ZFE : vers une Métropole du Grand Paris à deux vitesses ?

Mis à jour le lundi 28 septembre 2020 by Olivier Delahaye

Le ministère de l’Environnement a publié ses chiffres sur le parc automobile français, intégrant les catégories Crit’air. Ils confrontent l’ambition de la Métropole du Grand Paris quant à l’établissement de sa zone à faibles émissions et, surtout, posent des questions sur les inégalités qu’elle porte et qui ne cessent de la fracturer.

5 398 980 voitures sont en circulation en Île-de-France. Cela représente 14 % du parc français (38 215 240 voitures). Cela représente aussi moins d’une voiture pour deux Franciliens. Un rapport plus bas que la moyenne nationale puisque 57 % des Français possèdent une automobile. Telle est une petite partie des observations du Service des données et études statistiques (SDES) du ministère de l’Environnement (au 1erjanvier 2020) publiées dernièrement.

Ceci étant, ce nombre de voitures reporté à la superficie de la région (12 000 km2) est particulièrement élevé. Par comparaison, en région Auvergne-Rhône-Alpes, où le nombre de voitures par habitant est sensiblement équivalent à l’Île-de-France, ce sont 2 649 530 automobiles qui circulent sur une superficie de 70 000 km2. Soit deux fois moins de voitures sur six fois plus d’espaces. On comprend aisément la congestion automobile en Île-de-France ; ce, malgré une offre de transports publics pourtant très élevée. Et l’on comprend, de fait, les craintes concernant le report modal durant la crise du COVID et les conséquences sur la pollution atmosphérique.

126 610 voitures concernées par la ZFE

C’est d’ailleurs l’une des particularités des données du SDES que de quantifier le parc automobile français au regard de la classification Crit’air. Pour rappel, cette classification comprend sept niveaux, des véhicules les plus polluants aux moins polluants : de Non classé jusqu’à Crit’air E, en passant par Crit’air 5, 4, 3, 2 et 1. Elle sert notamment à établir ce que l’on appelle des zones à faibles émissions (ZFE) au sein des territoires ; ces derniers étant susceptibles d’interdire ou de limiter la circulation des véhicules affichant une vignette Crit’air au numéro trop élevé.

Comptabilisant le parc automobile par département, les données du SDES permettent de se faire une idée de celles concernant la Métropole du Grand Paris (MGP). En effet, si l’on écarte la ville de Paris, qui a mis en place sa propre ZFE depuis juillet 2017, la MGP expérimente la sienne depuis juillet 2019. Au sein du périmètre délimité par l’A86, la circulation y est « interdite » (sans verbalisation et hors dérogations) aux véhicules classés Crit’air 5 et Non classés. Cela concerne aujourd’hui 126 610 voitures sur les 2 480 480 immatriculées dans les trois départements de petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine–Saint-Denis et Val-de-Marne). Soit 5 %. Une goutte d’eau.

Un processus trop lent

La MGP se laisse jusqu’à juillet 2021 pour interdire véritablement ces véhicules et tenter de rejoindre Paris qui a étendu, depuis 2019, l’interdiction aux Crit’air 4. Or, les voitures classées Crit’air 4 ne sont que 170 250 au sein de la MGP. En les ajoutant, on n’arriverait encore qu’à 12 % du parc. Pas de quoi accélérer véritablement le processus de résorption de la pollution automobile. D’autant que, de leur côté, les voitures les moins polluantes, classées Crit’air 1 et Crit’air E, dépassent déjà largement les 700 000 immatriculations, soit près d’un tiers du parc.

Données du SDES concernant le nombre de voitures classées selon leur vignette Crit’air

La question est plus délicate pour les Crit’air 2 et 3, des voitures qui ont souvent moins de dix ans d’existence et qui représentent plus de 1,5 million automobiles. Si l’on considère que le renouvellement des Crit’air 4 pourra être plus aisé puisqu’il s’agit de véhicules de près de 20 ans d’âge, l’enjeu porte en effet bel et bien sur les Crit’air 2 et 3. 

