus bastille
L’abribus « révolutionnaire » de la place de la Bastille.

Le saut techno des réseaux

Ces chiffres disent l’ampleur du phénomène de ce tout-connecté. En deçà, ils impliquent des infrastructures de plus en plus performantes. Puisque, comme l’explique Patrice Carré, « le débit est essentiel en ce qu’il permet la fluidité », si l’échange de données explose les réseaux doivent suivre. En la matière, le saut technologique est en marche, il s’agit de la fibre optique qui, depuis 2013, fait l’objet d’un plan national visant à couvrir l’intégralité du territoire en très haut débit d’ici 2022.

Le défi de la 5G sera de gérer 100 milliards de connectivités parmi lesquelles les connexions entre humains ne représenteront que 10% du total. 

Le PDG de Huawei

Investissement : 20 milliards d’euros. Lourd, mais sans doute beaucoup moins que ce que va supposer le déploiement de la 5G pour la téléphonie mobile. En 2014, François Barrault, président de l’Idate, un think tank spécialisé dans l’économie numérique, estimait à « 35 milliards d’euros, le montant de l’investissement nécessaire pour absorber la croissance du trafic de données mobiles d’ici 2020 en France. » Pour beaucoup la 5G fera figure de système nerveux numérique destiné à supporter les connexions « machine to machine ». Au Mobile World Congress de Barcelone, en début d’année, le PDG de Huawei expliquait que le défi de la 5G serait « de gérer 100 milliards de connectivités parmi lesquelles les connexions entre humains ne représenteront que 10% du total. » La voiture autonome, entre autres, attend beaucoup de la couverture 5G pour se déployer.

Bancs de poissons

Mettre en place de puissants réseaux ne suffit pas. Car, outre la masse des données qu’ils doivent véhiculer, voilà que « nous sommes passés en une dizaine d’années de réseaux centralisés à des réseaux a-centrés », dit Patrice Carré. Le changement de paradigme est radical. La complexité générée aussi. Et qui dit complexité ordonne d’instiller de l’intelligence. Pour Jean-François Faugeras, en charge du département Veille et Benchmarking à la direction stratégique du Groupe EDF, « cette intelligence existe déjà, mais nous allons vers une augmentation de l’intelligence des réseaux. Et même de l’ensemble de la chaîne électrique. Celle-ci connaît de profondes évolutions avec le développement de la production d’énergies décentralisées (panneaux photovoltaïques, pompes à chaleur…) et l’émergence de nouveaux usages (véhicules électriques). Les nouvelles technologies doivent permettre d’implémenter de nouvelles couches d’intelligence de manière à ce que le système soit plus flexible, mieux coordonné. »

Et Jean-François Faugeras de prendre l’exemple des bancs de poisson pour illustrer son propos : « Les scientifiques ont déterminé que les poissons possédaient une sorte de capteur, appelé ligne latérale, leur permettant d’identifier les mouvements autour d’eux pour parvenir à se mouvoir au sein d’une dynamique collective. Chaque poisson est ainsi autonome au sein d’un système coordonné et flexible. Il y règne une intelligence distribuée, permettant de résoudre des problèmes plus ou moins complexes comme des obstacles ou des dangers sans qu’apparaisse nécessairement un système centralisé qui piloterait seul l’ensemble. »

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Visualisationdedonnées : activité sur Wikipedia de juin à septembre 2005.

Big or low

Forcément, dès lors que l’on évoque les données on en arrive au Big Data. Le traitement massif des données est en effet supposé répondre à toute une somme de défis contemporains : prospective, gestion des risques, adaptation au changement climatique, progrès médicaux, etc. Mais aussi, bien sûr, gestion des flux et des réseaux. L’opérateur Orange a ainsi développé la solution Flux vision qui, à partir de la présence d’un téléphone mobile dans un véhicule, permet de connaître l’évolution en temps réel du trafic automobile. On imagine très bien l’intérêt de ce type solutions, notamment dans leur dimension prédictive, pour les acteurs de la ville confrontés à la saturation routière. Mais pour Claude Arnaud, président de l’Institut Efficacity, le Big Data est surtout le vecteur d’une révolution en cours qui va puissamment affecter les entreprises de réseaux : « Ces entreprises fonctionnent encore sur un même principe : l’offre « tire » la demande. Elles créent un réseau et font le pari que les gens l’utiliseront. Ce paradigme est en train de s’inverser. Grâce au Big Data, l’opérateur sait ce que veut l’utilisateur, comment il réagit, voire même comment on peut penser qu’il va réagir. » L’analyse instantanée de la demande va donc conduire les opérateurs à modifier leur offre en fonction des usages. « Reste, comme le dit Claude Arnaud, à faire évoluer l’offre, ce qui ne sera pas le plus facile. »

La mise en place d’un réseau très bas débit permet d’accéder à des informations très simples possédant une grande valeur ajoutée

Guillaume Houssay

Des usages il est aussi question avec le très bas débit. Car la masse de données générée par les systèmes urbains ne garantit pas pour autant une information fiable. Au contraire, peut-on s’interroger sur la capacité de ces systèmes à digérer leurs données. Directeur général de la société Qowisio, Guillaume Houssay explique : « La manière de gérer l’ensemble des communications qui parcourt la ville s’oriente essentiellement vers le très haut débit : posséder un maximum d’informations de la manière la plus immédiate possible. Mais il n’est pas forcément aisé d’y avoir accès. Les réseaux wifi sont surtout implantés dans les logements et les entreprises, connecter l’ensemble de la ville coûte extrêmement cher et n’est pas forcément utile partout. Si bien qu’il existe tout un pan d’informations qui, actuellement, ne sont pas gérées. » La solution ? La mise en place d’un réseau très bas débit qui « permet d’accéder à des informations très ponctuelles, des informations très simples mais possédant une grande valeur ajoutée. » Un réseau spécialement dédié à l’Internet des objets, de longue portée, de basse consommation, et offrant l’avantage de ne pas nécessiter d’investissements lourds.

Bandeau Qowisio
Illustration Qowisio

La ville « liquide » ?

Des réseaux plus gros, plus puissants, qui gèrent et distribuent de la donnée en masse, mais aussi des réseaux plus simples qui fournissent de l’information pertinente. Des réseaux plus intelligents capables d’appréhender la complexité pour offrir plus de flexibilité aux grands systèmes urbains, mais aussi des réseaux a-centrés fonctionnant en un maelstrom réticulaire sans début ni fin. Des réseaux invisibles et insaisissables qui doivent être fluides, permettre le débit, éviter l’engorgement des canaux. Ces réseaux numériques qui convoquent un imaginaire aquatique fabriqueront-ils une ville « liquide », souple et adaptable, ou une smartcity efficiente et contrôlée ?

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