Or, deux éléments viennent perturber cet enjeu :
1-Pour l’instant, la prime à la conversion qui doit permettre ce renouvellement ne concerne que les voitures classées Crit’air 3 ;
2-Les Crit’air 2 (903 190 voitures) forment l’essentiel du volume du parc.

Le processus mis en place semble donc, à vrai dire, un peu faible ou un peu lent.

Accélérer en fracturant

On ne peut nier pour autant l’ambition de la MGP qui, sur la ZFE qu’elle a jusqu’à présent délimitée, souhaite atteindre le Crit’air 1 en janvier 2024. Autrement dit, renouveler un parc de 1,7 million voitures en quatre ans. Une accélération brutale à laquelle ont peut croire et souscrire si la MGP ne se trouvait face à hic : les inégalités sociales et territoriales qui la sous-tendent. Il suffit pour cela d’observer les chiffres de deux de ses départements que tout oppose : la Seine–Saint-Denis (93) et les Hauts-de-Seine (92).

Avec 552 280 voitures, la Seine–Saint-Denis est le département grand parisien qui en compte le moins, mais tout de même 442 080 voitures classées de Crit’air 2 à Non classé. D’ici janvier 2024, pour atteindre le Crit’air 1, le 93 devrait donc convertir 80 % de son parc.
Pour une population équivalente au 93, les Hauts-de-Seine comptabilisent 773 810 voitures : 50 % de plus ! Son parc classé Crit’air 2 à Non classé est de 527 390 voitures. D’ici janvier 2024, pour atteindre le Crit’air 1, le 92 devrait donc convertir 68 % de son parc.
Sachant que le revenu fiscal de référence moyen par foyer (source Insee) est de 42 815 euros dans les Hauts-de-Seine contre 21 463 euros en Seine–Saint-Denis, il est heureux que la prime à la conversion prenne en compte des critères sociaux. Le processus de verbalisation qui doit entrer en application en 2021 ne sera, lui, pas aussi discriminant.

Equation intenable

Si l’on pousse jusqu’en 2030, date à laquelle à la MGP souhaite parvenir au 100 % véhicules propres, autrement dit la vignette Crit’air E (voitures électriques et hydrogène), on s’aperçoit que les Hauts-de-Seine comptabilisent déjà 8 810 de ces véhicules. En Seine–Saint-Denis, ils ne sont que 1 930. Au prix où sont ces véhicules propres, il va falloir trouver… À vrai dire on ne sait ce qu’il va falloir trouver pour convertir 550 000 voitures immatriculées 93 en automobiles propres. D’autant que les derniers chiffres de l’Insee ne sont guère encourageants : en 2019, les immatriculations de véhicules neufs particuliers avaient chuté de -10,5 % en Seine–Saint-Denis (+9,3 % dans les Hauts-de-Seine).

Périmétre de la ZFE de la Métropole du Grand Paris.

L’équation semble intenable. L’on comprend pourquoi certains élus avaient pesté contre l’établissement de la ZFE de la MGP en mettant en exergue les inégalités sociales. L’on comprend aussi pourquoi le périmètre de cette ZFE épouse les contours de l’A86. Concernant 79 communes, il intègre toutes celles des Hauts-de-Seine, mais exclut 24 des 40 communes de Seine–Saint-Denis, partitionnant le département (mai aussi celui du Val-de-Marne). Ainsi la ZFE telle qu’elle apparaît sur la carte, penche nettement vers l’ouest. La question alors se pose de son devenir, de son extension vers l’est. Quelles politiques la MGP doit-elle mettre en œuvre pour l’agrandir et selon quel calendrier ? Le 100 % véhicules propres de 2030 va-t-il exclure des dizaines de milliers d’habitants de l’est, créant une nouvelle frontière ? L’inclusion porte en elle les germes de l’exclusion. De simples données du SDES nous en donnent un aperçu. 

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